Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Les lendemains du romantisme

La fin du xixe s. et le tournant du xxe ne nous mettent pas en présence d’une évolution positive, mais seulement d’une très brillante exploitation des acquisitions précédentes. Et si une avance très dynamique est encore marquée par des hommes comme Hugo Wolf* (1860-1903), dans le domaine du lied avec piano, ou comme Gustav Mahler* (1860-1911), dans celui du lied symphonique, si le talent hédoniste d’un Richard Strauss* (1864-1949) fait oublier tout problème musicologique, si le néo-classicisme de Max Reger (1873-1916) a des aspects singulièrement nouveaux et audacieux, l’époque des Max Bruch (1838-1920), des Engelbert Humperdinck (1854-1921), des Max von Schillings (1868-1933) et des Hans Pfitzner (1869-1949) marque un certain fléchissement dans la ligne plusieurs fois séculaire de la musique allemande.


Le xxe siècle

C’est encore de Vienne que viendra un réveil du dynamisme germanique, du moins au début du siècle : l’école viennoise, avec Arnold Schönberg* (1874-1951), Alban Berg* (1885-1935) et Anton von Webern* (1883-1943), fera la révolution atonale entre 1910 et 1930, en pays germanique seulement dans de petits cercles. Pendant l’entre-deux-guerres, le néo-classicisme s’installera en Allemagne comme ailleurs (Paul Hindemith*, 1895-1963 ; Carl Orff* né en 1895 ; Werner Egk*, né en 1901). Ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après 1946, que la technique sérielle sera adoptée par quelques anciens néo-classiques comme Karl Amadeus Hartmann (né en 1905) ou Wolfgang Fortner (né en 1907), puis transcendée par la génération suivante, en tête de laquelle il convient de citer Bernd Alois Zimmermann (né en 1918), qui demeure quelque peu traditionnel, Karlheinz Stockhausen* (né en 1928), qui poursuit la recherche avec une maîtrise et une audace qu’aucune aventure n’intimide, et enfin Hans Werner Henze* (né en 1926).

C. R.

 H. J. Moser, Geschichte der deutschen Musik (Stuttgart, 1920-1924 ; 3 vol. ; 5e éd., 1930). / J. Chantavoine et J. Gaudefroy-Demombynes, le Romantisme dans la musique européenne (A. Michel, coll. « Évolution de l’Humanité », 1955). / L. Guichard, la Musique et les lettres au temps du romantisme (P. U. F., 1955). / C. Rostand, la Musique allemande (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1960 ; 2e éd., 1967).


Le cinéma allemand

Malgré l’apport du pionnier Max Skladanowsky, du producteur Oskar Messter, émule de Charles Pathé, et à qui l’on doit la découverte de l’actrice Henny Porten, de certains réalisateurs spécialisés dans les mélodrames, les films d’aventures et les comédies un peu lourdes, comme Max Mack, Joe May ou Rudolf Meinert, le cinéma allemand n’a pas encore trouvé avant la Première Guerre mondiale une voie originale qui lui permette d’échapper à l’influence économique et artistique de ses voisins français et danois. Cependant, quelques œuvres isolées annoncent déjà la naissance d’un style authentiquement germanique, qui s’épanouira quelques années plus tard lorsque le fantôme de la guerre — mais non celui de l’inquiétude — se sera dissipé : l’acteur Paul Wegener, formé à l’école de Max Reinhardt, joue en effet un rôle prépondérant dans la mise en scène de l’Étudiant de Prague (1913), que signe le Danois Stellan Rye, et dirige lui-même le Golem (1914) avec l’aide du scénariste Henrik Galeen. Ces deux films apparaîtront ultérieurement comme les premières manifestations de l’expressionnisme cinématographique, à la fois par les thèmes traités — mythe des puissances supérieures et maléfiques qui dominent l’homme — et par le style — importance primordiale du décor et de l’éclairage.

En 1917, sur l’initiative du général Ludendorff, est fondée l’U. F. A. (Universum Film Aktiengesellschaft), puissant cartel soutenu par les magnats de la banque, de la chimie et de l’électricité, qui ne se contente pas de regrouper la plupart des maisons de production mais parvient dès 1919 à s’assurer le contrôle des salles jadis possédées par la société danoise Nordisk. Cette concentration massive de l’activité cinématographique a pour effet immédiat de stimuler la production : dans les somptueux studios nouvellement édifiés, tout est mis en œuvre pour supplanter avec un faste accru les grandes mises en scène historiques du cinéma italien. Nombreux sont ceux qui vont tenter de faire oublier au peuple allemand accablé par la défaite les vicissitudes de l’après-guerre en l’étourdissant de reconstitutions historiques à grand spectacle, où le goût de la parade voisine avec les secrets d’alcôve. C’est en effet beaucoup plus la « petite histoire » qu’un quelconque souci d’objectivité qui guidera les réalisateurs, notamment Otto Rippert (la Peste à Florence, 1919), Arsen von Cserepy (la Grande Catherine, 1920 ; Fredericus Rex, 1922). Richard Oswald (Lady Hamilton, 1921 ; Lucrèce Borgia, 1922), Dimitri Buchowetzki (Danton, 1920) et surtout le plus talentueux d’entre tous, Ernst Lubitsch* (Carmen, 1918 ; Madame du Barry, 1919 ; Anne Boleyn, 1920).

Mais un tout autre courant va sinon éclipser, du moins sérieusement concurrencer ces superproductions. En 1919, le film le Cabinet du Dr Caligari apparaît comme le manifeste de l’expressionnisme* cinématographique. Les vrais responsables de l’œuvre, plus encore que le metteur en scène Robert Wiene, sont le scénariste Carl Mayer, qui se révélera comme l’une des personnalités majeures de l’« âge d’or » du film allemand, et les décorateurs* Hermann Warm, Walter Röhrig et Walter Reimann. Historiquement, la naissance de l’expressionnisme cinématographique coïncide avec un climat politique, social et économique troublé : l’Allemagne vaincue sent confusément mais intensément le besoin de croire en de nouvelles idéologies. Un courant se dessine, qui porte les esprits vers le magique, le mystique, le légendaire, le pathétique, et en général vers tout un attirail post-romantique qui sécrète le trouble, le terrifiant, l’indicible. Aussi ne s’étonnera-t-on pas de voir défiler pendant plusieurs années sur les écrans une véritable « galerie de monstres ». Sans doute, sur le plan strictement artistique, l’expressionnisme pictural, littéraire et théâtral est né bien avant 1919, mais c’est à cette date seulement que le cinéma apparaît comme le plus parfait des arts pour exprimer l’angoisse et l’horreur.