Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

Ayant perdu tout espoir dans une solution politique, les nationalistes égyptiens radicalisent leur mouvement et entrent dans une lutte ouverte contre l’occupant britannique. Pendant trois ans (1919-1922), la vallée du Nil est le théâtre des troubles les plus divers (grèves, émeutes, actes de sabotage, attentats contre les autorités). Pour contenir le mouvement, les Anglais maintiennent la loi martiale proclamée en 1914, sévissent contre les nationalistes et déportent leurs dirigeants, Sa‘d Zarhlūl et ses principaux lieutenants. Mais, devant la persistance du mouvement, ils finissent par déclarer l’abolition du protectorat et reconnaître l’indépendance de l’Égypte, le 28 février 1922.

Cette solution — qui exclut du règlement quatre points aussi importants que l’occupation du canal de Suez, la défense de l’Égypte, la question du Soudan et la protection des minorités — laisse à l’Angleterre une grande marge d’intervention dans la vallée du Nil. Aussi ne satisfait-elle pas les nationalistes, qui continuent, après 1922, à lutter pour l’indépendance complète de leur pays.


Du traité de 1922 à celui de 1936

L’Égypte est alors tiraillée entre plusieurs forces politiques opposées : la Grande-Bretagne, qui conserve grâce au maintien de son corps d’occupation dans ce pays de grandes possibilités d’action, est secondée en fait par le sultan Aḥmad Fu’ād, devenu roi sous le nom de Fu’ād Ier (1922-1936) après l’indépendance et qui, jaloux de ses prérogatives, supporte mal le mouvement nationaliste ; le parti Wafd, d’autre part, fort de l’auréole de la lutte menée sous sa direction contre l’occupant britannique et du prestige de son chef Sa‘d Zarhlūl, exerce un très grand ascendant sur la population égyptienne. De 1922 à 1936 et même à 1952, l’histoire de l’Égypte se confond, dans une certaine mesure, avec les relations entre ces forces politiques.

Jouissant de l’appui massif de la population, le Wafd compte sur le jeu parlementaire pour assurer le gouvernement du pays et le mener vers l’indépendance complète. L’Égypte devient en effet, en vertu de la Constitution du 19 avril 1923, une monarchie parlementaire. Des élections organisées en janvier 1924 donnent au Wafd une majorité écrasante. Devenu président du Conseil, le chef de ce parti, Sa‘d Zarhlūl, désavoue l’acte du 28 février 1922, engage pour le réviser des négociations avec la Grande-Bretagne et affirme, après l’échec de ces pourparlers, sa volonté de ne renoncer à aucun des « droits sacrés » et de « n’accepter de reconnaître aucun acte ou ordre leur portant atteinte ».

Dès lors, le chef du Wafd devient indésirable aussi bien pour la Grande-Bretagne, qui craint pour ses intérêts dans la vallée du Nil, que pour le Palais, qui ne veut pas être débordé par le mouvement nationaliste. Sa‘d Zarhlūl peut, grâce à l’appui du Parlement, affronter victorieusement le roi Fu’àd Ier. Il doit cependant démissionner le 24 novembre 1924, à la suite d’un ultimatum britannique survenu après l’assassinat au Caire du gouverneur général du Soudan.

Le roi travaille alors, de connivence avec la Grande-Bretagne, à écarter le Wafd des responsabilités gouvernementales. Il forme des cabinets minoritaires et n’hésite pas à dissoudre les chambres wafdistes pour gouverner par décrets. Et pour donner l’impression que ces gouvernements ont des appuis dans le pays, on crée des partis politiques tels que celui de l’Union (ḥizb al-ittiḥād) et celui du Peuple (ḥizb al-cha‘b), fondés respectivement en 1925 et 1931. Ces formations n’ont aucune assise populaire ; elles jouissent de la seule confiance du Palais et accessoirement de l’appui de la Grande-Bretagne. Dans ce conflit qui oppose d’une façon quasi permanente le Palais au Wafd, la Résidence britannique préfère parfois jouer le rôle d’arbitre, pour s’imposer aux deux partenaires. Il lui arrive même de favoriser l’accession du Wafd au pouvoir en vue de trouver des appuis auprès d’un mouvement autrement plus représentatif que le roi. Cependant, la confiance de la Grande-Bretagne n’est jamais totale dans le Wafd. C’est ainsi que ce parti, malgré son audience populaire, n’occupe le pouvoir, entre 1924 et 1936, que pendant moins de deux ans, d’abord avec Zarhlūl, de mars à décembre 1924, ensuite, après la mort de ce dernier, avec le nouveau chef du parti, Muṣṭafā al-Naḥḥās pacha, de mars à juin 1928 et de janvier à juin 1930.

Le Wafd demeure en effet, après la disparition de son chef historique, fidèle à son programme initial, à savoir l’indépendance de la vallée du Nil, d’Alexandrie à Khartoum et l’évacuation des troupes étrangères. Muṣṭafā al-Naḥḥās pacha adopte certes à l’égard de la Grande-Bretagne une tactique assez souple, allant jusqu’à accepter l’acte du 28 février 1922 comme base de discussion et à se rallier à la thèse de l’indépendance par étapes. Cependant, les négociations engagées par lui en 1930 avec les Anglais échouent sur la question du Soudan, qui constitue, depuis 1899, un condominium anglo-égyptien et que le Wafd considère comme partie intégrante de l’Égypte. Le chef de ce parti est alors obligé de quitter le gouvernement, et la Constitution de 1923 est suspendue. Attaché à cette loi organique qui lui assure une majorité parlementaire, le Wafd organise une campagne pour l’indépendance totale du pays et la défense des libertés démocratiques. L’Égypte connaît alors une certaine agitation, que favorise la détérioration de la situation économique et sociale découlant de la grande crise économique de 1929. Le mouvement se radicalise en 1935 à la suite d’une manifestation organisée au Caire par les étudiants et au cours de laquelle de nombreux citoyens sont tués, blessés ou arrêtés. Cette campagne aboutit au rétablissement de la Constitution de 1923 (30 janv. 1936), au retour du Wafd au pouvoir (10 mai 1936) et à la conclusion d’un nouveau traité avec la Grande-Bretagne (26 août 1936).