Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

Désormais, l’égyptologie (pourvue de ses lois et de ses premières institutions fondamentales) va s’organiser et s’étendre. À la nouvelle science, il faut des hommes et des moyens matériels : en 1880, Maspéro crée l’École du Caire, qui accueille de jeunes chercheurs et publie les Mémoires de la mission archéologique permanente. Se développent aussi, peu à peu, des sociétés anglaises (Egypt Exploration Fund, Egyptian Research Account, British School of Archaeology in Egypt), l’Institut archéologique allemand, la fondation Reine-Elisabeth à Bruxelles, notamment. De nombreuses missions de fouilles ou de relevés vont être patronnées par les universités ou les musées de tous les pays d’Europe et d’Amérique, par l’Égypte, parfois par l’initiative privée. Cette œuvre est jalonnée d’étapes glorieuses : ouverture des pyramides de Saqqarah, découverte de la cachette de Deir el-Bahari, de celle de Karnak, fouilles de la Vallée des Rois, découverte de la tombe de Toutankhamon et de ses trésors.

Un travail considérable a déjà été accompli : tous les instruments de travail de base établis (dictionnaire, grammaires, bibliographies), de multiples relevés de monuments effectués, de grandes collections de textes, des revues régulièrement publiées. Et voici que, peu à peu, la vieille Égypte — exhumée et comprise — sort de son splendide isolement : hellénistes, latinistes s’aperçoivent du rôle capital qu’elle a joué dans l’histoire des civilisations classiques ; l’étude des mythologies trahit les grands courants de pensée communs aux différents domaines du monde méditerranéen et oriental. Le problème des rapports profonds avec l’Afrique en est encore au stade du défrichage.

C. L.


L’art islamique en Égypte

L’art islamique, en Égypte, ne s’exprime pas seulement au Caire ; mais on a pris l’habitude d’écrire son histoire en se fondant uniquement sur cette ville parce que les monuments qui y furent érigés sont si nombreux, parce que le rôle de ses ateliers fut si grand que nulle autre cité de la vallée du Nil ou du Delta ne peut rivaliser avec elle. Par ailleurs, l’art de l’islām ne s’est pas formé en Égypte, mais en Syrie et en Mésopotamie. Cela ne veut pas dire que les traditions égyptiennes n’ont eu aucun rôle dans sa genèse, mais qu’elles ont été secondaires. Le génie égyptien n’a pu se donner libre cours que lors de l’indépendance du pays, essentiellement depuis les Fāṭimides jusqu’en 1517, date de l’arrivée des Ottomans.

Le plus vénérable monument du Vieux-Caire (Fusṭāṭ) est la mosquée de ‘Amr, fondée dès 643, agrandie souvent, amenée à ses dimensions actuelles en 827, puis encore remaniée ensuite, surtout au xve s. Primitivement variante de la Grande Mosquée de Damas*, elle avait six nefs parallèles au mur du fond (mur qiblī), mais, au cours des temps, l’axe des nefs a changé, et leur nombre a été porté à vingt. Il ne reste que quelques éléments de l’ancien décor hellénistique, sans doute dû à des ouvriers coptes. Elle est donc trop altérée pour être un bon témoin, et force nous est, pour en trouver un, d’attendre le nilomètre de Rôdah (construit en 715 et restauré au siècle suivant), dont l’originalité s’exprime surtout par l’emploi, précoce et surprenant, de parfaits arcs brisés.

Ce n’est plus sous l’influence de Damas, mais sous celle de Sāmarrā (v. Iraq), apportée par le gouverneur turc ibn Ṭūlūn, qu’est érigée entre 876 et 879 la mosquée qui porte son nom. De plan simple, c’est une grande cour carrée de 92 m de côté, encadrée sur trois faces de galeries doubles, et une salle de prière peu profonde, à trois nefs transversales et à dix-sept travées. La brique, qui dévoile l’origine mésopotamienne, se prête au tracé fort élégant des arcs, au décor sculpté sur plâtre qui pare les organes essentiels : les grandes rosés sur cour défoncent les écoinçons des arcs et composent une frise merveilleuse que couronne un crénelage du plus bel effet. Son minaret a su conserver, malgré les réfections du xiiie s., son noyau cylindrique entouré d’une rampe à hélice dont la masse diminue de la base au sommet ; il avait emprunté cette forme à la Malwiyya de Sāmarrā, elle-même héritière des tours persanes du feu.

Fournisseurs de tissus et de céramiques pour les ‘Abbāssides*, les Ṭūlūnides font évoluer le décor samarrien, aux formes étroitement emboîtées, vers un méplat de plus en plus grand. Cependant, l’école de sculpture sur bois, à décor floral et défoncements linéaires, produit des pièces au dessin vigoureux et aisé, à la facture large.


Les Fāṭimides

Avec les Fāṭimides, l’Égypte commence à affirmer sa personnalité. Les antiques manufactures de tissus reçoivent une vive impulsion (Damiette, Alexandrie). On fait de la poterie en haute Égypte comme au Caire. Les bois, traités comme les ivoires, avec extrême finesse, sont animés d’une vie intense et s’ornent de motifs figuratifs, qu’on retrouve aussi dans les rondes-bosses en bronze. Une technique plus singulière transparaît dans 170 aiguières en cristal de roche parvenues jusqu’à nous. Ces objets prouvent le sens décoratif des artistes fāṭimides. Celui-ci se manifeste aussi, mais parfois différemment, dans le décor des édifices, avec la multiplication des défoncements et des niches, la grande variété des arcs, l’emploi du cursif en épigraphie ainsi que l’établissement définitif de l’arabesque.

Les souvenirs de la Tunisie*, berceau de la dynastie, se mêlent à ceux des Ṭūlūnides dans ce qui devint et est encore une des plus grandes universités musulmanes, al-Azhar, commencée au Caire en 970, sans cesse remaniée jusqu’à nos jours. La tradition locale est plus pure aux mosquées d’al-Ḥākim (990-1003), remarquable surtout par le décor de ses porches et de ses minarets, d’al-Salih-Talay et d’al-Akmar (1125). À la mosquée d’al-Djuyūch (1085), le génie créateur local s’affirme. Sa grande coupole sera reprise dans maints monuments. Son minaret, fait par la superposition de deux tours carrées et d’une tour octogonale à dôme, désarticule un type trop figé et donne naissance à un style indigène appelé à un bon succès. Le chef-d’œuvre architectural des Fāṭimides est sans doute à chercher dans les fortifications du Caire, de tradition byzantine, et plus exactement dans les trois portes Bāb al-Naṣr, Bāb al-Fūtūḥ et Bāb Zuwayla : flanquées de tours carrées ou arrondies en façade, s’ouvrant sur un vestibule central couvert en voûtes d’arêtes ou en coupole, elles ont un décor très sobre.