Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Edda

Nom donné à deux œuvres littéraires islandaises du xiiie s.


Les deux Eddas sont dissemblables, et leur même appellation peut entraîner une certaine confusion. L’œuvre la plus importante, la Grande Edda ou Edda poétique, regroupe d’antiques poèmes (ou chants) mythologiques, didactiques et héroïques, issus du peuple, conçus à l’époque prélittéraire et transmis par tradition orale pendant des siècles jusqu’à leur fixation par écrit. L’autre, l’Edda en prose, est l’œuvre de Snorri* Sturluson (v. 1179-1241), auteur des célèbres sagas royales, juriste réputé et « narrateur de la loi » (président) de l’Assemblée législative (Alþingi) de l’Islande au début du xiiie s. Elles sont donc de nature différente : l’une, d’auteurs anonymes, contient tout un héritage mythologique et héroïque ; l’autre, création d’un auteur, forme un véritable manuel de poésie scaldique.

L’Edda poétique comprend deux parties. Dans la première sont réunis des chants consacrés à la mythologie de la Scandinavie ancienne. Toute la cosmogonie de la religion païenne y figure. L’autre partie contient des poèmes héroïques, dont les thèmes se fondent sur de très anciens faits historiques, certaines légendes remontant à l’époque des Grandes Invasions. Les poèmes héroïques sont probablement plus anciens que les poèmes mythologiques, qui, eux, sont sans doute contemporains de l’époque viking, époque où le christianisme s’installa dans le Nord. Les plus anciens chants doivent remonter au moins à l’an 800 de notre ère. Il en découle qu’un certain nombre de ces poèmes ont dû être conçus et récités en Norvège. Car c’est vers les années 870 que les premiers colons norvégiens quittent leur pays natal et s’établissent en Islande, jusqu’alors inhabitée, excepté par quelques ermites irlandais, les papar. Ils y fondent une république aristocratique gouvernée par l’Alþingi, Assemblée législative et Cour suprême. Une véritable culture littéraire se développe. En 1643, l’évêque islandais Brynjólfur Sveinsson à Skálholt découvrit un ancien manuscrit qu’il envoya en 1662 au roi Frédéric III de Danemark, d’où son nom de Codex regius. Incomplet, il comprenait quarante-cinq feuilles de parchemin. Snorri Sturluson avait rédigé vers 1220 son traité d’art poétique, dans lequel il commentait un ancien ensemble de poèmes, surtout mythologiques. On pensait que le manuscrit découvert, probablement une copie datant de 1270 environ, représentait cet ensemble d’anciens poèmes. On rattacha à tort ce manuscrit eddique à un prêtre et érudit islandais du début du xiie s., Sæmundr inn fróði (Sæmund le Sage), devenu légendaire pour ses talents magiques et sa vaste culture littéraire. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que le ou les auteurs n’ont fait que rédiger et organiser en un ensemble d’antiques chants, dont les thèmes, issus d’un fonds commun germanique, ont été élaborés et transposés par le peuple nordique, ou plus précisément par des poètes norvégiens et surtout islandais. D’ailleurs, dans le reste de la Scandinavie, il existait probablement des textes analogues créés autour des mêmes thèmes. Le nom d’Edda était originellement le nom du titre de l’œuvre de Snorri, étendu par la suite aux poèmes anciens commentés dans son texte. L’origine du nom est obscure, soit « eidha » (aïeule), soit Oddi, célèbre école où Snorri reçut son éducation. La structure métrique de l’Edda poétique est rigoureuse : elle repose sur le principe d’allitération de vers longs et sur le compte des temps forts. Le type le plus courant est formé par la strophe de quatre vers longs, chaque vers étant divisé en deux hémistiches comptant chacun deux temps forts. Dans le premier hémistiche, l’une ou les deux syllabes accentuées peuvent porter l’allitération, mais, dans le second, seule le peut la première syllabe accentuée.

• Les chants mythologiques. Völuspá, le chant le plus célèbre, ouvre l’Edda, sans doute à cause de son caractère cosmologique. On peut traduire le titre par « prophéties » ou « visions de la Volva » (Sibylle). Il semble que la scène se déroule dans une assemblée des dieux, où la Sibylle prédit le destin des dieux et de la Terre. Elle commence par évoquer le temps où rien n’était en dehors du Soleil, de la Lune et des étoiles. Mais le Soleil ignore sa place, la Lune son pouvoir et les étoiles leur chemin. Elle voit les dieux se réunir, donner des noms à la nuit, au matin, au midi et au soir. Ils donnent la chaleur vitale au premier couple humain, Askr et Embla. La Volva voit encore le frêne Yggdrasil, dont les trois racines abritent respectivement le monde des morts, celui des géants et celui des hommes. Puis elle voit des batailles, l’ère des épées, des vents et des loups. Arrivent la fin du monde et le crépuscule des dieux (Ragnarök). Yggdrasil tremble sur sa base, les géants et le loup Fenrir se libèrent. Le serpent universel (Midgardsorm) attaque ; les héros morts se réveillent pour combattre à côté des dieux. C’est la bataille finale et la mort. La terre est couverte par la mer, et les étoiles tombent des cieux. Des vagues, la Volva voit resurgir une nouvelle terre sur laquelle réapparaîtra la vie, heureuse et solidaire. Ce passage suggère une conception cyclique de l’histoire ; en outre, l’influence du christianisme n’est pas exclue, notamment dans la résurrection de la vie. Mais ce chant peut également être considéré comme une réaction nostalgique, comme un dernier sursaut pour défendre l’ancienne religion menacée.

Hávamál, monologue didactique célèbre, est une leçon de morale dite par Odin. Ce poème est sûrement très ancien, absolument païen et peut-être d’origine norvégienne. Les sentences sont directes et concernent la vie en général. Odin enseigne la sagesse, la prudence et le savoir-vivre. Dans cette première partie, le bien le plus apprécié par Odin est manifestement la gloire : « Le troupeau meurt / les parents meurent / tu mourras de même / mais la renommée / ne meurt jamais / ... » (strophe 76). Dans Rúnatal, Odin raconte comment il est devenu maître des runes (écriture magique). Dans Ljoðatal, la dernière partie, il énumère les dix-huit chants magiques qu’il a appris.