Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Entre le mouvement préclassique et la période suivante, il convient de signaler un « atelier » qui aura son importance dans l’évolution en cours : l’école de Mannheim, mouvement né vers le milieu du xviiie s. sous l’impulsion de J. W. A. Stamitz. Ses membres (Franz Xaver Richter, 1709-1789 ; Johann Christian Innozens Bonaventura Cannabich, 1731-1798 ; Anton Filtz, v. 1730-1760 ; Ignaz Holzbauer, 1711-1783 ; Karl Joseph Toeschi, † 1788 ; Franz Beck, entre 1723 et 1733 - 1809 ; Johann Schobert, 1740 [?] - 1767 ; Wilhelm Cramer, 1745-1799 ; Franz Danzi, 1763-1826 ; etc.), essentiellement axés sur les développements de la forme sonate dans le cadre de la musique symphonique ou concertante, préparent le grand classicisme de Haydn et de Mozart.


Le classicisme : Haydn et Mozart

La seconde partie du xviiie s. prend une physionomie dont l’ampleur et l’équilibre sont résumés dans l’expression « classicisme viennois » et s’incarnent en deux noms : Joseph Haydn* (1732-1809) et Wolfgang Amadeus Mozart* (1756-1791). Cet épisode musical coïncide avec deux périodes littéraires et philosophiques : d’abord le classicisme serein à son apogée (Klopstock, Lessing, Wieland), puis la secousse du « Sturm und Drang » (d’où sortiront Klinger, Schiller et le Goethe du premier Faust).

L’essentiel de l’apport de Haydn est l’enrichissement de l’art instrumental (sonate, quatuor, symphonie), auquel il est le premier à donner de grandes dimensions débordant le cadre des sujétions préclassiques, et à confier un message d’expression personnelle. S’il ne renouvelle pas la forme de l’oratorio, il y introduit un accent poétique qui y était inconnu.

Bien que la carrière de Mozart (mort à trente-cinq ans) s’inscrive facilement à l’intérieur de celle de Haydn (mort vingt ans plus tard âgé de près de quatre-vingts ans), son art est sensiblement plus avancé : non pas tellement pour des raisons techniques, mais par sa sensibilité. Mozart n’est ni un réformateur ni un novateur. Avec lui, la musique s’exprime par les moyens qui viennent d’être définis par Haydn. Mais à ces moyens il donne une ampleur et une expression jusqu’alors jamais atteintes. En un temps où la polyphonie contrapuntique est considérée comme une vieillerie archaïque et où le critère du style moderne est le mélodisme monodique, Mozart fait la synthèse des deux moyens et en tire un riche langage ; il rassemble toutes les possibilités que l’art germanique avait emmagasinées au cours des siècles. Avec lui, la musique dépasse les limites étroites du style galant, qui est celui de ses contemporains, et fait son profit, à retardement, des enseignements « futuristes » de la musique de J.-S. Bach.

C’est ce que ne comprendront pas tout de suite la plupart de ses contemporains : Michael Haydn (1737-1806), Friedrich Wilhelm Rust (1739-1796), Karl Ditters von Dittersdorf (1739-1799), l’abbé Georg Joseph Vogler (1749-1814), Johann Friedrich Reichardt (1752-1814), Karl Friedrich Zelter (1758-1832) et Wenzel Müller (1767-1835).


L’aube du romantisme : Beethoven, Schubert, Weber

Pendant les trente premières années du xixe s., la musique suit encore le mouvement des idées, en particulier dans les domaines de l’individualisme et du nationalisme. Les grandes acquisitions, techniques ou esthétiques, seront dorénavant attachées à des hommes et non à des groupes. D’autre part, si sur ces trois grands noms deux appartiennent à des artistes originaires d’Allemagne, deux de ces carrières sont entièrement viennoises.

Extrêmement complexe, la personnalité musicale de Ludwig van Beethoven* (1770-1827) est le symbole même des mutations qui s’effectuent de son temps. Le premier, il change la nature des rapports de l’homme et de la musique. Il introduit l’individualisme au premier rang de la fonction musicale. Avec lui, ce n’est plus, comme par le passé, la musique qui parle par l’homme, mais l’homme qui parle par la musique. À la notion d’art au service de la société se substitue celle de l’art pour l’art. Avant Beethoven, on écrivait pour l’immédiat : avec lui on se met à écrire pour l’éternité ; « Beethoven préfère écrire contre son temps que pour lui » (A. Einstein). Son génie échappe à toute classification : ni classique, ni romantique, au-delà. Il fait une synthèse de l’ordre et du chaos. C’est grâce à lui qu’a pu se faire le passage du classicisme au romantisme sur le plan du renouvellement de la forme et du langage.

Le phénomène beethovénien se produit à un stade presque cosmique. Carl Maria von Weber* (1786-1826) présente un phénomène assez parallèle, mais à un degré moins élevé : encore héritier du xviiie s., il apporte son audacieuse charge de nouveauté dans la forme de l’opéra, dans l’orchestration et dans la conduite du discours harmonique.

C’est un peu ce qui se produit avec Franz Schubert* (1797-1828), lui aussi instinctif et intuitif, héritier du classicisme et qui reste surtout comme le créateur du lied romantique en sa formule accomplie.


Le plein feu du romantisme
L’apogée d’un art national

À partir de cette période, les généralités deviennent plus difficiles à dégager. La période romantique proprement dite est surtout faite de contradictions : l’ordre mendelssohnien coexiste avec la fièvre schumannienne, les deux hommes se réclamant de Beethoven ; dans le domaine du langage musical, la subjectivité novatrice d’un Wagner coexiste avec l’objectivité conservatrice d’un Schumann et d’un Brahms ; songeons aussi que si le romantisme a, dans le domaine de la musique de chambre, porté la musique pure sur ses sommets les plus élevés, c’est aussi le romantisme qui a été le champion déchaîné de la « musique à programme » et du grand opéra ; songeons enfin que le romantisme allemand — celui qui a été le plus virulent en Europe — possède ce contraste de rechercher le goût de l’éclat et de la virtuosité en même temps que le goût de l’intime, du secret, du silence de l’âme. Il n’est guère, en fait, qu’un seul sentiment sur lequel tous ces musiciens allemands ont été d’accord, c’est un profond et vivant nationalisme. L’idée allemande est alors une réalité spirituelle qu’ils appellent tous : Felix Mendelssohn* (1809-1847), Robert Schumann* (1810-1856), Richard Wagner* (1813-1883) et Johannes Brahms* (1833-1897) ; seul Anton Bruckner* (1824-1896) se tient à l’écart du mouvement, son nationalisme autrichien ayant presque rang de régionalisme et ses aspirations profondes étant en revanche supraterrestres. Les grands romantiques allemands ont cependant un autre commun dénominateur, le fait d’être, à des titres divers, des héritiers de Beethoven : pseudo-classicisme dans le cadre romantique avec Mendelssohn ; élans révolutionnaires avec Schumann ; synthèse de la nouveauté et de la tradition avec Brahms ; création du drame musical moderne avec Wagner, qui prend aussi le relais de Beethoven comme rénovateur du langage, le chromatisme de Tristan allant rejoindre les premiers balbutiements dodécaphoniques au seuil du xxe s.