Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Élisabeth Ire (suite)

Une jeune reine

Malgré les vicissitudes de sa jeunesse, Élisabeth avait reçu une éducation soignée. Alors que sa sœur Marie était entourée d’oxoniens, catholiques avancés, Élisabeth fut confiée à des humanistes de Cambridge, protestants passionnés. Excellente helléniste, bonne latiniste, elle parlait parfaitement l’italien, le français et l’espagnol. On a conservé nombre de ses écrits (dans une calligraphie italienne réputée) : dès sa jeunesse, Élisabeth employa un style complexe et souvent obscur, très élaboré. Cela en rend la lecture aujourd’hui peu agréable... Mais la reine fut un remarquable orateur, certainement l’un des meilleurs de son époque ; elle savait admirablement mener une conversation. Les difficiles conditions de sa jeunesse lui avaient appris très tôt la dissimulation et la prudence.

Comme son intelligence et sa culture, son aspect et sa personnalité jouaient en sa faveur. De taille moyenne, mais paraissant grande, elle avait des cheveux blonds tirant sur le roux dont elle était fort fière. Son teint était blanc avec, cependant, des nuances olivâtres. Elle avait pardessus tout un air de majesté qui en imposait beaucoup à ses interlocuteurs. Néanmoins, vive et enjouée, elle chassait à courre avec furie et jouait du virginal avec autant de délicatesse que de virtuosité. Elle réunit autour d’elle une cour brillante où la musique et les lettres fleurirent : la gaieté y était de mise si l’on fait abstraction des controverses théologiques auxquelles se complaisait la reine. Sa santé était solide, encore qu’elle ait souffert dans sa jeunesse d’un emphysème chronique : elle résista à une petite vérole qui enleva bien des dames de sa cour.


L’impossible mariage

Il paraissait inconcevable que la jeune reine ne se mariât pas. Il est vrai que le choix était difficile : il n’y avait plus, depuis la mort d’Edward Courtenay, comte de Devon, emporté par la fièvre en 1556, de parti anglais acceptable. Courtenay, descendant des souverains yorkistes, était au-dessus des autres membres de l’aristocratie anglaise et ne risquait pas d’éveiller leur jalousie. Le comte d’Arundel et sir William Pickering, qui s’affichèrent un temps comme prétendants, n’avaient pas la moindre chance.

Restaient les étrangers : Philippe II d’Espagne d’abord, veuf de Marie Tudor, qui, dans son désir de conserver vivante l’alliance anglaise, aurait bien voulu conclure un second mariage anglais. Mais les Espagnols étaient par trop impopulaires, et Élisabeth était une protestante convaincue. Après quelques négociations, le projet échoua, comme échouèrent les projets de mariage avec les archiducs autrichiens Ferdinand et surtout Charles, qui fut peut-être le plus près de réussir. Un prince protestant, Erik XIV de Suède, fut lui aussi repoussé.

C’est que, pendant que ces négociations officielles se poursuivaient, l’esprit et le cœur de la reine n’étaient occupés que d’un seul homme, Robert Dudley (v. 1532-1588), comte de Leicester en 1564. De 1560 à 1563, il parut probable que ce mariage aurait lieu. Beau, élégant. Dudley, membre du Conseil depuis 1559, jouissait de la faveur royale, mais il était marié et avait de puissants ennemis dans la noblesse anglaise (le duc de Norfolk en particulier). Or, en 1560, sa femme, Amy Robsart, se brisait le cou en tombant du haut de l’escalier du manoir dans lequel elle vivait retirée. La mort d’Amy Robsart fut un obstacle infranchissable au mariage d’Élisabeth avec Dudley. D’innombrables libelles dénoncèrent le meurtre d’Amy Robsart par son cruel mari : une enquête eut beau conclure à l’innocence de Dudley, rien n’y fit.

Il fallut trois ans à Élisabeth pour comprendre qu’elle ne pourrait arriver à ses fins. La seule tentative qui aurait pu réussir fut celle d’un mariage avec le duc d’Anjou (1579 et 1581-82), mais les Communes eurent beau prier la reine, elle répondit que ce mariage était une affaire qui ne regardait qu’elle : sans doute avait-elle compris que le mariage était incompatible avec le trône. L’exemple de Philippe et de Marie lui avait montré les maux d’un mariage étranger, sa propre expérience avec Thomas Seymour lui avait aussi prouvé à quel point un mariage anglais risquait de faire d’elle un jouet aux mains des factions de l’aristocratie.


Élisabeth et les Anglais

Le mariage de la reine était un problème capital ; de lui dépendait la succession à la couronne d’Angleterre et donc la stabilité politique du pays. Si Élisabeth était morte au même âge que son père, l’Angleterre aurait certainement connu la guerre civile.

D’ailleurs, la sécurité du pouvoir fut à plusieurs reprises menacée : c’est du côté catholique que la menace fut la plus sérieuse, car il y avait là une candidate au trône, Marie* Stuart. Lorsque ses déboires écossais eurent amené celle-ci à se réfugier en Angleterre (1568), les complots contre Élisabeth se multiplièrent. Le premier, hétérogène, fut cependant le plus sérieux. On y trouvait des nobles conservateurs, comme Thomas Howard (1538-1572), duc de Norfolk, mais aussi les grands féodaux catholiques du Nord (Thomas Percy, Charles Neville, puis Thomas Dacre), appuyés sur leurs paysans (1569). Cette révolte fut réprimée sans grand mal, et la reine se montra clémente. Après que le pape Pie V eut, en 1570, excommunié Élisabeth, un financier italien, Roberto Ridolfi (1531-1612), prit toute une série de contacts pour mettre au point un complot qu’il essaya de vendre à l’Espagne. Le gouvernement anglais eut connaissance de la machination (1571), qui fut démantelée. Norfolk fut exécuté, mais Élisabeth fut encore clémente envers Marie Stuart, malgré les prières du Parlement. Ce n’est qu’en 1587 que Marie fut exécutée, victime de l’intensification de la propagande catholique et de sa propre naïveté. La mort de Marie résolvait le problème successoral : son fils, le roi d’Écosse Jacques VI, était en effet un candidat très acceptable pour l’opinion anglaise.

La question religieuse fut l’une des plus difficiles du règne. Élisabeth était protestante, mais elle attachait plus de prix à l’unité nationale qu’à tel ou tel point de doctrine. Elle chercha donc, avec la collaboration d’hommes comme Matthew Parker (1504-1575) ou John Whitgift (v. 1530-1604), tous deux archevêques de Canterbury, à échafauder une Église protestante modérée et anglaise. Que ce soit dans le cas des trente-neuf articles de 1563 ou dans celui des constitutions ecclésiastiques de 1571, le rôle de la Couronne, appuyée sur l’épiscopat, fut primordial.