Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Empire colonial français (suite)

On pourrait penser que cette période de grande expansion vit naître une doctrine coloniale susceptible d’orienter l’action à longue échéance ? Il n’en fut rien, et l’on hésita toujours entre l’exploitation pure et simple, dont l’intérêt est exprimé notamment par Jules Ferry et Eugène Etienne (1844-1921), l’assimilation, qui parut un moment l’emporter, mais qui ne fut jamais définie, et l’association, qui semblait pouvoir sauvegarder une souveraineté pointilleuse tout en accordant une certaine autonomie financière et économique, avec pour principal effet l’allégement des charges de la métropole (loi de finances du 13 avril 1900). L’esprit du pacte colonial restait vivace, et, en 1899, il était toujours question d’obliger les colonies « à remplir, de gré ou de force, leur office naturel de débouchés réservés par privilège à l’industrie métropolitaine » (J. Méline).


La période d’apogée (1900-1931)

L’expansion se poursuivit durant toute cette période. Avant la Première Guerre mondiale, le grand événement fut la mainmise sur le Maroc, rendue possible par les accords du 8 avril 1904, qui liquidaient le contentieux colonial entre la France et l’Angleterre, et par le traité franco-allemand du 4 novembre 1911, qui permettait à la France d’obtenir la liberté d’action dans l’Empire chérifien moyennant la cession de 275 000 km2 en Afrique équatoriale ; le 30 mars 1912, la convention de Fès établissait le protectorat, et Lyautey, premier résident, entreprenait l’œuvre de pacification et de mise en valeur. Malgré quelques troubles, la Première Guerre mondiale ne menaça nullement la cohésion de l’Empire. Au Maroc même, avec des effectifs militaires réduits, la superficie pacifiée s’étendit, et l’ensemble des possessions fournit un effort considérable en faveur de la métropole : 650 000 combattants (pertes : 100 000 hommes), 200 000 travailleurs, près d’un milliard et demi de francs-or souscrits aux emprunts, six millions de tonnes en matières premières et en denrées alimentaires. Après la guerre, au traité de Versailles (1919), par le système des mandats, la France obtint le contrôle de la Syrie et du Liban, de la majeure partie du Cameroun et du Togo. Elle se heurtera encore à de sérieuses difficultés, comme la guerre du Rif au Maroc (1925-26) et la révolte des Druzes en Syrie (1925-1927), mais elle les surmontera, et c’est alors que l’Empire atteindra son étendue maximale.

Les idées évoluèrent sans véritable bouleversement. Certes, les communistes condamnèrent la colonisation, mais ils furent seuls à le faire. La droite devint farouchement colonialiste, et la gauche hésita entre une généreuse assimilation, plus ou moins utopique, et une politique d’association, préconisée par Albert Sarraut (1872-1962), qui appellerait progressivement les indigènes à la gestion de leur pays. En réalité, l’évolution sera médiocre tant dans le domaine politique et administratif que dans le domaine économique. L’Empire continuera à dépendre de trois ministères (Intérieur pour l’Algérie, Affaires étrangères pour les protectorats, Colonies pour les autres territoires), avec une forte centralisation à Paris, une bureaucratie toute-puissante et, malgré quelques réformes, une participation dérisoire des indigènes dans les institutions représentatives. La formule était, suivant un juriste : « Beaucoup d’assujettissement, très peu d’autonomie et un soupçon d’assimilation. » On avait dû aussi, faute de moyens, abandonner le grand programme de travaux prévu en 1921 et l’on refusait de desserrer les liens qui auraient permis, par exemple, à l’Algérie et à l’Indochine de développer leur industrialisation. L’Empire restait la chose de la métropole.

Mais il était devenu une grande chose, comme on le vit à l’Exposition coloniale internationale de 1931, qui se tint au bois de Vincennes et où les Français prirent conscience de l’extraordinaire construction que représentait un organisme de plus de 12 millions de kilomètres carrés, peuplé de 64 millions d’habitants. Beaucoup pensèrent sans doute comme ce journaliste du Temps qui écrivait : « Sans lui (l’Empire) nous nous acheminerions vers une véritable décadence. »


Une décolonisation qui laisse quelques vestiges

Mais dans cet Empire s’accomplissait une extraordinaire révolution, due à la présence même du Français, à ses capitaux, à sa religion (v. colonisation). Le monde indigène en était bouleversé, et de nouvelles forces sociales apparaissaient, en particulier une bourgeoisie d’« évolués » et un prolétariat urbain, éléments moteurs de l’opposition, qui prendra rapidement un caractère nationaliste. En quelques années, l’Empire va se trouver ébranlé par la crise mondiale, puis par la Seconde Guerre mondiale. Sous la forme de l’Union française (1946) d’abord, de la Communauté (1958) ensuite, deux tentatives de réorganisation échoueront, et, lorsque s’achèvera la guerre d’Algérie, il ne restera de l’aventure impériale que quelques vestiges, parfois simples épaves.


La crise mondiale

À partir de 1931 surtout, celle-ci se fait sentir dans toutes les parties de l’Empire et détermine un grave marasme qui durera plusieurs années. Les prix agricoles s’effondrent sans que cette baisse permette de surmonter la mévente et le recul des échanges extérieurs. Le chômage sévit dans les villes et les campagnes, le revenu des paysans baisse, des producteurs abandonnent et une concentration s’effectue au profit des plus riches. Sur le plan des relations impériales, une évolution remarquable se dessine : si le commerce de la France avec ses colonies diminue en chiffres absolus, l’importance relative de ces échanges fait plus que doubler, totalisant en 1935 un quart des importations et un tiers des exportations de la métropole. Devant un monde qui se ferme, la France se tourne vers son Empire.

L’amélioration sera progressive, due évidemment à l’évolution de la conjoncture mondiale, mais aussi à des mesures dont certaines se révéleront peu à peu efficaces. Dans chaque colonie, on voit s’instaurer un véritable dirigisme avec une politique de revalorisation des produits agricoles (limitations, blocages, primes à l’exportation...), le développement de certaines institutions, comme les Sociétés indigènes de prévoyance, et la création d’organismes nouveaux, tels l’Office du blé et l’Office du riz. Pour la première fois se manifeste une véritable politique impériale : la Conférence économique de la France métropolitaine et d’outre-mer (3 déc. 1934 - 13 avr. 1935) réalise un travail considérable et, par la voix d’Albert Sarraut, attire l’attention sur la nécessité d’abandonner l’habituelle indifférence à l’égard des problèmes coloniaux.