Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (second) (suite)

Les républicains animent des campagnes antiplébiscitaires, l’extrême gauche et les royalistes préconisent l’abstention. Thiers lui-même, certains légitimistes et catholiques recommandent le « non ». Mais les masses, fidèles au nom de Bonaparte et moins versées dans les calculs politiques, acceptent massivement. En effet, le 8 mai 1870, on compte 7 358 786 « oui » contre 1 571 939 « non », soit plus de 82 p. 100 de suffrages exprimés en faveur de la politique impériale : il est vrai qu’il y a eu près de 2 millions d’abstentions et 113 000 bulletins nuls. Les « non » sont majoritaires dans les grandes villes — Paris (184 000 non, 138 000 oui), Lille (8 796 non, 8 459 oui), Lyon, Marseille —, dans l’Est et le Sud-Est radical. L’Empire semble fondé une seconde fois. L’empereur déclare : « J’ai mon chiffre », et certains républicains avouent : « L’Empire est plus fort que jamais. »


Le « péril rouge »

Tandis que le pouvoir cherche son second souffle, la France vit des mois agités. Depuis les lois de 1868, la vie politique renaît. Les journaux d’opposition se multiplient, tant en province qu’à Paris. On a enregistré 34 déclarations de nouveaux journaux dans les six mois qui ont suivi la loi sur la presse. Rochefort, alors en exil momentané à Bruxelles, est sans doute l’homme le plus populaire de France. Sa feuille n’est pas seule à atteindre de gros tirages. Ainsi, la Marseillaise tire jusqu’à 140 000 exemplaires. Le Rappel, à 38 000. L’ouvrage de Georges Duchêne (1824-1876) : l’Empire industriel, histoire critique des concessions financières et industrielles du second Empire (1869), qui montre l’utilisation de la corruption, l’essor du crédit, pratique tenue alors pour malhonnête, le progrès de la spéculation, teinte le régime d’immoralité. Certaines industries sont en crise, les faillites sont nombreuses, qui entraînent chômage et cris séditieux. Il en est ainsi dans le Nord pour l’industrie cotonnière. Là, on accuse le traité avec l’Angleterre, et des meetings abolitionnistes sont organisés. Une telle analyse du malaise économique crée une alliance momentanée des patrons et des ouvriers. Mais la peur du socialisme apparaît aussi ; les grèves prennent alors un caractère violent, parfois sanglant, parce qu’elles sont en fait réprimées par la force : grèves de Roubaix, de Sotteville ; celles du bassin de Saint-Étienne, où la troupe intervient, faisant 13 morts à La Ricamarie (juin 1869) ; on en compte 14 à Aubin (oct. 1869). Ces grèves échouent, mais sont importantes car elles font naître la haine de l’Empire parmi les ouvriers et créent la solidarité de classe.

Après le procès intenté à Eugène Varlin (1839-1871) en 1868, des sections de l’Internationale se sont reformées dans la plupart des grandes villes. Celles de Rouen, de Lyon, de Marseille sont les plus actives. Leur audience dans les milieux ouvriers est telle que l’association est de nouveau dissoute en avril 1870, et ses principaux dirigeants incarcérés.

L’agitation est aussi le fait de blanquistes, qui saisissent l’occasion des obsèques du journaliste républicain Victor Noir (1848-1870), abattu par le prince Pierre Bonaparte (qui sera acquitté), pour organiser à Paris, le 12 janvier 1870, une manifestation qui est sur le point de tourner à l’émeute.

Dans un tel contexte social, il n’est pas téméraire de penser que l’empereur joue la seule carte possible lorsqu’il écrit à É. Ollivier : « J’ai entrepris de faire fonctionner régulièrement le régime constitutionnel. » Cette décision va-t-elle ramener des atouts dans son jeu ? Les événements extérieurs ne laissent pas le temps d’en décider.


La guerre franco-allemande

Depuis 1866, l’hostilité de l’opinion française à l’encontre de la Prusse n’a pas désarmé. Non seulement elle ressent comme un affront l’ingratitude de la Prusse à son égard, mais elle découvre sur le tard que la formation aux frontières du pays de la puissante Confédération de l’Allemagne du Nord représente un danger réel. De l’autre côté du Rhin, Bismarck entend mener à son terme l’unité allemande. Pour cela, et afin de renforcer le sentiment national allemand, il souhaite une guerre avec la France.

L’entourage de Napoléon III est divisé. L’empereur, pour sa part, souhaite certainement la paix ; É. Ollivier aussi. Mais certains généraux et l’impératrice Eugénie croient encore qu’une victoire extérieure peut consolider le régime. Les maladresses de sa diplomatie vont jeter la France dans les pièges tendus par Bismarck.

Le prétexte en est l’affaire d’Espagne : sur le conseil de Bismarck, le prince Léopold de Hohenzollern (1835-1905) accepte, sur l’offre du gouvernement provisoire espagnol, la succession de la reine Isabelle, déchue en 1868. La France ne peut admettre la candidature d’un Hohenzollern au trône d’Espagne et voir ainsi se reconstituer l’« empire de Charles Quint ». Au lieu de le signifier à Madrid, la France en appelle au roi de Prusse Guillaume Ier en tant que chef de la maison des Hohenzollern. Elle obtient satisfaction le 12 juillet, mais demande ensuite des garanties pour l’avenir. Le roi, contrarié par l’insistance de l’ambassadeur de France, Vincent Benedetti (1817-1900), élude cette dernière question. Mais Bismarck, bien décidé à exaspérer les Français, modifie le texte du compte rendu royal d’Ems, et c’est une dépêche laconique et désobligeante pour la France qu’il fait publier dans la nuit du 13 au 14 juillet.

« Ce chiffon rouge agité devant le taureau gaulois » atteint le but recherché. Au Corps législatif, dès le 15 juillet, par une majorité de 245 voix contre 10, les crédits nécessaires à la mobilisation sont votés, et, le 19 juillet, comblant les vœux de Bismarck, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Diplomatiquement, la France est seule. L’Angleterre et la Russie croient avoir plus d’intérêt à soutenir la Prusse. L’Autriche et l’Italie proclament leur neutralité. Elles attendent que les armes aient parlé en faveur de la France pour s’engager à ses côtés. Or, c’est la défaite qui accourt.