Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Émilie-Romagne (suite)

L’économie est vigoureuse. La population active s’emploie pour 20 p. 100 dans l’agriculture, pour 43 p. 100 dans l’industrie et pour 37 p. 100 dans les activités tertiaires. L’agriculture émilienne joue un rôle de premier plan dans le pays. La fertilité naturelle, une population de cultivateurs ayant des exploitations en faire-valoir direct moyennes et pratiquant la culture mixte (coltura promiscua), les grands travaux de bonification et de réforme agraire, l’apparition d’exploitations modernes contribuent à la prospérité. La région est au premier rang en Italie pour le blé (13 p. 100 de la production ; rendement de 40 q/ha) et au troisième ou quatrième rang pour la production vinicole (15 p. 100). Mais il y a d’autres cultures : tomates autour de Plaisance (16 p. 100 du pays), betterave à sucre près de Ferrare (50 p. 100), fruits et légumes dans toute la région (60 p. 100 des poires, 32 p. 100 des pêches, 26 p. 100 des oignons, 20 p. 100 des asperges du pays). L’élevage est très important, aussi bien bovin que porcin (respectivement 13 p. 100 et 24 p. 100 du cheptel italien). La pêche est notable avec la spécialité de la pêche des anguilles dans les lagunes.

L’industrie est caractérisée par la floraison d’initiatives locales dans de moyennes entreprises avec, plus récemment, la naissance de foyers nouveaux. Il y a d’abord toutes les industries alimentaires, dérivées de l’agriculture, depuis la minoterie jusqu’à la conserverie ; la fabrication du « parmesan » et celle du « jambon de Parme » sont célèbres. Des spécialisations locales sont nées : automobiles Ferrari et Maserati à Modène, bonneterie à Carpi, carreaux et faïences pour le bâtiment à Sassuolo. L’industrie lourde manquait, car la région n’avait pas de sources énergétiques, mais la découverte de gisements de méthane et l’importation aisée d’hydrocarbures par Ravenne ont permis la pétrochimie à Ferrare et à Ravenne. Enfin, il y a les activités tertiaires. Le commerce a une grande place tant pour les besoins locaux que pour la vente des produits agricoles. L’Émilie est une grande voie de passage (autoroute du Soleil, voie ferrée Milan-Rome), et Bologne est un très gros nœud de communications. Quant au tourisme, il est très développé sur la côte (Milano Marittima, Cesenatico, Rimini, Riccione, Cattolica) ; ce tourisme balnéaire d’été se complète par un tourisme de transit dans les villes d’art (Parme, Bologne, Ravenne et Ferrare surtout).

Une telle économie retient une population abondante, qui émigré peu et qui se masse essentiellement le long de la via Emilia. La région possède ici un remarquable alignement de villes sur quelque 300 km. D’ouest en est, on trouve Plaisance (109 000 hab.), riche centre industriel et agricole tourné vers Milan, Parme (177 000 hab.), élégante capitale provinciale qui s’industrialise, les grosses cités de Reggio nell’Emilia (130 000 hab.) et de Modène (177 000 hab.), Bologne (490 000 hab.), la capitale régionale, Forli (109 000 hab.) et Rimini (125 000 hab.). À l’écart de cet axe, il y a encore Ferrare (155 000 hab.) et Ravenne (138 000 hab.). Cet ensemble urbain est complété par la présence d’une vingtaine de cités entre 20 000 et 80 000 habitants. Ainsi, l’Émilie, sans perdre son originalité, s’intègre dans le groupe des régions italiennes à forte croissance économique.

E. D.

➙ Bologne / Parme.

 U. Toschi, Emilia-Romagna (Turin, 1961).

Eminescu (Mihai)

Poète roumain (Ipoteşti, près de Botoşani, 1850 - Bucarest 1889).


Fils de petits boyards, il eut une vie tourmentée. Après ses études à Tchernovtsy, il est employé au tribunal de Botoşani, puis il est copiste et souffleur dans différents théâtres. Étudiant à Vienne (1869-1871) et à Berlin (1872-1874), il devient directeur de la Bibliothèque universitaire de Iaşi (1874), inspecteur des écoles (1875-76), rédacteur au Curierul de Iaşi (Courrier de Iaşi), puis, avec Ion Luca Caragiale (1852-1912) et Ioan Slavici (1848-1925), au journal conservateur bucarestois Timpul (le Temps). En 1883, il est frappé d’aliénation mentale ; sa carrière sociale est alors pratiquement achevée.

En 1866, il a débuté dans les lettres par un poème votif dédié à son professeur de roumain de Tchernovtsy, Aron Pumnul (1818-1866). Puis il donne à la revue Familia (la Famille) de Budapest des vers érotiques et patriotiques. Mais la publication qui le consacre est Convorbiri literare (Causeries littéraires) de Iaşi, organe de la société littéraire Junimea (la Jeunesse). Il y collabore régulièrement à partir de 1869.

Un seul volume de vers parut de son vivant, sous le titre de Poezii (Poésies) en 1883, préfacé par Titu Maiorescu (1840-1917). Nombre de poésies furent imprimées après sa mort, découvrant un trésor inestimable dans les 15 000 pages de manuscrits qui nous sont restées. L’œuvre d’Eminescu est avant tout romantique, nourrie des préoccupations de l’époque militante de 1848, marquée par le culte du folklore en tant qu’expression du génie national et par de vastes lectures philosophiques, principalement des écrivains allemands. Dominée par le sentiment du temps et de l’histoire, la création d’Eminescu révèle une sensibilité oscillant entre l’élan titanesque et la méditation sombre, entre la soif de bonheur et la renonciation, entre la fascination du rêve et le poids de la réalité quotidienne. Le poète crée des univers mythologiques où il projette la tragique condition humaine, l’aspect contradictoire d’une existence où même « le charme est douleureux ». Sa poésie célèbre la communion de l’homme avec la nature infinie et éternelle (Călin, file din poveste [Călin, feuillets d’un conte]), et évoque les pages glorieuses du passé historique et, par contraste, les aspects amers du présent déchu, alternant l’ode et la satire (Scrisoarea III [la Troisième Épître]). Eminescu s’attaque au dilemme du génie dans une société hostile aux valeurs spirituelles (Luceafărul [Hypérion]) ; il proteste contre l’iniquité, évoquant les épisodes de la Commune de Paris (Împărat şi proletar [Empereur et prolétaires]) ; il s’évade en dehors des agglomérations humaines, au milieu d’un paysage opulent, considéré comme le lieu de la vraie liberté naturelle, où la forêt et le lac, baignés dans les rayons de la lune, deviennent des métaphores de l’éternité : Floare albastră (Fleur bleue), Povestea teiului (le Conte du tilleul) ; il confère à l’amour et à la mort des vertus tutélaires, l’un et l’autre revenant comme leitmotiv dans Lacul (le Lac), Dorinţa (le Désir), Sara pe deal (le Soir sur la colline), O, mamă (Oh, mère). Le lecteur d’aujourd’hui découvre cependant dans les poèmes restés en manuscrit un Eminescu obsédé par l’histoire, qu’il envisage comme une grande révolution cyclique involutive (Panorama deşertăciunilor [Panorama des vanités]), mais aussi un poète curieux d’analyser les aspects oniriques de l’existence. La prose d’Eminescu révèle les mêmes qualités et les mêmes obsessions. Le conte Făt-Frumos din lacrimă (le Prince charmant issu de la larme) s’attache à exploiter le folklore national. La nouvelle Sărmanul Dionis (le Pauvre Dionis) a pour point de départ la thèse kantienne sur le temps et l’espace, et débat le problème de la relativité et de la faim humaine d’absolu. Le conte posthume Avatarii faraonului Tlá (les Avatars du pharaon Tlá) traite de la métempsycose. Le roman posthume Geniu pustiu (le Génie stérile), inspiré des événements révolutionnaires de 1848, peint des héros « catilinaires », réunissant des traits byroniens et faustiens. Admirateur de la littérature populaire, militant pour un art à même de mettre en valeur la tradition et l’esprit national, Eminescu s’avère cependant ouvert à d’autres sources d’inspiration. Certaines poésies (Christ) le mettent sous le signe du préraphaélisme, et d’autres, surtout du temps de sa jeunesse, font l’éloge de l’équilibre et de l’harmonie spécifiques à l’Antiquité. Un compte rendu des nouvelles de Ioan Slavici témoigne de sa compréhension du réalisme. Mais Eminescu reste avant tout par son extraordinaire génie verbal le plus grand lyrique roumain et l’un des poètes majeurs de la littérature universelle.

T. B.