Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (premier) (suite)

Dans les pays occupés, la domination française aide l’éveil des nationalismes. En Allemagne, d’intellectuel il devient politique, et beaucoup pensent avec Fichte que l’Allemagne unie a reçu de Dieu la mission de régénérer le monde. Ils tournent les yeux vers la Prusse, qui, secrètement, grâce à Gerhard von Scharnhorst (1755-1813), redevient une puissance militaire. En Italie, des poètes comme U. Foscolo poussent à la révolte. Les sociétés secrètes de carbonari la déclenchent déjà.

Cet éveil du nationalisme en Europe est d’autant plus inquiétant que la Russie se pose désormais plus en rivale qu’en alliée de la France. Le tsar n’applique plus le blocus ; il songe à conquérir le duché de Varsovie, maintenant que sa volonté d’expansion vers Constantinople est contrecarrée par Napoléon.


La campagne de Russie (1812)

Le 25 avril, le tsar somme Napoléon d’évacuer la Prusse. C’est la guerre. Le 24 juin, Napoléon, ayant concentré une armée de 700 000 hommes pris pour moitié dans les États vassaux, franchit le Niémen. Mais le gros des troupes russes lui échappera sans cesse. À Vilna et à Vitebsk en juillet comme en août à Smolensk, il ne détruit que des arrière-gardes. Engagés dans un pays où les paysans brûlent leur récolte, les Français sont menacés à la longue par la famine. Après avoir hésité, Napoléon pousse jusqu’à Moscou. Devant la ville sainte, le général Koutouzov (Mikhaïl Illarionovitch Koutouzov [1745-1813]) accepte enfin un véritable combat. Sanglante, cette bataille de la Moskova n’est pas décisive, et, si l’armée française entre dans la ville le 14 septembre, le gros de l’armée russe peut encore fondre sur elle. Le 15 septembre, Moscou brûle. L’incendie est dû aux négligences françaises mais aussi à la volonté délibérée des Russes. Les tentatives de négociation échouent. L’hiver menace. Napoléon se décide à quitter Moscou, le 19 octobre. La retraite tourne après Smolensk à la débâcle. Le capitaine Coignet raconte : « L’hiver russe commença avec toute sa rigueur dès le 6 novembre. L’Empereur faisait de petites étapes au milieu de sa garde, suivant sa voiture à pied avec un bâton ferré à la main... Les étapes étaient des plus pénibles, les chevaux mouraient de faim et de froid... Le froid était terrible déjà ; dix-sept degrés au-dessous de zéro. Cela produisit de grandes pertes dans l’armée. Smolensk et les environs regorgeaient de cadavres. » « Ney, le brave des braves », protège la retraite, et l’armée parvient enfin à la Berezina. C’est alors que, pour reprendre les termes mêmes du Prussien Karl von Clausewitz*, « Napoléon sauve intégralement son honneur et acquiert même une nouvelle gloire ». Du 25 au 29 novembre, malgré les attaques de deux armées russes qu’il parvient à contenir, ses troupes franchissent le fleuve. Les pontonniers du général Éblé (Jean-Baptiste Éblé [1758-1812]) y laisseront leur vie. Le 16 décembre, ceux dont ni la faim, ni le froid, ni les partisans, paysans enrôlés dans une guerre sainte, n’ont eu raison parviennent au Niémen. Ils ne sont plus que quelques dizaines de milliers. Napoléon est déjà à Paris. La conspiration du général Malet (Claude François de Malet [1754-1812]) l’a rappelé en hâte. Le 23 octobre 1812, ce dernier, faisant courir le bruit de la mort de Napoléon, a tenu le pouvoir quelques heures. Le préfet de la Seine a fait préparer une salle de séance à l’Hôtel de Ville pour le « gouvernement provisoire ». Et Napoléon II ? « Ce diable de roi de Rome, on n’y pense jamais », répondra-t-il. La monarchie dont Napoléon croyait avoir assuré la pérennité se révèle bien fragile.


La campagne d’Allemagne (1813)

La Prusse s’allie à la Russie et déclare en mai la guerre à Napoléon. Battue à Lützen et à Bautzen, le 2 et le 20 mai, elle obtient un sursis grâce à l’Autriche, qui s’entremet et lanterne Napoléon au congrès de Prague. Le 12 août, l’Autriche entre à son tour en lice.

Mal secondé par ses lieutenants, Napoléon se replie malgré la victoire de Dresde, où il s’est trouvé en face du général Moreau (Jean Victor Moreau [1763-1813]). En cette journée du 27 août, le vainqueur de Hohenlinden est tué par des armes françaises. Du 16 au 19 octobre, c’est à Leipzig ce que les Allemands appellent la bataille des Nations. Napoléon contient Schwarzenberg (Karl Philipp von Schwarzenberg [1771-1820]), mais, trahi par ses troupes saxonnes, il ordonne la retraite. Quand il repasse le Rhin, le 2 novembre, le typhus décime les restes de son armée.

La Suisse, la Hollande, le royaume de Naples, même, où Murat trahit, rejoignent le camp de ses ennemis. Au sud, l’Anglais Wellington*, vainqueur de Jourdan (Jean-Baptiste Jourdan [1762-1833]) le 21 juin à Vitoria, pousse les Français au-delà des Pyrénées. Toulouse est bientôt menacée.


La campagne de France (1814)

Alors commence la campagne qui, malgré son issue, demeure pour beaucoup de stratèges la plus prestigieuse accomplie par Napoléon. Ses soldats sont en petit nombre, ils sont pour la plupart de très jeunes recrues sans expérience, des « Marie-Louise ». Par une série de manœuvres foudroyantes, il va interdire aux alliés de concentrer leurs forces. Le 10 février, à Champaubert, il anéantit le corps d’Olsoufiev ; le 11, il détruit à Montmirail celui de Sacken. Le lendemain, Ludwig Yorck (1759-1830) est battu à son tour, mais l’inertie de Macdonald lui permet de s’enfuir. Le 18, à Montereau, Schwarzenberg ne peut tenir devant un chef en pleine possession de ses moyens et qui, aux premiers rangs de sa troupe, se rit de la mort. Un boulet tombe à ses pieds : « Le boulet qui doit me tuer n’est pas encore fondu. » Mais, sur le point de détruire l’armée de Gebhard Leberecht Blücher (1742-1819), il échoue : Soissons capitule, ce qui permet aux troupes ennemies d’éviter l’encerclement et leur ouvre le passage de l’Aisne. Hardiment, Napoléon laisse Paris ; il fonce en direction de l’est, cherchant à entraîner un ennemi qui peut craindre de voir les communications avec ses arrières coupées. Mais les coalisés n’en ont cure : ils marchent sur Paris, qui, malgré le sacrifice des polytechniciens, devra se rendre le 31 mars au matin.

Le 2 avril, quelques sénateurs réunis par Talleyrand votent la déchéance de l’Empereur, et, quatre jours plus tard, appellent Louis XVIII. Napoléon, sous la pression de ses maréchaux, abdique. Le traité de Fontainebleau lui donne une dotation et la souveraineté de l’île d’Elbe. Il y parviendra non sans avoir été menacé dans sa vie par les royalistes de la vallée du Rhône.