Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (second) (suite)

Les ministres, nommés et révoqués au seul gré de l’empereur, ne sont en fait que de simples « commis » sans solidarité collective ; le Conseil d’État prépare les lois, les discute et soutient leur discussion devant le Corps législatif ; le Corps législatif discute et vote les lois. Ses membres, au pouvoir si restreint, sont privés du droit d’adresse et de la publicité des débats. De plus, s’ils sont bien démocratiquement les élus du suffrage universel populaire, ils sont issus du découpage en circonscriptions électorales où le jeu du scrutin uninominal, personnel et à deux tours favorise la pression administrative et les candidatures officielles de façon que les élections législatives n’infirment pas les résultats des plébiscites impériaux. La Constitution crée, enfin, une seconde assemblée, un Sénat, formé par les grands dignitaires de l’État et qui doit veiller au respect de la Constitution.

En bref, le second Empire à ses débuts est donc bien un régime personnel, atténué par l’existence d’un Sénat inamovible et par l’élection des députés du Corps législatif au suffrage universel. Les parallèles avec la Constitution de l’an VIII y sont aisés, à l’exception justement du suffrage universel, seule survivance, mais capitale, de 1848.

Mais la coloration d’un régime n’est pas fixée définitivement par une constitution. Les événements et les hommes, la « force des choses » infléchissent irrésistiblement son cours. Ainsi, le climat des lendemains de décembre 1851 et la nécessité de s’y accorder ont sans doute singulièrement orienté les premières années de l’Empire.

À la résistance et à la révolte, Louis Napoléon répond par la répression. Par une série de décrets échelonnés jusqu’à l’ouverture de la première session législative, le 29 mars 1852, il liquide l’opposition. Une véritable loi de suspects permet de multiplier les arrestations, les déportations, les exils ; la presse est une fois de plus bâillonnée ; la province, plus étroitement surveillée, car le pouvoir des préfets est renforcé et les maires des communes sont désormais choisis par l’exécutif. L’université est épurée. La répression frappe à droite comme à gauche : les biens de la famille d’Orléans sont confisqués tandis que les institutions républicaines ou simplement libérales qui subsistent encore — gardes nationaux, sociétés ouvrières, clubs — disparaissent. C’est cependant la peur des « rouges » qui domine, et la mise au pas de l’opinion se fait surtout aux dépens des républicains.

Ainsi, dès les premières semaines de son installation, le régime prend un « pli réactionnaire » dont l’empreinte s’effacera difficilement.


La dynastie impériale

Un plébiscite triomphal a donc fait de Napoléon III le représentant d’une dynastie héréditaire. Mais il n’y a pas de prince héritier sans souveraine. En janvier 1853, l’empereur épouse une noble espagnole fortunée et de dix-huit ans sa cadette, Eugénie de Montijo (1826-1920). D’une remarquable beauté, élevée selon des principes catholiques et conservateurs stricts, l’impératrice n’aura d’abord que peu d’influence sur son époux. Un prince impérial naît en mars 1856. Seule manque une cérémonie du sacre pour que le mimétisme du premier Empire soit parfait. Pie IX en accepte le principe à condition qu’elle ait lieu à Rome et que les articles organiques soient supprimés. Le projet échouera, mais il n’en demeure pas moins significatif d’une ligne de conduite.

Autour de Napoléon III se retrouvent quelques représentants de la tentaculaire tribu des Napoléonides. L’empereur se montre généreux à l’égard des descendants d’Elisa, de Lucien et de la famille de Murat. Mais il n’accorde quelque confiance qu’aux deux enfants de Jérôme, ancien roi de Westphalie, Napoléon-Jérôme (1814-1847) et Mathilde (1820-1904). Napoléon-Jérôme représente à la cour l’élément le plus avancé. Anticlérical et de penchants républicains, il attend de l’Empire qu’il mène à terme l’œuvre de la Révolution. Sa sœur, la princesse Mathilde, anime à Paris, dans ses salons de la rue de Courcelles, un cercle littéraire des plus brillants. Deux bâtards jouent enfin un certain rôle parmi l’entourage impérial : Walewski, fils de Napoléon Ier, et surtout le duc de Morny, demi-frère de l’empereur en tant que fils d’Hortense de Beauharnais.


Le pays politique


Le bonapartisme

Dans un État aussi fermement pris en main par un chef assuré de l’adhésion des masses, on a le sentiment que les problèmes politiques n’existent pas. Il est vrai que, pendant les premières années de l’Empire, la vie politique est plutôt morne. La répression, le joug imposé à la presse politique assurent l’atonie générale. Mais les vues politiques du prince y contribuent aussi largement.

Le bonapartisme ne se veut ni de droite ni de gauche. Il se propose de supprimer les partis et de réconcilier les Français. De fait, il s’est rapidement dégagé de sa collusion tactique avec la coalition de droite qui avait permis la réussite du coup d’État du 2 décembre. Sa clientèle dépasse celle du parti de l’ordre, car ses ressorts sont multiples et puissants. Comme l’a très bien écrit Guizot : « C’est beaucoup d’être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d’autorité. » La gloire nationale, en le reliant à la légende, le situe bien au-dessus des partis. Les principes de 1789, brandis dès l’origine, reconnus et confirmés dans le préambule de la Constitution et par l’empereur, qui se plaît à dire : « J’appartiens à la Révolution », en bref la garantie révolutionnaire retient une partie de la gauche classique. Quant au principe d’autorité, il n’est encore que la marque du jacobinisme ; il fait partie de l’héritage des idées napoléoniennes. Une telle analyse explique pourquoi l’Empire a gagné si rapidement la confiance de la nation, et en particulier des campagnes. Le soutien des paysans n’a de fait jamais manqué au régime. Il demeure à travers cette période une composante stable et constante du système.