Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

édition (suite)

L’intérêt pour les arts et les sciences s’épanouit au xviiie s., mais sans porter préjudice aux romanciers et aux philosophes. L’Encyclopédie, ouvrage considérable par ses dimensions et son sérieux, par sa diversité et son illustration, se vend cher mais trouve dans l’Europe francophone quelque 30 000 lecteurs, chiffre énorme pour le temps. Les belles éditions sont à leur apogée, réservées à un public de connaisseurs.

Sous la Révolution, lorsque naît l’instruction publique et que la propriété littéraire, déjà reconnue aux auteurs en 1777, leur est confirmée en 1793, le bouillonnement des idées accélère celui des publications, essentiellement des œuvres politiques.

Avec le xixe s. et son essor économique, scientifique et technique, l’éditeur se sépare du libraire, désormais spécialisé comme détaillant et conseiller du public, pour assumer son rôle de découvreur et de maître d’œuvre, en s’adjoignant éventuellement celui d’imprimeur. Les auteurs de romans, de poésie et de théâtre viennent en tête des tirages, obtenant des garanties juridiques et des rémunérations croissantes. L’édition scolaire prend véritablement naissance : Louis Hachette (1800-1864) réalise les premiers gros tirages de manuels du primaire.

Mais les lecteurs se recrutent toujours dans les classes aisées, chez les enseignants et les étudiants ; il n’y en a guère chez les paysans, les ouvriers, les employés ; bref, les masses restent à l’écart. L’édition soigne sa présentation : les ouvrages sont reliés ou cartonnés, imprimés en bonne typographie sur un excellent papier ; l’illustration, lorsqu’il y en a, est en noir. La couleur, rare, apparaît sous forme de hors-texte. Le progrès, en matière d’imprimerie et de photogravure, viendra par la mécanisation de la fabrication du papier et le biais de la presse — machines à plat plus rapides, rotatives ensuite —, qui permettront un abaissement du coût de fabrication, donc du prix de vente. Naîtront des collections brochées, dites « populaires » bien que le peuple en soit rarement le destinataire.

Au début du xxe s., le livre n’a pour concurrents que la presse (quotidiens et périodiques) et, après la Première Guerre mondiale, la radio, qui, alors, informe et amuse plus qu’elle n’instruit.

Alors que les œuvres de l’esprit devraient ignorer les frontières, l’édition demeure jusque dans l’entre-deux-guerres une affaire essentiellement nationale ; bien que la convention de Berne (1886) ait éteint les contrefaçons qui l’affaiblissaient, elle s’en tient à son territoire et à sa langue, sans solliciter systématiquement les traductions qui ouvriraient à des tirages infiniment supérieurs plusieurs pays à la fois...

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’édition est restée, aux yeux de beaucoup, un métier de gentlemen qui accordent plus d’attention aux messages dont ils ont la charge qu’aux produits destinés à les véhiculer : les services littéraires prennent donc le pas sur ceux de la vente et de la production. En France, en face d’un Grasset, d’un Fayard et de quelques autres qui ont le sens aigu de la publicité, une majorité d’éditeurs estiment qu’un livre, s’il est « bon », doit faire son chemin tout seul, libraires et lecteurs décelant d’eux-mêmes ses qualités...

Mais, chez toute nation importante, on trouve au moins un grand commissionnaire qui assure la distribution d’ouvrages de tous les fonds et qui va jusqu’à jouer le rôle de service de vente pour les éditeurs qui en sont dépourvus.


La création

Cessionnaire des droits de l’auteur, l’éditeur est maître d’œuvre : à lui de donner à cette création, qu’il a parfois suscitée, la forme, la présentation, le prix et la trajectoire commerciale appropriés à sa nature, y compris l’exploitation des droits dérivés dans la presse, sur les ondes, à l’écran, en cassette, sur disque, etc.

La propriété littéraire associe plus étroitement, depuis la loi de 1957, l’écrivain à la fortune de son ouvrage, et ce par le régime des droits d’auteur de préférence à celui du forfait. La présence d’un message d’essence immatérielle dans le livre fait de ce dernier un produit mixte, autant service qu’objet, affecté d’un caractère commercial des plus aléatoires ; comment prévoir scientifiquement la carrière d’un livre ? Aucune formule mathématique ne le permettant et toute étude de marché étant, sauf exception, disproportionnée avec l’opération, on s’en rapportera souvent au flair, à l’expérience, aux précédents...

L’éditeur de littérature générale divise donc le risque : plutôt que 10 ou 15 titres dans son année, il en lance 60, en appuyant ceux qui « partent » bien. Là-dessus, 40 tomberont, une douzaine se vendront à 3 000 ou 4 000 exemplaires et équilibreront leur budget, 6 ou 7 seront rentables, surtout s’il s’ensuit traductions, adaptations à l’écran, etc. Pareille incertitude pousse immanquablement à la surproduction et à une seconde division des risques sous la forme d’une politique de diversification. Aussi la littérature d’imagination et les belles-lettres cèdent-elles du terrain à des genres réputés plus sûrs : les monographies touristiques, l’histoire contemporaine, les policiers, les ouvrages de vulgarisation et les encyclopédies, qui supposent des services de rédaction plus étoffés.

Dans les domaines de l’enseignement, de la technique et des sciences, le marché est mieux défini, et l’incitation à la lecture, fondée sur l’obligation d’apprendre ou de se tenir professionnellement au courant, s’y montre puissante et plus régulière. Mais des variations brutales sont à craindre du fait qu’il s’agit en grande partie d’achats émanant de collectivités ou de l’État et passés sur des crédits exposés à des réductions inopinées, et qu’on y traite de matières soumises soit à la mouvance de programmes sans cesse remis en question, soit à l’évolution inlassable des sciences et des techniques.