Ehrenbourg (Ilia) (suite)
Rangé par la critique « prolétarienne » à l’extrême droite des « compagnons de route » de la révolution, il n’acquiert vraiment droit de cité dans la littérature soviétique qu’au Ier congrès de l’Union des écrivains (1934). Cependant, comme beaucoup de « compagnons de route » naguère réticents, il a été converti à la foi socialiste par les perspectives de l’industrialisation et de l’édification d’une société nouvelle qui s’ouvrent devant la Russie à partir de 1929. À ces thèmes, il consacre les romans Den vtoroï (le Second Jour de la création, 1934) et Ne perevodia dykhania (Sans reprendre haleine, 1933-1935), inspirés par le spectacle d’une jeunesse enthousiaste et avide de culture qu’il a vue vivre sur les chantiers des plans quinquennaux.
La guerre d’Espagne, à laquelle il assiste en correspondant de guerre des Izvestia, puis la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle ses articles patriotiques lui vaudront une popularité sans précédent, l’amèneront à voir et à présenter l’U. R. S. S. comme le bastion des valeurs européennes menacées par la barbarie nazie, puis par les menées des « fauteurs de guerre ». Député au Soviet suprême, délégué de l’U. R. S. S. aux assemblées du Mouvement de la paix, il y défend ce thème officiel, qui est au centre de ses trois derniers romans, Padenie Parija (la Chute de Paris, 1941-42), Bouria (la Tempête, 1947) et Deviatyï Val (le Neuvième Flot, 1951-52).
Il sera cependant, après la mort de Staline, le premier écrivain soviétique à dénoncer et à combattre son héritage dans la nouvelle Ottepel (le Dégel, 1954-1956), dont le titre seul était en 1954 une audace. Il consacre les dernières années de sa vie à défendre, à travers les écrivains qu’il aime (Tchekhov, Stendhal), la liberté et la spontanéité de la création artistique, à propager l’art et la culture de l’Occident (Frantsouzskie tetradi [Cahiers français], 1958) et à réhabiliter dans ses Mémoires (Lioudi, gody, jizn [Hommes et événements], 1960-1963) les écrivains et les artistes que la terreur stalinienne et les dogmes du réalisme socialiste ont mis au ban de la littérature (tels Marina Tsvetaïeva, Issaak Babel, Ossip Mandelstam) : il joue ainsi un rôle de premier plan dans l’évolution intellectuelle de la Russie poststalinienne.
M. A.
T. K. Trifonova, Ilya Ehrenbourg, essai de biographie critique (en russe, Moscou, 1952).