Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Église catholique ou romaine (suite)

L’Église au service de l’Empire ?

La situation de l’Église face au pouvoir changea au cours du ive s. La persécution de Dioclétien échoua dans sa tentative d’extirper le christianisme du monde romain. L’édit de 311 promulgué par Galère et autorisant les chrétiens à pratiquer leur religion lut surtout un aveu d’impuissance. Le christianisme — si répandu qu’il fût — n’émergea de la clandestinité qu’en 312, lorsque Constantin* écrasa et tua au pont Milvius, sous les murs de Rome, le fils de Maximien, Maxence. Si les historiens ne sont pas d’accord sur les modalités et les ressorts de la « conversion » de Constantin, il est certain que, dès le début de son règne, celui-ci manifesta à l’égard du christianisme une sympathie agissante dont on trouve une preuve dans ce qu’on a appelé l’édit de Milan (313), qui instaura une totale liberté des cultes et répara les dommages subis par les chrétiens. Théodose Ier (v. 347-395), le premier, cessa d’être un arbitre et imposa à tous ses sujets la doctrine catholique telle qu’elle avait été définie au concile de Nicée de 325. L’arrivée des chrétiens au pouvoir politique allait poser des problèmes très graves, dont les conséquences se feront sentir dans l’Église jusqu’à nos jours.

Le paganisme se fondait dans la société civile ; il n’y avait pas de société religieuse séparée, donc pas de heurt possible entre pouvoir civil et pouvoir religieux, qui étaient confondus. La situation dans le christianisme est exactement inverse : il y a un dogme et une discipline stricts qui sont imposés par un clergé indépendant. L’empereur, à la tète de la structure civile, peut-il, dès lors, intervenir dans l’autre structure, la religieuse ? De son côté, si l’Église a le pouvoir législatif, elle ne peut faire appliquer ses décisions qu’en recourant au pouvoir civil.

Tout se complique si des questions de dogme se posent ; à quel titre l’empereur peut-il alors intervenir ? On s’oriente ainsi durant ce ive s., si important pour comprendre la suite de l’histoire de l’Église, vers une confusion entre les deux pouvoirs civil et religieux.

Au nom du respect de l’ordre, les empereurs vont se mêler de l’élection des évêques, de la répression des hérésies ou même de la définition des dogmes : le concile de Nicée — 1er concile œcuménique — n’a-t-il pas été présidé par Constantin lui-même ? En 384, pour la première fois, à la demande de l’Église, l’empereur usurpateur Maxime condamne à mort un hérétique gnostique, l’évêque Priscillien, et ses compagnons. Si les autres hérésies, plus graves, comme l’arianisme ou le donatisme, finissent par s’éteindre, l’Église a dû avoir recours constamment contre elles à la coercition du pouvoir séculier.

En outre, en devenant une religion protégée du pouvoir, le christianisme voit affluer un grand nombre de convertis « intéressés », et, par là, la pureté de la foi de la société chrétienne s’altère et le niveau de sa moralité tombe. Si l’ascétisme érémitique, puis l’ascétisme cénobitique naissent à cette époque dans le désert d’Égypte avec saint Antoine*, c’est comme une sorte de condamnation implicite de la compromission de l’Église avec le monde.

Ces rapports nouveaux vont donner à l’État une habitude qu’il ne perdra plus, celle d’intervenir dans les problèmes uniquement religieux : c’est l’origine de ce qui sera le césaropapisme byzantin. La contrepartie, ce sera la tendance contraire, dite « théocratique », qui verra l’Église essayer de dominer le pouvoir civil. On en a une première esquisse durant le règne de Théodose, lorsque l’évêque de Milan saint Ambroise*, selon la tradition, refuse à l’empereur, coupable du massacre de Thessalonique (390), une place dans le chœur de sa cathédrale.

À l’aurore des temps barbares, les chrétiens ne se sentent plus exilés comme jadis : désormais, ils s’installent dans le monde et s’en estiment responsables. Ils veulent en prendre la direction matérielle par l’empereur et la direction spirituelle par les évêques et les conciles.


Les grandes définitions dogmatiques et le développement des institutions

Les grandes vérités de la foi chrétienne sont définies à cette époque sous la pression des doctrines hérétiques. Toute une pléiade de grands théologiens contribue à élaborer les grandes synthèses théologiques et morales. Ce sont saint Athanase*, saint Cyrille*, les Cappadociens (saint Basile*, saint Grégoire* de Nysse, saint Grégoire* de Naziance), saint Jean* Chrysostome et, en Occident, saint Hilaire*, saint Augustin*, saint Ambroise et saint Jérôme*.

En 325, le concile œcuménique de Nicée et, en 381, celui de Constantinople fixent le dogme trinitaire. Le ve s. sera celui des controverses christologiques : dans ce domaine, les dogmes seront définis au concile d’Éphèse en 431 et à celui de Chalcédoine en 451. En même temps, saint Augustin imprime au christianisme la marque profonde de sa pensée. Son livre la Cité de Dieu exalte le rôle de la grâce divine dans l’histoire du salut de l’humanité. Augustin voit dans l’histoire chrétienne et humaine celle de deux cités en conflit, mais avec l’assurance du triomphe final de la cité du bien.

Les institutions de l’Église se développent également. Le cadre administratif s’implante solidement, et les groupements en diocèses, en provinces et en patriarcats se moulent sur les divisions de l’administration civile. Pendant que les évêques règlent l’administration des sacrements (baptême, pénitence), la liturgie s’épanouit avec la place privilégiée donnée au sacrifice eucharistique. Le culte de la Vierge et des saints prend de l’ampleur.

Le monachisme s’organise en communautés réglées sous l’influence de saint Basile et de saint Pacôme ; né en Orient, il passe rapidement en Occident, où il est introduit par saint Augustin. En Gaule, saint Martin de Tours fonde en 361 son premier monastère et donne l’exemple d’une pénétration massive dans les campagnes restées païennes.