Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Élisabeth Ire (suite)

Tout était prêt : mais où aller ? On pensa d’abord à la seule voie encore libre : le passage du Nord-Ouest, jusqu’à la Chine. La compagnie de Cathay, fondée à cette intention, réussit seulement à tourner le monopole de la Hanse en établissant des relations commerciales avec la Russie. Mais les pertes subies dans ces mers terribles, où s’illustrèrent des marins comme Martin Frobisher (v. 1539-1594), Michael Lok ou Anthony Jenkinson, détournèrent les Anglais de cette voie : ceux-ci durent chercher à se faire une place dans les mers du Sud. Ils essayèrent d’abord du commerce, mais l’attaque et la destruction partielle de la flotte de John Hawkins et de son lieutenant Francis Drake (v. 1543-1596) à San Juan de Ulúa (Veracruz, Mexique) par la flotte espagnole (sept. 1568) montrèrent que seul l’affrontement avec l’Espagne leur ouvrirait la mer.

L’ancienne alliée devint donc l’ennemi. Deux événements rendirent possible ce changement. En France, le massacre de la Saint-Barthélemy ouvrait une ère de guerre civile qui supprimait tout danger pour l’Angleterre. Aux Pays-Bas, Guillaume d’Orange et les « Gueux de mer » — d’ailleurs souvent abrités dans les ports anglais — déclenchaient la révolte contre l’Espagne.

Élisabeth était trop prudente pour attaquer de front : elle se contenta de laisser faire les marins anglais. Ce furent des corsaires (les « sea dogs ») qui entamèrent la lutte, essayant de couper les communications de l’Espagne avec l’Amérique (première attaque de Drake sur Nombre de Dios, où étaient entreposés les métaux précieux destinés à l’Europe, en 1572) ou encore poursuivant les grands voyages dans le dessein de saper la puissance coloniale de l’Espagne (c’est encore Francis Drake qui réussit, entre 1577 et 1580, à faire le premier tour du monde anglais, pillant les ports péruviens et négociant avec le sultan des Moluques).

Élisabeth caressa d’abord l’espoir de faire à l’Espagne une guerre par personne interposée : mais les résultats du conflit franco-espagnol déclenché par les prétentions du duc d’Anjou concernant les Pays-Bas (1582-83) furent si décevants qu’il lui fallut bien accepter la confrontation. En 1585, le masque était levé : Élisabeth traita avec les Provinces-Unies (août) ; Leicester, protecteur des Provinces-Unies, conduisit les troupes anglaises, mais il se révéla bien piètre général.

Les succès anglais allaient venir de la mer. Hawkins venait de faire de la marine un remarquable instrument : s’inspirant des pratiques des corsaires, il avait remplacé les lourds navires-forteresses chargés d’infanterie par des vaisseaux maniables, rapides, dotés d’une puissante artillerie. En 1587, Drake allait piller le port de Cadix, bloquait près d’un mois le port de Lisbonne et amassait un butin considérable. Mieux encore : lorsqu’en 1588 les Espagnols voulurent venger cet affront, l’énorme flotte qu’ils avaient groupée, l’« Invincible Armada », désorganisée par les bancs de sable de la Manche, harcelée par la marine anglaise, obligée, pour s’échapper, de contourner l’Écosse et l’Irlande, fut détruite aux deux tiers. Même si les navires anglais n’eurent plus autant de succès par la suite (échec de l’expédition de Lisbonne en 1589, inefficacité du blocus de l’Atlantique) et si la mort de Drake, en 1596, priva Élisabeth du meilleur de ses marins, l’Angleterre avait définitivement conquis une place de choix sur les océans et sauvegardé sa sécurité, à l’abri de toute riposte à domicile.

Elle put désormais porter de rudes coups à l’Espagne sur le continent lui-même. Les armées anglaises, confiées à de bons chefs, jouèrent un rôle important dans la libération des Provinces-Unies. Et, de 1589 à 1595, plusieurs expéditions furent envoyées en France au secours des protestants et d’Henri de Navarre. Philippe II essaya bien de reprendre cette stratégie à son compte : il soutint les Irlandais révoltés (1596 et 1598), mais sans succès. Non seulement Élisabeth avait conquis le respect et l’admiration de l’Europe, mais encore c’est sous son règne que se réalisait le travail préparatoire nécessaire à ce qui devait être la plus grande œuvre anglaise : déjà commençait la colonisation de l’Amérique du Nord ; déjà le commerce anglais s’introduisait dans toutes les mers.


La mort de la reine

Le 24 mars 1603 Élisabeth mourait : aussitôt, Robert Carey, comte de Monmouth, montait à cheval et partait pour l’Écosse prévenir Jacques VI. L’union de l’Angleterre et de l’Écosse était faite. Ainsi se terminait un règne qui avait, en fin de compte, réalisé ce qui avait été en quelque sorte le programme des deux premiers Tudors : unifier l’Angleterre, en faire une grande nation, respectée du monde entier.

J.-P. G.

➙ Angleterre / Anglicanisme / Édouard VI / Henri VIII / Marie Stuart / Marie Tudor / Tudor.

 A. L. Rowse et G. B. Harrison, Queen Élizabeth and her Subjects (Londres, 1935). / J. B. Black, The Reign of Élizabeth (Oxford, 1936 ; 2e éd., 1959). / S. S. T. Bindoff, Tudor England (Harmondsworth, 1950). / A. L. Rowse, The Elizabethan Age (Londres, 1950-1955 ; 2 vol.). / J. E. Neale, Élizabeth and her Parliaments (Londres, 1953-1957 ; 2 vol.) ; Essays in Elizabethan History (Londres, 1958) ; Queen Elizabeth I (Harmondsworth, 1960). / L. Cahen et M. Braure, l’Évolution politique de l’Angleterre moderne, 1485-1660 (A. Michel, 1960). / G. L. Mosse, The Struggle for Sovereignty in England from the Reign of Queen Élisabeth to the Petition of Rights (New York, 1968). / A. Castagna, Panorama du siècle élisabéthain (Seghers, 1970).

élisabéthain (théâtre)

Ensemble des œuvres dramatiques créées en Angleterre pendant l’« ère élisabéthaine ».



Merry England

Entre la représentation devant la reine Élisabeth Ire de Gorboduc, première tragédie anglaise, et l’acte du Parlement puritain ordonnant la fermeture des théâtres, en 1642, quatre-vingts années se sont écoulées. Des milliers de pièces ont été écrites, jouées. Trois règnes se sont accomplis. Une évolution fort perceptible du genre se dessine, et l’histoire littéraire souligne, dès la première moitié du xviie s., une certaine « humeur jacobéenne » suivie un peu plus tard d’une « Caroline stage ». Malgré tout, c’est autour d’un nom unique, celui de la fille d’Henri VIII, que se rassemble, dans son foisonnement, sa splendeur, sa variété, sa curiosité universelle, ce qui constitue le premier vrai théâtre anglais, dans un temps portant en lui toutes les prémices de l’Angleterre moderne. Sous Henri VIII, rien ne semble parler de Renaissance. Quand Élisabeth accède au trône en 1558, Thomas Sackville, John Lyly, George Peele, Robert Greene viennent à peine de naître. Ni Ben Jonson, ni Marlowe, ni Shakespeare* n’ont vu le jour. Trente ans plus tard, la richesse du théâtre anglais est telle qu’aucun autre pays ne saurait en offrir de semblable.