Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire et Restauration (styles) (suite)

Les arts du décor sont réglés par les mêmes conceptions grandioses : le célèbre tableau du Sacre, par David (Louvre), en constitue l’exemple. Napoléon appréciait le génie de Prud’hon*, mais c’est la formule rigoureuse de Pierre Guérin (1774-1833) et surtout celle d’Anne Louis Girodet-Trioson (1767-1824) qui traduisent le plus exactement une esthétique dont les sculptures de Jean Guillaume Moitte (1746-1810), de Pierre Cartellier (1757-1831), de François Frédéric Lemot (1772-1827), systématiquement graphiques, constituent le manifeste. Des maîtres plus authentiques sont le peintre Gros*, les sculpteurs Joseph Chinard (1756-1813) et Denis Antoine Chaudet (1763-1810), dont l’originalité dépasse le formalisme proprement impérial. Les arts mineurs obéissent à l’impulsion d’en haut. À l’élégance nerveuse du ciseleur Gouthière* succède la correction impersonnelle de Thomire*. L’ébénisterie impeccable de Jacob*-Desmalter limite aux modèles consacrés par l’approbation impériale une imagination dont la fertilité, sous le Consulat, avait multiplié les témoignages. Si le château de Malmaison, comme les hôtels de Beauharnais et de Bourrienne, qui subsistent à Paris, constituent des exemples typiques du décor civil impérial, les descriptions que l’on possède des appartements des Tuileries, de ceux de Mme Récamier, de Mme Tallien montrent ce caractère d’uniformité disciplinée propre au style « Empire ».

Dès les dernières années du xviiie s. étaient réapparus dans la décoration certains motifs empruntés à l’art médiéval. L’ère du Directoire et du Consulat n’a pas laissé de les exploiter : les inventaires de cette époque enregistrent des sièges en acajou désignés comme « gothiques ». Il est remarquable que le style Empire ait exclu cette formule de son répertoire, alors que les Parisiens visitaient en foule le musée des Monuments français, organisé dès 1790 par Alexandre Lenoir, et que, dès 1802, Chateaubriand réveillait, avec son Génie du christianisme, tout un passé dédaigné par la pédagogie classique. Les Bourbons rétablis vont dissoudre en 1816 la collection formée par la Constituante, mais le souvenir s’en manifeste sous maintes formes dans les arts, tant majeurs que mineurs. Les clochetons, les fenestrages lancéolés, les accolades à rampants s’associent aux ornements classiques. L’art de la Restauration, ignorant des motivations techniques des formes médiévales, ne voit en elles qu’un système ornemental. Le romantisme* s’en compose un style que l’érudition peut improuver, mais qui n en est pas moins original. Les reliures, l’encadrement des pages typographiques, les meubles, les sièges, les horloges, tout l’ameublement civil et même cultuel adoptent le style « à la cathédrale », qu’on appelle aussi troubadour. L’esprit public est entièrement tourné vers le Moyen Âge. Hugo publiera en 1831 sa Notre-Dame de Paris, à l’époque où, après l’ouverture de l’Ecole des chartes, se crée dans les universités l’enseignement de l’architecture médiévale et s’organise la protection des monuments* historiques.

La vulgarisation de l’art gothique s’effectuait en même temps par la publication des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France du baron Taylor (1789-1879) et par la reproduction de douze mille estampes ornementales du cabinet royal, qu’entreprenait l’éditeur Duchesne. « C’est avec ces faciles et abondantes ressources, écrivit Léon de Laborde (1807-1869) en son monumental rapport sur l’Exposition internationale de Londres de 1851, que l’on contrefit le vieux à tort et à travers. » L’art de la Restauration présente en effet deux caractères distincts : d’une part, il prolonge le style impérial en en assouplissant les formes rigides et en substituant à l’acajou (ou à la loupe d’orme) des essences de tonalité blonde, l’érable et le frêne ; d’autre part, il accorde aux formes du mobilier des libertés que propagent les journaux de mode. Ce sont les meubles de dame, les toilettes, les tables à ouvrage qui constituent les prototypes de ce formalisme pesant. L’afflux complexe d’influences diverses a déréglé l’évolution normale : « Nous avons de tous les siècles, hors du nôtre, s’écriait Alfred de Musset : nous ne vivons que de débris. »

C’est le temps des « antiquaires ». Alexandre du Sommerard (1779-1842) constitue, à Paris, l’admirable collection devenue le musée de Cluny. Charles Sauvageot — l’original du Cousin Pons — forme la sienne. La description de l’appartement de Victor Hugo par Théophile Gautier est positivement celle d’un cabinet de curiosités. Les ornemanistes qui n’ont pas suivi dans leur émigration les Antoine Vechte et les Léonard Morel-Ladeuil, attirés par l’Angleterre, subissent l’emprise de cette spécieuse érudition. Le bronzier Guillaume Denière (1775-1866), le peintre Aimé Chenavard (1798-1838), le sculpteur Jean-Baptiste Jules Klagmann (1810-1867) composent des modèles dans lesquels se combinent, en un amalgame désordonné, les emprunts à toutes les époques et à tous les pays : leur incontestable savoir égare ces praticiens. Par ailleurs, dans les expositions des « arts industriels » paraissent des statues en stéarine envoyées par les savonneries de Marseille, ou des paysages en angélique fabriqués par les confiseurs de Niort. « L’art, constate Léon de Laborde, est entré de nos jours partout, mais c’est un petit art qui passe par une fausse porte. » L’époque de Louis-Philippe a bien oublié la leçon des comités des expositions du début du siècle et les programmes de Chaptal et de François de Neufchâteau (1750-1828), qui excluaient les ouvrages de pure habileté, recommandant aux artisans la rationalité des formes étudiées pour le meilleur service.

G. J.

 J. Robiquet, l’Art et le goût sous la Restauration (Payot, 1928). / E. Bourgeois, le Style Empire (Laurens, 1931). / P. Francastel, le Style Empire (Larousse, 1939). / G. Janneau, l’Empire (Vincent et Fréal, 1965). / S. Chadenet, les Styles Empire et Restauration (Baschet, 1976).