Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (second) (suite)

La nouvelle chambre compte une trentaine de républicains, dont 9 ont été élus à Paris, 2 à Lyon, 2 à Bordeaux, 2 à Saint-Étienne ; en face d’eux, marquant la renaissance de la droite orléaniste, 40 députés catholiques, élus sans le patronage officiel et que le ministre de l’Intérieur ne peut, selon son désir, compter longtemps parmi les siens ; entre les deux, l’opposition monarchiste, soit une quarantaine de députés, et un centre, un « marais », les 116 représentants du tiers parti, qui sont en fait les grands vainqueurs du scrutin et l’arbitre de la situation ; enfin, 80 bonapartistes inconditionnels, toujours attachés à l’Empire autoritaire et surnommés les « mamelouks », à cause de leur fidélité quelque peu servile à l’égard du régime.


La France politique

Que représentent politiquement ces oppositions ? La nouvelle génération républicaine s’affirme fortement. Deux courants se font jour : une gauche ouverte à la collaboration avec les libéraux, une gauche fermée — représentée par Eugène Pelletan, qui s’y refuse. Elle s’exprime dans l’Électeur libre ou la Tribune. Son nouveau porte-parole, Gambetta*, a présenté, lors de sa campagne électorale à Belleville, le nouveau programme du parti : application radicale du suffrage universel, reconnaissance réelle des libertés individuelles, séparation de l’Église et de l’État, instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire ; suppression des armées permanentes. Le courant radical s’amplifie ; il se fait plus démocratique, laïc et positiviste. Aux irréconciliables, les émigrés amnistiés, s’ajoutent les nouveaux : Félix Pyat (1810-1889), Blanqui*. Le plus influent de leurs journaux est le Réveil de Delescluze.

L’opposition de droite se recrute toujours dans les milieux cléricaux, irrités par la politique gallicane de Baroche et laïque de Duruy.

Quant au tiers parti, il regroupe tous les libéraux qui, sans vouloir la chute de la dynastie, sont fermement résolus à mettre fin au pouvoir personnel. Deux Marseillais y représentent deux tendances : Thiers, l’homme des « libertés nécessaires », et son cadet de vingt-huit ans, É. Ollivier, transfuge des républicains.

Lorsque les résultats des élections sont connus, l’ordre paraît sérieusement compromis. Que va faire le gouvernement ?


Les ultimes concessions

Surpris et irrité, Napoléon III durcit d’abord son attitude et affirme : « Un gouvernement qui se respecte ne doit céder ni à la pression, ni à l’entraînement, ni à l’émeute. »

Est-il décidé à faire appel à l’armée pour obtenir une chambre plus docile ? Certains le prétendent. Mais finalement, déçu et malade, il se résigne, d’autant plus que le tiers parti, renforcé par quelques « officiels », interpelle le gouvernement dans un sens de « contribution plus efficace du pays aux affaires ». Rouher, prié par l’empereur de faire sien ce programme, démissionne (il devient président du Sénat), ainsi que Baroche. Duruy et Haussmann sont écartés. Mais l’empereur répugne toujours à aller jusqu’au bout des réformes. Il modifie la Constitution, mais pas au point d’établir un régime parlementaire vrai : par le sénatus-consulte du 8 septembre 1869, le Corps législatif obtient le droit d’élire son président, son bureau ; il peut prendre l’initiative des lois et vote le budget par chapitres. Les deux chambres ont un droit illimité d’interpellation ; le Sénat devient, sans restriction, une assemblée législative. Les ministres, qui peuvent être choisis dans les assemblées, sont déclarés « responsables », mais ils continuent à ne dépendre que de l’empereur. Le 15 août 1869 (fête de Napoléon III), l’amnistie est élargie, mais l’opposition soupçonne Maupas et Rouher d’avoir encore l’oreille de l’empereur.


Le ministère du 2 janvier 1870

Un nouveau pas est franchi lorsque, après quelques essais d’un ministère « demi-teinte », l’empereur se décide à faire appel à Émile Ollivier pour constituer un gouvernement « représentant fidèlement la majorité du Corps législatif ». Ollivier s’efforce donc d’allier les différentes tendances centristes ; aux six ministres issus de son groupe, il adjoint deux centristes : Louis Buffet (1818-1898) aux Finances et Napoléon Daru (1807-1890) aux Affaires étrangères. Il devient lui-même garde des Sceaux, ce qui lui assure la préséance dans le cabinet sans lui conférer le caractère d’un président du Conseil, l’empereur étant le seul responsable devant le peuple. Ce cabinet, présenté le 2 janvier 1870, n’est pourtant pas totalement homogène, puisque l’empereur y a imposé la présence des anciens ministres de la Guerre, de la Marine et de la Maison impériale. Il souhaite réellement la conciliation et travaille à l’avènement d’un parlementarisme vrai. Pour l’histoire, il reste le « ministère des bonnes intentions », car les événements ne lui ont pas laissé le temps d’en réaliser aucune. Il marque pour un bref moment la réconciliation des droites classiques avec le pouvoir : les notables ont pardonné le 2 décembre et amnistié l’Empire.


La Constitution et le plébiscite de 1870

Le 20 avril 1870, Émile Ollivier obtient le vote d’un sénatus-consulte par lequel une nouvelle Constitution se substitue en fait à celle de 1852. Elle confirme les réformes antérieures. En outre, le Sénat perd son pouvoir constituant et devient une seconde chambre législative. L’empereur, qui précédemment gouvernait « au moyen » des ministres et des chambres, gouverne désormais « avec leur concours », mais le texte ne précise pas devant qui s’exerce la responsabilité des ministres, ni les conditions de leur révocation. Napoléon III demeure responsable envers le peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel. C’est donc, comme l’écrit R. Rémond, « la Constitution de l’Empire libéral à virtualité parlementaire ». Les restrictions qui demeurent hérissent les parlementaires stricts ; Buffet et Daru reprennent leur liberté.

Dans la nouvelle Constitution, qu’est devenu le pouvoir constituant ? Par une nouvelle initiative, l’empereur tranche l’équivoque qui subsiste entre le pouvoir impérial et les chambres, et décide d’en référer à la nation. En renouant ainsi avec le principe originel de sa légitimité, le chef de l’État met fin à l’accord tacite établi entre le régime et la droite libérale. Le 8 mai, le peuple français est appelé à ratifier « les réformes libérales opérées dans la Constitution depuis 1860 ». Question insidieuse ! Les partis hésitent : doivent-ils bouder les libertés consenties ou encourager le dialogue direct entre l’empereur et son peuple ?