Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

C’est en 3200 av. J.-C. que commence l’histoire proprement dite, avec le règne de Narmer, qui aurait réuni sous son sceptre les deux royaumes antérieurs. C’est la leçon que l’on peut tirer du premier document de l’histoire d’Égypte : une palette en schiste, trouvée près de Nekhen, actuellement au musée du Caire, ornée de bas-reliefs représentant vraisemblablement des scènes de cette unification. Le pschent, union symbolique des deux couronnes — transcription grecque de pa sekhemty, « les deux puissantes » —, coiffera désormais le chef des rois. Le premier royaume d’Égypte fut donc le fait d’un homme du Sud, conquérant, mais aussi doué d’un sens politique certain : il jeta les bases de la ville de Memphis, à la jonction des « deux terres », port et cité capitale appelée à un grand avenir. (Le nom même d’Égypte est une déformation grecque du nom Het-ka-Ptah, « château du ka de Ptah », qui était, dans l’Antiquité, l’appellation de cette ville.)

Désormais, documents figurés de toutes sortes et innombrables textes contribuent à la connaissance de cette histoire du royaume de la vallée inférieure du Nil, qui va durer trois millénaires. La connaissance plus particulière de la chronologie — plus précisément de la succession des dynasties — nous a été transmise par Manéthon, prêtre savant (iiie s. av. J.-C.) ; en fait, son œuvre essentielle (l’histoire d’Égypte, composée à la demande de Ptolémée Ier) ne nous est pas parvenue, mais nous possédons des résumés ou fragments de celle-ci, transcrits par les historiographes juifs et les chronographes chrétiens. Des documents égyptiens, beaucoup plus anciens, confirment ces données : notamment, pour les premières dynasties, les annales royales conservées sur la pierre dite « de Palerme » ; pour les XVIIIe et XIXe dynasties, le papyrus royal de Turin, et 3 tables royales (nomenclatures de rois dressées à des fins religieuses), dont l’une, provenant de Karnak, est au musée du Louvre. Les 30 dynasties royales qui couvrent l’histoire d’Égypte de 3200 à 333 av. J.-C. (début de l’ère macédonienne) ont été divisées, par les historiens modernes, en Empires (Ancien, Moyen, Nouveau) et Basse Époque, séparés par des périodes dites « intermédiaires » : divisions commodes, qui rendent compte des grandes gestations politiques de la civilisation pharaonique.

Premier souverain de l’Égypte unifiée, Narmer affermit sa conquête, l’organise économiquement et administrativement, et crée une forte centralisation monarchique, faisant du souverain, d’une part, l’élément unique indispensable à la vie du pays, d’autre part le médiateur nécessaire entre les dieux et les hommes.

Si la chasse, la pêche, l’élevage pourvoyaient toujours pour une part aux besoins des hommes, l’agriculture n’avait encore pu atteindre son plein développement : en effet, les eaux de la crue fécondante divaguaient, noyant les terres basses, délaissant les terres hautes ; le gouvernement central fut en mesure alors de coordonner les observations nilométriques et la répartition des eaux tout au long du cours du fleuve ; il put mobiliser la main-d’œuvre nécessaire, qui remblaya la vallée, en nivelant les terrains, et creusa des canaux artificiels sillonnant le sable et irriguant une plus vaste étendue de champs. Les cultures céréalières déjà traditionnelles purent s’étendre considérablement ; il s’ensuivit aussi un remarquable développement des vignobles et des vergers (figuiers, sycomores, dattiers, grenadiers, ricin) ; sur les levées de terre, puis auprès des maisons, des jardins, potagers (concombres, oignons, salades, fèves, pois chiches) ou floraux (lotus, chrysanthèmes, bleuets, mandragores), allaient prospérer. Richesse économique et système monarchique furent dès lors indissolublement liés.

Le souverain affirme aussi sa puissance par son caractère divin ; à l’égal des dieux, ses frères, il a pouvoir et prestige, il est assimilé au faucon divin Horus (patron des princes vainqueurs d’Hierakônpolis). Au cours des règnes suivants, l’ordre pharaonique s’instaure ; résidant à This d’abord, puis à Memphis (à partir de 2780 av. J.-C.), les souverains des 6 dynasties de l’Ancien* Empire mettent en place les éléments de gestion politique.

Le pouvoir temporel est, durant cinq siècles, tour à tour concentré dans les mains de monarques avisés, de despotes magnifiques, de souverains affaiblis. Il s’exerce d’abord sans intermédiaire entre le roi et l’administration, centrale ou provinciale (laquelle avait pour cadre le nome, circonscription déterminée en fonction des besoins de l’irrigation et de l’économie ; il y en avait 38 à l’origine, chacun placé sous l’autorité d’un nomarque, haut fonctionnaire), avec l’aide d’un vizir à partir du début de la IVe dynastie. Alors règnent les premiers grands rois de l’histoire du monde : Djoser, qui porte à son apogée la puissance monarchique avec le concours de son ministre, le génial Imhotep, lettré, savant, médecin, architecte aussi de la première pyramide, à degrés, élevée sur le plateau de Saqqarah ; les autocrates de la IVe dynastie (Kheops, Khephren, Mykerinus, dont les tombeaux — pyramides à parois lisses — se dressent, altiers, près de Gizeh) et de la Ve dynastie ; souverains trop faibles et menacés de la VIe dynastie, Teti, Pepi Ier et Pepi II, le favoritisme en vigueur à la cour ayant permis le développement d’une noblesse de fonction, autoritaire et orgueilleuse, qui, en accédant enfin à l’hérédité des charges, constitue un danger sévère pour l’autorité centrale.

D’autre part, émanant d’abord du précédent mais bientôt face à lui, se dresse un nouveau pouvoir, spirituel. Certes, le roi est dieu, lui seul officie sur tous les bas-reliefs, et les prêtres ne sont que ses délégués. Mais, à partir du début de la IVe dynastie surtout, on passe officiellement de la mythologie royale horienne (qui demeure, mais au second plan, et plus ou moins assimilée) à la mythologie solaire, sous l’influence grandissante des théologiens d’Héliopolis : Rê, divinité cosmique, est un dieu essentiel dont le souverain est désormais le fils ; son clergé est puissant et élabore une théologie modèle. Puissants, aussi, sont certains clergés locaux, celui de Ptah, à Memphis, notamment. Leurs biens matériels (terres dues aux donations royales) en font une puissance dans l’État.