Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Église constitutionnelle (suite)

Par là s’explique que, pour concilier ces discordances, on ait abouti à un amalgame d’autant plus malvenu que le gallicanisme parlementaire et politique dominait dans le Comité ecclésiastique chargé de préparer le projet et que, pour rompre avec les structures aristocratiques de l’Église gallicane, peu évangélique et cause de tant d’abus, la politique pesait davantage que le souci d’une spiritualisation de l’Église, réclamée par les jansénistes, comme par les membres du clergé, fidèles aux doctrines de l’école française de Pierre de Bérulle et Jean-Jacques Olier.


Le décret

Voté le 12 juillet 1790, le décret sur la Constitution civile du clergé comportait sous quatre titres les dispositions suivantes.

Titre I. Circonscription des offices ecclésiastiques. Ne restent maintenus que les bénéfices à charge d’âmes ; suppression des chapitres, collégiales et vicaires généraux. Distribution nouvelle des offices maintenus : évêchés, un par département, soit 83, au lieu de 135 inégalement répartis ; paroisses des villes et campagnes selon les situations locales.

Titre II. Nomination aux offices ecclésiastiques. Les évêques seront élus par le corps électoral du département, les curés par celui du district. Seuls seront nommés par l’évêque ses vicaires épiscopaux, clergé de sa cathédrale, par le curé ses vicaires. Les vicaires épiscopaux, avec voix délibérative, formeront le conseil de l’évêque, sans l’approbation duquel il ne pourra les destituer. Les curés recevront leur institution canonique de l’évêque, les évêques de leur métropolitain. Interdiction à ceux-ci d’en demander confirmation au pape, auquel ils se borneront à envoyer une lettre de communion.

Titre III. Traitement assigné par la Nation aux ministres de la religion. Montant de celui-ci pour les divers offices.

Titre IV. Résidence à garder strictement, sous peine de perdre ce traitement.

Que l’Église n’ait pu accepter cette Constitution civile du clergé, les historiens aujourd’hui en conviennent. Mais, dans la confusion passionnée de l’époque, clergé et fidèles eurent peine à le discerner aussi nettement. Cette confusion, d’ailleurs, légistes et partisans se chargèrent de l’exploiter, voire de l’accroître.

« Nous n’avons pas touché au dogme. Nous n’avons fait que changer la géographie », déclarait Armand Camus (1740-1804). À quoi Jacques André Emery (1732-1811) répondait : « Un territoire n’est pas une réunion de maisons et de champs ; ce sont des âmes. » Ce n’est pas à la puissance civile à instituer les bornes des pouvoirs spirituels qui limitent leur action sur les âmes. La Constituante avait donc commis un abus de compétence en prétendant départir le civil du spirituel.

Confusion, de surcroît, au sujet de la discipline. Substituer à la nomination des évêques par le roi leur élection par le peuple, à leur institution canonique par le pape, leur institution par le métropolitain, arguait-on, n’a rien de révolutionnaire ; il s’agit d’un retour pur et simple à la discipline primitive. Sans doute devait-on convenir que, sur ces points, la discipline avait changé, et même qu’elle pouvait de nouveau changer. Il n’en restait pas moins qu’il n’appartenait pas à la puissance civile de s’en charger, mais à l’autorité spirituelle de l’Église. Or, si elles s’accordaient sur les droits exclusifs de cette autorité, deux théologies alors s’opposaient sur son exercice : la romaine la réservait au pape, chef de l’Église, la gallicane à l’Église, dans le corps de ses évêques réunis en concile. Leur divergence ne laissait pas d’embrouiller le problème.

Enfin, certaines réformes paraissaient heureuses, et le concordat de 1801 devait les consacrer, telle la concordance des cartes civiles et ecclésiastiques, qui répartissait de façon plus équilibrée les diocèses.


L’attitude du clergé

Quelque temps, on espéra maintenir de cette loi ce qui était acceptable, voire bienfaisant, tout en éliminant l’erreur de fond, à savoir les abus de compétence, par un accord bilatéral entre les deux puissances qui sauvegarderait les droits respectifs. Les évêques députés formèrent à cet effet un comité, présidé par François de Fontanges (1744-1806), et proposèrent la réunion d’un concile national. Mais la Constituante se montra irréductible et mit en application la Constitution civile sanctionnée le 24 août par le roi.

Tandis que Pie VI, alerté, ne se prononçait pas officiellement, les évêques se décidèrent donc, le 30 octobre 1790, à publier un Exposé des principes sur la Constitution civile du clergé, qui dénonçait les erreurs de celle-ci, tout en se déclarant prêts à « éviter une déplorable scission ». Or, loin de consentir à un accommodement, l’Assemblée, le 27 novembre, répliqua par un décret astreignant tous les « fonctionnaires ecclésiastiques » au serment à la Constitution civile, sous peine de déposition.

Cette loi posa au clergé un tragique cas de conscience. Les évêques, sauf sept, dont quatre titulaires, Étienne Charles Loménie de Brienne (1727-1794), Charles Maurice de Talleyrand*, Alexandre de Jarente (1746-1820) et Charles La Font de Savine (1742-1814), refusèrent de prêter le serment. Mais leur exemple compta assez peu pour déterminer l’option de leurs prêtres, car ils étaient nobles, et beaucoup d’entre eux ne tardèrent pas à quitter la France, avec la première émigration essentiellement aristocratique.

Les « fonctionnaires ecclésiastiques », dits « du second ordre », se partagèrent par moitié dans l’ensemble, mais dans des proportions très inégales selon les régions, voire selon les terroirs des diocèses, comme le prouvent les statistiques déjà établies pour un certain nombre de départements. D’aucuns jurèrent avec enthousiasme, d’autres avec résignation, certains avec des réserves pourtant interdites, qu’ils masquèrent dans un préambule alambiqué et que les municipaux firent mine de ne pas comprendre ; officiellement en règle avec le décret, ils formèrent une catégorie spéciale, celle des semi-constitutionnels.

S’il est difficile de démêler et de peser les motifs qui décidèrent les jureurs, on doit toutefois convenir que beaucoup, finalement, cédèrent pour maintenir la religion, pour répondre aux vœux de leurs paroissiens et, surtout dans les campagnes, pour ne pas se prononcer en faveur du seigneur contre leurs paysans libérés des droits féodaux.