Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

Ces tribulations étaient surtout le fait des Égyptiens. Les Grecs et les plus rares Macédoniens venus en conquérants étaient en Égypte pour faire fortune. Ils constituèrent une caste privilégiée. Il existait pour les accueillir, outre des colonies dispersées, trois cités, et trois seulement, pourvues d’institutions grecques d’apparence traditionnelle, mais qui ne leur donnaient qu’un simulacre de liberté : Alexandrie, Ptolémaïs (fondation royale) et Naukratis, l’ancien comptoir milésien. Les Grecs avaient apporté avec eux leurs coutumes et leur genre de vie (fréquentation du gymnase, éphébie) ; ils conservaient l’usage de leur langue et étaient jugés selon le droit grec. Fonctionnaires et militaires, ils assuraient l’encadrement de la population indigène. Mais la fin de l’immigration et le laisser-aller des fonctionnaires devaient désorganiser le système au iie s.

En outre, la bataille de Raphia (217), où Égyptiens et Grecs combattirent côte à côte victorieusement contre Antiochos III, réveilla le sentiment national égyptien, qui se manifesta par des révoltes. Les rois cédèrent partiellement en égyptisant un peu plus leur cérémonial, en accroissant les privilèges du clergé (essentiellement indigène), en laissant accéder les nationaux aux plus hautes dignités. Peu à peu, une fusion s’esquissa dans la population des bords du Nil, les familles grecques et égyptiennes se mélangèrent au profit de coutumes locales en progrès (culte, embaumement, mariages entre frères et sœurs), au profit aussi de la langue grecque, qui l’emporta sur le démotique. Tout cela fut propre à l’Égypte au sens le plus strict, car Alexandrie, de son côté, avait été le lieu d’un extraordinaire essor de la culture la plus grecque, dans l’art, les lettres et les sciences.

Ainsi, il n’y eut pas d’hellénisation véritable, pas plus qu’un enrichissement notable de la population indigène, encore que le pays soit redevable aux Lagides de l’assèchement et de la mise en culture du lac Moeris (devenu le Fayoum), ainsi que du développement du commerce de mer en direction de l’océan Indien (activité des ports de la mer Rouge, conséquences maritimes de la découverte de la mousson).

L’époque hellénistique*, qui coïncide avec la domination lagide, devait s’achever dans la décadence générale de la monarchie et de l’administration, et dans une anarchie croissante. Mais c’est de se trouver mêlées à la guerre civile romaine (bataille d’Actium, 31 av. J.-C.) qui fit à la fois disparaître la dynastie (mort de Cléopâtre*) et passer l’Égypte sous le joug d’autres maîtres, les Romains.

R. H.

 A. Bouché-Leclercq, Histoire des Lagides (Leroux, 1903-1907 ; 4 vol. ; nouv. éd., Culture et civilisation, Bruxelles, 1965). / C. Préaux, l’Économie royale des Lagides (Fondation égyptologique, Bruxelles, 1939) ; les Grecs en Égypte (Office de publicité, Bruxelles, 1947). / A. E. Samuel, Ptolemaic Chronology (Munich, 1962). / Religions en Égypte hellénistique et romaine (P. U. F., 1969).


L’Égypte romaine

Au lendemain d’Actium (31 av. J.-C.), Octave n’avait qu’à recueillir l’héritage de ce pays fabuleux dont César avait rêvé l’annexion. L’occupation militaire du Delta suffisait à l’en rendre maître, et une nouvelle province impériale était constituée. Au vrai, c’était à peine une province. Elle demeura la propriété de l’empereur comme elle avait été le domaine des rois : idios logos, un bien privé. Successeur des pharaons et des Lagides, le césar s’était attribué les mêmes prérogatives. Le pays était interdit aux sénateurs, qui ne devaient y pénétrer, même en touristes, que moyennant une autorisation exceptionnelle. C’est que l’Égypte représentait pour l’empereur un atout particulier : outre qu’elle était déjà parée de tout le prestige d’un pays très vieux, lointain et entouré d’un étrange mystère, elle fournissait le tiers du ravitaillement de Rome en blé. De plus, c’était une conquête facile à défendre. À l’intérieur, après le baroud d’honneur de révoltes initiales vite matées par C. Cornelius Gallus (69 av. J.-C. - 26 av. J.-C.), le premier préfet, les insurrections furent rares et limitées le plus souvent aux troubles urbains d’Alexandrie. La frontière méridionale ne souffrit pas longtemps des incursions des Éthiopiens de Napata, qui, battus, n’insistèrent plus. Deux siècles plus tard, l’invasion de l’Égypte par Zénobie, reine de Palmyre, ne devait être qu’un bref épisode (268). Quant aux Blemmyes, nomades pillards des déserts du sud, ils envahirent la Thébaïde à plusieurs reprises, au iiie s. C’est là une histoire militaire assez courte. L’armée d’Égypte n’a jamais dépassé un effectif de 18 000 hommes ; les légions elles-mêmes étaient formées de Grecs d’Orient, mais pas d’Égyptiens, suivant en cela les méthodes lagides.


L’exploitation du domaine

L’empereur avait délégué sur place une sorte de vice-roi, le préfet d’Égypte, de l’ordre équestre et choisi parmi les amis sûrs. Les Égyptiens lui accordaient les mêmes honneurs qu’aux rois lagides ; et il avait les mêmes pouvoirs qu’un proconsul. Il était assisté d’un juridicus (ou de plusieurs ?) et d’un archidicaste qui partageaient la justice avec son propre tribunal suprême. Autre fonctionnaire important, l’idiologue, défini par Strabon comme celui qui cherche des revenus pour la caisse du prince. Un code juridique de l’époque antonine, le Gnomon de l’idiologue, définit la condition fiscale et sociale des populations. Il pourrait bien émaner d’un statut plus ancien de l’Égypte, défini dès l’époque d’Auguste. Les cadres territoriaux et l’administration régionale et locale ne furent pas notablement modifiés, le nome demeurant la circonscription fiscale essentielle.

Le régime foncier, lui aussi, n’était pas changé. Les terres royales devinrent impériales, les terres sacrées elles aussi, l’empereur n’ayant qu’à évoquer le caractère divin de sa personne. Les terres privées étaient contrôlées de près, dûment cataloguées par les registres cadastraux et la bibliothèque, sorte de bureau d’enregistrement. Au ier s., les grands domaines privés (ousiai) se développèrent, mais, au iie s., une vague de confiscations en ramena beaucoup sous l’autorité impériale directe. Pays foncièrement rural, l’Égypte se révélait particulièrement exploitable, comme un pays de serfs taillables à merci. L’empereur avait le monopole des carrières, mines, salines, cours d’eau (papyrus), mais il existait bon nombre d’artisans libres, dont les tisserands. L’économie restait, dans son ensemble, d’autant mieux tenue en main que la monnaie était spécifique à l’Égypte, et que le change était un monopole officiel. Ce système permettait d’en tirer les produits sans importations compensatrices notables. De nombreux produits transitaient par l’Égypte : c’étaient les parfums de la côte éthiopienne qui, après traitement dans les officines alexandrines, se répandaient sur les rives de la Méditerranée. C’étaient aussi des produits d’Asie qui, surtout au iiie s., où la route terrestre de l’Orient était moins praticable, débarquaient dans les ports de la mer Rouge (Bérénice, Myos Hormos) et, transbordés jusqu’à Coptos, descendaient le Nil et rejoignaient les cargaisons de blé et de papyrus partant d’Alexandrie.