Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

Jusqu’au xviie s., l’attrait de l’Égypte s’estompe, à peine ravivé par les croisades. Les détrousseurs de tombes pillent méthodiquement les trésors enfouis. En 1636, la publication de Prodromus coptus sive Aegyptiacus, par le P. Athanasius Kircher S. J., marque une étape non négligeable : Kircher démontre que la plupart des noms égyptiens connus peuvent s’expliquer par la langue copte, et il en déduit que le copte n’est qu’une forme dérivée de l’égyptien ancien. Idée géniale, mais dont le savant orientaliste ne fut pas à même de tirer les conséquences, car il demeurait aveuglé par le prétendu symbolisme des signes hiéroglyphiques.

Voyages archéologiques et errements philologiques caractérisent l’époque moderne. À partir du xviiie s., les randonnées en Orient sont à la mode, et de nombreuses relations évoquent les paysages et les monuments d’Égypte (Frédéric Cailliaud [1787-1869], Edme François Jomard [1777-1862], plus tard Gérard de Nerval, etc.). L’approche reste tout extérieure.

Au xixe s., le « mystère » va trouver sa solution. En 1798, le général Bonaparte, après la victoire dite « des Pyramides » remportée sur les Turcs, entre au Caire et organise l’Institut d’Égypte, avec Monge, Berthollet, Geoffroy Saint-Hilaire, savants qui avaient accompagné l’expédition militaire pour étudier sur place le pays et son histoire. L’œuvre immense de la Description de l’Égypte reproduit et décrit les monuments de la vallée, avec une rigueur toute scientifique, et donne de nouveau matière à la recherche.

En 1799, des soldats français, travaillant aux fondations d’une forteresse près de Rosette, mettent au jour un bloc de basalte sculpté d’un texte en trois écritures : grecque, démotique, hiéroglyphique, reproduisant un décret rendu en 196 av. J.-C. par Ptolémée V Epiphane. Par le grec, on espère comprendre l’égyptien ; malheureusement, la partie écrite en hiéroglyphes est fort mutilée. En 1801, après la défaite de J. F. de Menou à Alexandrie, la pierre part pour le British Museum, mais des copies circulent. Premiers efforts de Silvestre de Sacy, du Suédois Johan Åkerblad (1763-1819), qui « débrouille » le démotique, du physicien Thomas Young (1773-1829), encore vains. Au lieu d’Evergète et Autocrator, Young lut César et Arsinoé !

C’est au Français Jean-François Champollion* que revient tout le génie de la découverte. Entre 1821 et 1822, il résout le problème ; d’abord, démontrant que sous ses trois aspects (hiéroglyphique, hiératique, démotique), l’écriture* égyptienne est une, il établit que, dans la première forme (de même que dans la troisième), il doit exister des signes à valeur phonétique. D’autre part, lorsqu’il compte les signes hiéroglyphiques de la pierre, il s’aperçoit qu’ils sont plus nombreux que les mots du texte grec parallèle : c’est donc que chaque signe ne représente pas une idée ou un mot. Ces principes reconnus, Champollion en vient au déchiffrement des cartouches de Rosette, aidé par la copie d’un texte de Philae comportant deux cartouches (le premier analogue à l’un de ceux qui étaient sculptés sur la pierre) et une dédicace en grec à Ptolémée et Cléopâtre. Le cartouche commun devant se lire Ptolmis, l’autre Kliopatra, cinq lettres devaient être communes aux deux noms : p, t, l, o, i ; cinq signes identiques se retrouvaient en effet à la place attendue dans les deux noms ; par contre, s et m ne figurent pas dans le nom de la reine, k, a, r, dans celui du roi. Conclusion : il existait bien des signes de nature uniquement phonétique. En quelques semaines, Champollion, à l’aide de ces rudiments, lit 79 noms de Ptolémées et de Césars dans la Description de l’Égypte ; le 27 septembre 1822, dans une Lettre à M. Dacier, il annonce officiellement qu’il lit les cartouches hiéroglyphiques. Seconde étape révélatrice : travaillant sans relâche sur des textes plus anciens, Champollion comprend que, à l’époque pharaonique, l’écriture combinait des signes phonétiques et des signes-images. Son Précis du système hiéroglyphique (1824) démontre qu’il sait désormais lire la langue égyptienne de toute époque. Il établit la liaison avec le copte, déchiffre fiévreusement des textes entiers. Sa Grammaire égyptienne, son Dictionnaire hiéroglyphique, les Monuments de l’Égypte et de la Nubie (établis avec l’Italien Ippolito Rosellini [1800-1843]) consacrent la nouvelle science. Le jeune savant français donne ainsi véritablement naissance à l’égyptologie, à ce moment encore vaste champ vierge d’études.

Viennent les temps héroïques des premières missions de fouilles et des premières publications de textes : illustrés, notamment, par les Français Emmanuel de Rougé (1811-1872), Joseph Chabas (1817-1882), Auguste Mariette (1821-1881), Gaston Maspéro (1846-1916), les Allemands Karl Richard Lepsius (1810-1884), Heinrich Karl Brugsch (1827-1894), les Anglais Samuel Birch (1813-1885), Charles Wycliffe Goodwin, sir W. M. Flinders Petrie (1853-1942), etc. Mais un danger menace la jeune science : en effet, parallèlement aux missions officielles (qui alors emportaient dans leur pays d’origine les résultats de leurs fouilles) s’exerçait une activité privée, peu avouable, laissant le champ libre à des aventuriers ou collectionneurs avides qui dépouillaient sans vergogne l’antique patrimoine. Nombre des objets ainsi découverts ou vendus constituèrent le noyau des principaux musées d’Europe. Il fallait mettre fin à cette « hémorragie » nuisible à la science et, pour l’Égypte, perte nationale. En 1857, le khédive Sa‘īd Pacha institue le Service des antiquités, dont la direction sera, pendant plus d’un siècle, toujours confiée à un Français (en hommage de reconnaissance) : Mariette d’abord, puis Maspéro (1881) ; il sera chargé de veiller à la sauvegarde des trésors d’Égypte, d’assurer leur conservation, de les faire connaître, grâce à une exploitation méthodique et complète des sites et à une publication intégrale. Peu de temps après s’ouvre également sous la direction de Mariette, le musée de Boulaq, qui plus tard sera transféré au centre du Caire et deviendra vite l’un des plus riches musées du monde.