Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

La traduction en allemand de Shakespeare par Christoph Martin Wieland (1733-1813) a été probablement de tous ses ouvrages celui qui a eu les plus vastes effets. Alors qu’on leur proposait obstinément d’imiter le théâtre du grand siècle français, les jeunes auteurs de 1770, à qui Wieland offrait la première bonne traduction allemande, firent de Shakespeare le démiurge du théâtre moderne, le symbole du génie créateur qui se moque des critiques et des règles, l’évocateur inspiré de la grandeur et des bassesses humaines. Tout le « temps des génies » a vécu dans ce culte et Shakespeare n’a pas cessé, deux siècles durant, d’être au répertoire de tous les grands théâtres allemands.

Mais Wieland, romancier dans le goût voltairien, a été aussi précepteur du duc de Weimar, lequel a su attirer les jeunes « génies » qui allaient être les grands poètes classiques.


Le temps des génies

Ce « temps des génies », rousseauiste et « gothique » à la fois, est la période située entre 1770 et 1780 où apparurent, autour de Goethe, un groupe de jeunes auteurs dont la plupart n’ont eu qu’une brève carrière mais qui a été, surtout dans les pays rhénans, une période d’ardentes découvertes, de protestations contre la tradition, la raison, la mesure, la bigoterie et la platitude, au nom de l’émancipation.

Il y a eu d’abord les prophètes du génie, ainsi Hamann, polémiste souvent confus mais prédicateur inspiré d’une humanité « totale », nourrie de la Bible, et surtout Herder (1744-1803), pasteur de l’Église luthérienne, philosophe des origines du langage et surtout explorateur des littératures populaires et des traditions nationales. Collectant les chants populaires dès sa jeunesse dans les pays baltes, il a remis en honneur l’ancienne poésie allemande et il renvoie tous ceux qui l’écoutent au vieux fond mystérieux et inépuisable de la poésie allemande d’autrefois. La « poésie naturelle » était, à ses yeux, la seule véritable, et son grand recueil de poésies populaires, allemandes et slaves, commencé en 1765 et publié en 1778-1779, repris sous le titre Voix des peuples dans leurs chants en 1807, a inspiré plusieurs générations de poètes jusqu’à Heine.

Le théâtre de cette époque véhémente et brève est tout shakespearien : Sturm und Drang (Tempête et élan) est le seul titre qu’on retienne de Klinger, parce que les historiens de la littérature s’en servent souvent pour caractériser cette révolte du génie allemand contre les conventions classiques ; l’Infanticide est un drame audacieux et pathétique du Strasbourgeois H. L. Wagner. Mais Lenz, compagnon proche de Goethe dans sa période strasbourgeoise, est plus original et sa fortune posthume a fait de lui un ancêtre des dramaturges du xxe s. Venu des pays baltes, vibrant et sensible, il a mis en accusation la société de son temps, avec une lucidité dont la violence l’a brisé lui-même, après lui avoir fait briser toutes les règles du théâtre conventionnel. Une scène de Lenz est un cri, une explosion, un appel à l’humanité et souvent une malédiction. Le Précepteur (1774) et les Soldats (1776) sont des drames sociaux d’un réalisme brutal, « redécouverts » au xxe s.

En 1775, Johann Wolfang Goethe*, né à Francfort en 1749, quitte définitivement sa ville natale pour aller vivre à Weimar, invité par le duc Charles-Auguste, qui veut s’attacher ce jeune poète dont le premier roman, Werther, a fait scandale un an plus tôt, mais a consacré son auteur. Cette alliance d’un petit prince et d’un grand poète marque le début de la période la plus brillante des lettres allemandes. C’est comme l’acte de naissance du « classicisme de Weimar ».


Les classiques de Weimar

Dans l’histoire de la littérature allemande, Goethe occupe une place incomparable par l’ampleur et la diversité de son œuvre, en même temps que par l’action qu’il a menée autour de lui. À Strasbourg déjà, il apparaissait comme le centre du groupe des jeunes auteurs que le hasard avait réunis dans la vallée du Rhin ; à Weimar, où il sera conseiller du prince, ministre et directeur de théâtre, il ne cessera jamais d’être au centre de ce monde des Muses où Mme de Staël découvrira une nouvelle Athènes ; les romantiques à leurs débuts se définiront par comparaison avec Goethe, qui, durant ses vingt dernières années, sera vénéré — et quelquefois moqué — comme le Jupiter de l’Olympe poétique allemand.

Créateur polymorphe, jouant dès sa jeunesse des formes les plus variées de l’expression verbale, Goethe s’est affirmé par sa capacité de donner dans les divers genres littéraires des œuvres tôt ressenties comme exemplaires. Ses poèmes, dès le premier recueil, rompaient avec la mode pour retrouver un ton direct et de quelque façon « populaire » ; il a publié quatre romans, répartis sur cinquante ans, et dont chacun a servi à définir une variété du genre ; sa dramaturgie a évolué, mais ses grandes œuvres ont toutes fait école, et il a donné la pièce qui est de très loin la plus représentative du répertoire allemand, Faust.

Encyclopédiste à sa manière, capable d’embrasser, en dehors même de la littérature, toutes les branches du savoir, il a poursuivi, plus d’un demi-siècle durant, des études de géologie, de botanique, d’optique et de paléontologie.

Dessinateur et collectionneur, directeur du théâtre de Weimar et conseiller du prince pour l’amélioration des mines du duché, il a dessiné aussi bien les plans d’une nouvelle machinerie des théâtres que ceux d’un système de pompage des eaux dans les mines.

Soucieux de donner des exemples de littérature classique imitée de l’antique, il n’en a pas moins écrit des récits fantastiques dès les débuts du mouvement romantique, et son dernier roman tourne pour une large part autour des problèmes de l’industrialisation naissante et du machinisme.

Non seulement il a été le centre du groupe des écrivains et des artistes qui ont fait de Weimar la capitale des lettres allemandes, mais son amitié avec Schiller a été une vivante illustration de sa philosophie humaniste.