Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (premier) (suite)

Avec le militaire, le fonctionnaire est l’autre pilier du régime. C’est rarement un homme nouveau. Formé par l’Ancien Régime, il a fait carrière sous la Révolution, qui l’a légué à l’Empire. Pierre François Piorry peut servir d’exemple pour ce groupe social. Né en 1758, il est juge seigneurial en Poitou quand la Révolution commence. Conventionnel, membre du comité de législation, il sera contrôleur des marchés de l’État. Écarté en Thermidor, Brumaire lui redonne du service, et Napoléon saura utiliser ses compétences juridiques aussi bien en Allemagne qu’en Belgique.


Le despotisme

C’est grâce à de tels hommes que l’absolutisme impérial s’étend et se renforce. Dernier des « despotes éclairés », Napoléon accentue au fur et à mesure des années son régime autoritaire. Les assemblées délibérantes n’ont plus guère de pouvoir ; le tribunat est même supprimé en 1807. L’Empereur n’écoute plus que lui-même et révoque sans merci tout ministre qui ne se conduit pas comme un simple chef de service.

« Chacune des branches d’administration a une partie qui la subordonne à la police » (circulaire impériale, 1805). Dans une société où les indicateurs de police sont légion, les atteintes à la liberté individuelle sont quotidiennes. Les simples suspects d’opposition disparaissent ; leur sort est souvent le même : enlevés par la police, ils finissent leurs jours dans les maisons de fous.

Il n’y a plus de liberté d’opinion. Le 22 avril 1805, Napoléon écrit à Fouché : « Le temps de la révolution est fini, il n’y a plus en France qu’un parti ; je ne souffrirai jamais que les journaux disent ni fassent rien contre mes intérêts ; ils pourront faire quelques petits articles où ils pourront mettre un peu de venin, un beau matin on leur fermera la bouche. » Romans ou pièces de théâtre, toute littérature est objet de censure, et l’écrivain rebelle — tels Chateaubriand et Mme de Staël — est éloigné de Paris.

La direction des esprits est complétée par la mainmise totale sur l’Église de France. Celle-ci, comblée d’honneurs, doit en échange apprendre au peuple le catéchisme impérial (1806). Toute désobéissance à l’Empereur y est considérée comme un péché mortel. Enfin, dernier domaine institutionnel où celui-ci innove complètement : l’Université. En même temps qu’il doit lui fournir les cadres nécessaires à son régime, l’enseignement doit former l’opinion morale de la jeunesse. « Recommandez, écrit-il au grand maître de l’Université, le respect pour la religion et les lois ; écartez tout ce qui pourrait donner de fausses idées du vrai et tout ce qui pourrait faire errer de jeunes têtes. » Uniforme, l’enseignement est donné dans des lycées ou des collèges au programme commun : les belles-lettres et le latin notamment y font une place aux mathématiques et à la physique. Laïc, il est dispensé par des professeurs qui, célibataires pour la plupart, vivent en uniforme, prêtent serment et peuvent être emprisonnés pour manquement à une discipline quasi militaire qui leur est imposée ainsi qu’à leurs élèves. Centralisé, enfin, cet enseignement possède un cadre : les facultés sont, avec les lycées, regroupées dans l’Université, qui possède le monopole de la collation des grades. Dans ses principes essentiels, reconnaît l’historien J. Godechot, elle devait subsister jusqu’en 1968.


L’art dans la cité impériale

Frapper les esprits des générations présentes et futures, l’art lui en fournit aussi le moyen. La peinture, comme les autres beaux-arts, a une valeur de propagande. Cet arrêté du 3 mars 1806 l’exprime à merveille :

« Article premier. Les sujets, ci-après désignés, seront exécutés en peinture par les sommes attribuées à chacun desdits sujets, savoir :
« 1o L’Empereur haranguant le IIe corps d’armée sur le pont du Lech ;
...
« 5o L’entrevue de Napoléon et de l’empereur François II ;
...
« 8o Les comices de Lyon.
« Les huit tableaux ci-dessus seront exécutés dans la proportion de 3 mètres 3 décimètres de haut sur 4 ou 5 mètres de large. »

David ou Gros sauvèrent avec peine l’art d’un tel dirigisme. En architecture, les effets en furent plus heureux.

Paris, capitale de l’Europe, rassemble dans son Musée, ses Archives ou sa Bibliothèque les trésors spirituels enlevés aux pays conquis. Centre de l’Empire, il doit être la plus moderne des villes. Les quartiers du Châtelet et de Notre-Dame sont rénovés, tandis que les trottoirs commencent à border les rues et que de nouveaux ponts sont jetés sur la Seine (Austerlitz et Iéna).

Partout, le goût de Napoléon pour l’antique y est sensible, aussi bien dans le décor de la vie quotidienne, du mobilier par exemple, que dans la façade des monuments (pavillon de Marsan, Palais-Bourbon, église de la Madeleine, temple dédié à la gloire de l’armée qui ne sera fini, comme l’Arc de triomphe, qu’après l’Empire). Cette « romanisation » de Paris, qu’apprécie d’ailleurs la génération arrivée au pouvoir avec Napoléon, se marque enfin par l’érection (août 1810) de la colonne de la place Vendôme. Réplique de la colonne Trajane, elle déroule les fastes militaires de l’Empire ; comme jadis les places royales, elle est la marque du despote sur l’espace habité.


La chute de l’Empire


Le souverain vieillissant et le réveil de l’Europe

La série des dessins que Girodet-Trioson fait de Napoléon à Saint-Cloud en 1812 est révélatrice ; il commence à être marqué par l’âge. La dépense d’énergie qui, en toutes choses, lui est coutumière le jette maintenant dans de fréquentes somnolences. Mais si « le corps se tasse et engraisse », s’il est de plus en plus miné par le cancer qui l’emportera, son esprit « reste étonnant d’ardeur et de lucidité » (G. Lefebvre). Sûr de son génie et de la médiocrité des autres hommes, il supporte moins que jamais toute manifestation d’opposition. Or celle-ci se multiplie.

En France, celle de la bourgeoisie d’affaires s’ajoute à celle, traditionnelle, de la « bourgeoisie à talent ». Inquiète de l’ébranlement causé par la crise de 1811, elle se résigne mal à une nouvelle guerre qui s’annonce avec la Russie, alors qu’en Espagne l’édifice se lézarde. Derrière la bourgeoisie, il y a ses salariés ou ses clients ; en majorité catholiques, ils s’émeuvent du sort qui est fait au souverain pontife. Le concile national réuni pour passer outre au refus du pape de donner son investiture canonique aux nouveaux évêques traduit ce malaise : il n’accepte pas d’entrer dans les vues de Napoléon et de réduire l’héritier de saint Pierre au rang d’un simple évêque. Les injures de Napoléon, les emprisonnements d’évêques, l’incarcération du pape à Fontainebleau en 1812, tout confirme les catholiques dans l’idée qu’il est un César sacrilège que le pape a excommunié. Ouvertement, certains prêtres prêchent la désobéissance.