Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

La littérature de langue allemande


Le Moyen Âge

C’est dans la seconde moitié du ixe s., après la division de l’empire de Charlemagne, qu’ont été rédigés les plus anciens textes en langue germanique, du moins ceux qui sont parvenus jusqu’à nous. La langue officielle de l’administration impériale était le latin, mais l’empereur passe pour avoir fait rédiger une grammaire de son propre dialecte, celui des Francs. Le latin était aussi la langue de l’Église, et la poésie religieuse en langue latine a fleuri durant tout le Moyen Âge, en particulier dans les grandes abbayes comme celles de Saint-Gall ou de Fulda. Cependant, les plus anciens poèmes allemands ont été composés par des clercs, soucieux de toucher l’imagination de ceux qu’ils voulaient évangéliser. On trouve dans ces œuvres en ancien haut allemand une inspiration évangélique mêlée de traits empruntés à la tradition germanique. Ce sont souvent de brefs poèmes : la Prière de Wessobrunn, probablement antérieure à 850, le Muspilli, récit bavarois du commencement et de la fin du monde. Le Heliand raconte en vers allitératifs la vie du Sauveur ; rédigé pour convertir les Saxons, il présente le Seigneur comme un grand roi saxon entouré de ses féaux, dont les vertus sont beaucoup plus guerrières qu’évangéliques. L’allitération est le procédé métrique le plus ancien des poètes germaniques ; la rime apparaît très tôt cependant, puisque l’immense Évangéliaire d’Otfrid de Wissembourg est long de plus de seize mille vers rimés.

La poésie profane, en langue germanique comme dans toutes les langues européennes, a été d’abord la poésie épique. Les ancêtres des grandes épopées du xiiie s. sont le Chant de Louis (Ludwigslied), qui est de la fin du ixe s. et raconte une victoire de Louis III sur les Normands à Saucourt en 881, et le Hildebrand, fragment très court (70 vers) d’un grand poème disparu sur Théodoric, roi des Ostrogoths. Ce morceau d’épopée, conservé au dos d’un traité théologique du xe s., frappe aujourd’hui encore par une langue rude et grave, d’une grande force d’expression. L’histoire est celle du vieil Hildebrand, qui, au retour d’une expédition lointaine, se prend de querelle aux portes de la ville avec un jeune chevalier qu’il reconnaît trop tard comme son propre fils.

Une poésie romanesque qui retrace la poursuite des fiancées lointaines dans des terres fabuleuses emplit les épopées du xiie s., qu’on appelle « épopées de jongleur » et qui sont comme les premiers romans en langue allemande. Ces trouvères sont demeurés anonymes, mais ont laissé de très grands poèmes comme le Duc Ernest, où se succèdent les expéditions dans les pays d’Orient et d’Afrique hantés de monstres, d’hommes cyclopéens et d’oiseaux qui emportent au loin les preux endormis. Les souvenirs des croisades, de l’Iliade, d’autres récits légendaires s’y retrouvent mêlés. Ce monde belliqueux est déjà teinté d’une courtoisie dont le modèle est français.

La floraison de poèmes courtois et d’épopées qui commence autour de 1200 pour durer près de trois quarts de siècle est la plus brillante période du Moyen Âge allemand. Elle apparaît aussi à un moment où la puissance impériale a été restaurée et illustrée par Frédéric Ier Barberousse ; elle porte les marques d’un changement des mœurs, d’une mode nouvelle dans les cours, d’un idéal plus raffiné de chevalerie. C’est une poésie de cour, et qui verse facilement dans la subtilité tout en conservant, à peine voilés, des traits de rudesse primitive.

Le grand poème de la Détresse des Nibelungen, qu’on appelle aussi Chant des Nibelungen, est devenu, depuis qu’il a été redécouvert au xviiie s. et magnifié par les poètes romantiques, l’épopée nationale des Allemands. On possède de ce texte fameux un grand nombre de manuscrits, mais on ne peut ni le dater avec précision, ni nommer son auteur : ce dernier a vécu aux alentours de 1200 dans les pays du Danube ; le texte le plus ancien que nous en connaissions vient d’Autriche. C’est un ensemble monumental, sauvage et grandiose, que Heinrich Heine comparait à une cathédrale gothique. Il est divisé en trente-neuf « aventures » groupées autour de deux grandes péripéties : l’histoire de Siegfried et la vengeance de Kriemhild. La légende nordique se mêle ici à des éléments d’origine plus récente, tirés de l’histoire du peuple burgonde.

Le Siegfried du poème naît au bord du Rhin, à Xanten, mais les origines de cette figure mythique sont nordiques, puisqu’il apparaît sous le nom de Sigurd dans les textes norvégiens anciens. Tout un cycle de légendes foisonne autour de sa jeunesse : il doit surtout faire ses preuves, éveiller, conquérir, délivrer. C’est le mythe de la jeunesse triomphante. Peut-être descendant lointain d’un dieu du soleil levant, il est, le plus souvent, orphelin, « fils de la nature », élevé au fond de la forêt par le forgeron de qui il tiendra sa fameuse épée. Le combat contre le dragon, épreuve majeure et décisive, initiation au courage viril, lui ouvre la richesse inépuisable ; il devient invulnérable quand il s’est baigné dans le sang du dragon, et il comprend le chant des oiseaux quand il a mangé le cœur du monstre.

Alors commence sa geste héroïque. Le jeune guerrier pur et sans crainte, élevé loin des compromissions de la société, est promis à un destin tragique dès qu’il se mêle aux affaires des hommes : ainsi seront les héros tragiques de Schiller, pour ne rien dire de ceux de Richard Wagner, de sorte que la geste de Siegfried fournira à la poésie allemande un de ses archétypes les plus glorieux. Il aura fallu attendre les temps de l’antitragique inauguré par Bertolt Brecht pour voir pâlir l’étoile de Siegfried sur la scène allemande.

Telle qu’elle est contée dans l’épopée populaire, la tragédie se noue aux bords du Rhin, à Worms, où Siegfried épouse Kriemhild, sœur de Gunther, roi des Burgondes, pour lequel il avait conquis Brunhild. C’est la jalousie de Brunhild qui l’incite à faire assassiner Siegfried par le traître Hagen. La seconde partie de l’épopée raconte la vengeance que Kriemhild, veuve de Siegfried, tire de Brunhild, de Hagen et de tout le peuple burgonde, contre lequel elle lancera les Huns après avoir épousé Etzel, leur roi, c’est-à-dire Attila.