Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

En 868, un chef turc, Aḥmad ibn Ṭūlūn (835-884), envoyé avec les pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre dans la province égyptienne — alors théâtre de troubles —, se dégage de l’emprise de Bagdad* et fonde une dynastie turque autonome sur les rives du Nil. L’Égypte devient alors le centre d’un petit empire englobant la province syrienne. Pendant plus de trente ans, elle va jouir d’une certaine indépendance vis-à-vis des ‘Abbāssides et profiter alors de son nouveau statut pour remédier à une situation économique compromise par l’écrasement fiscal du pays au profit de Bagdad. Le produit de l’impôt reste désormais en Égypte, et Aḥmad ibn Ṭūlūn ne manque pas, pour consolider sa position vis-à-vis des ‘Abbāssides, de l’utiliser au relèvement économique de son pays.

Cette politique prive les ‘Abbāssides d’importantes ressources et constitue de surcroît un mauvais exemple pour les autres provinces de l’empire. Aussi Bagdad intervient-elle fermement pour évincer les Ṭūlūnides* et rétablir en 905 son autorité sur les rives du Nil. Cette situation dure jusqu’en 935, date à laquelle la réalité du pouvoir passe à l’Ikhchīdide Muḥammad ibn Ṭurhdj. Venu rétablir l’ordre dans la province égyptienne au nom des Abbāssides, ce dernier fonde la dynastie ikhchīdide et consolide sa position en défendant l’Égypte contre les Ḥamdānides d’Alep. À sa mort, en 946, le pouvoir passe entre les mains d’un eunuque abyssin appelé Kāfūr, qui continue à lutter victorieusement contre le danger ḥamdānide. Après Kāfūr, la dynastie s’est considérablement affaiblie, et les Fāṭimides*, venus d’Afrique du Nord en 969, n’ont pas de mal à établir leur domination sur l’Égypte.

L’Égypte fāṭimide rompt toute forme de relations avec l’empire ‘abbāsside. En effet, sous la dynastie des Fāṭimides qui s’installe au Caire — nouvelle capitale fondée aux portes d’al-Fūsṭāṭ —, le pays passe officiellement en matière religieuse du sunnisme* au chī‘isme*. Certes, la population reste dans sa grande majorité fidèle au sunnisme professé par les ‘Abbāssides, mais les Fāṭimides établissent au Caire un califat rival et créent même le mythe d’une dynastie semi-divine.

Cette domination des Fāṭimides sur l’Égypte dure un peu plus de deux siècles. Au xiie s., minée par les schismes, la dynastie fāṭimide perd son prestige religieux pour tomber sous l’emprise de chefs militaires qui, sous le nom de vizir, prennent la réalité du pouvoir.

Le dernier de ces vizirs, Ṣalāh al-Dīn Yūsuf ibn Ayyūb (Saladin), dépose en 1171 le calife fāṭimide, rétablit le sunnisme et fonde la dynastie ayyūbide, dont la domination s’étend en plus de l’Égypte sur le Yémen, la Syrie et la Mésopotamie jusqu’à l’Euphrate.

Sous les Ayyūbides*, l’Égypte connaît, grâce aux victoires remportées sur les croisés, un immense prestige et apparaît comme la protectrice de l’islām menacé par la chrétienté. Parallèlement, sa situation économique s’améliore grâce au développement de l’agriculture et à l’essor du commerce découlant de l’extension des échanges avec les États européens. Mais, à la mort de Saladin* en 1193, les dissensions survenues entre ses divers héritiers contribuent largement à l’affaiblissement du pays. La dynastie ayyūbide finit même par tomber sous le coup des chefs des troupes, les mamelouks, qui assassinent le dernier sultan ayyūbide en 1250 et constituent à partir de 1254 une nouvelle dynastie.

Désormais, l’Égypte est sous la domination de ces anciens esclaves (les mamelouks) qui, sous des noms divers, vont, pendant plusieurs siècles, assurer le gouvernement et l’administration de la vallée du Nil. Leur autorité dépasse le cadre de l’Égypte pour englober la Syrie et même les lieux saints de La Mecque et Médine.

Sous les Mamelouks*, l’Égypte continue à jouer le rôle de protectrice de l’islām contre les invasions étrangères. Les Mamelouks neutralisent définitivement les croisés, battent les Tatars en Syrie en 1260 et arrêtent le flot des conquérants mongols*. Forts de ces victoires, ils légitiment leur pouvoir en recueillant au Caire le calife ‘abbāsside, chassé par les Mongols. Celui-ci attribue la réalité du pouvoir au sultan mamelouk, lui cède tous ses droits pour se cantonner dans un rôle purement honorifique. Maîtres absolus dans leur empire, les Mamelouks constituent en Égypte une société fortement hiérarchisée. Au sommet de la hiérarchie, la caste militaire, composée d’étrangers, jouit de privilèges exorbitants au détriment de la masse de la population, écrasée par les impôts. Cette politique ne manque pas de leur aliéner la grande majorité de la population égyptienne. Ainsi, coupés des masses populaires, affaiblis par les combats menés contre les croisés, les Tatars et les Mongols, les Mamelouks ne peuvent pas résister aux coups répétés des Turcs Ottomans, qui finissent par mettre la main sur la vallée du Nil en 1517.

L’Égypte passe alors sous la domination du Sultan ottoman Selim, qui supprime à son profit le califat ‘abbāsside. Toutefois, loin de couper avec l’ancien régime, les Turcs Ottomans* ne tardent pas à trouver un terrain d’entente avec les Mamelouks, considérés comme indispensables au gouvernement et à l’administration du pays. Ces derniers continuent donc à jouer un rôle si important dans la direction de l’Égypte qu’ils parviennent à avoir le pas sur l’élément ottoman. Et il faudra attendre le début du xixe s. pour assister à une ottomanisation de la vallée du Nil. En effet, les pachas envoyés de Constantinople pour gouverner le pays ne tardent pas à devenir les prisonniers des puissants beys mamelouks qui, en tant que chefs militaires, deviennent les véritables maîtres de l’Égypte. Leur autorité dépasse même le cadre de l’armée pour s’étendre à l’administration du pays et à la perception des impôts. L’Égypte constitue donc, comme avant les Ottomans, un régime oligarchique à caractère fiscal et militaire. Les impôts pèsent lourdement sur la population rurale, qui subit en outre les exactions des administrateurs, des percepteurs et des grands propriétaires. Cette situation devait durer jusqu’en 1798.