Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

économique (science) (suite)

Dans la République, Platon s’est attaché à décrire le projet d’une société idéale, fondée sur un système hiérarchisé de castes : au sommet, les philosophes, en qualité de gouvernants ; au milieu, les auxiliaires, ou soldats ; au bas de l’échelle, les cultivateurs et les artisans. Cette division des activités a été imaginée par Platon comme le moyen de libérer les classes supérieures — celles des magistrats et des guerriers — des servitudes de la possession et de la richesse ainsi que de l’esprit de lucre et d’envie. Ces classes supérieures, vivant du travail de la classe inférieure dans une sorte de communisme aristocratique et ascétique, pourraient ainsi se vouer au service de la collectivité. Au contraire, Aristote, prolongeant en cela sa démarche de politologue, a procédé plutôt à une analyse de fait de l’échange et des fonctions de la monnaie. Une telle analyse se justifiait aux yeux d’Aristote pour la recherche d’une définition du juste prix et pour condamner le monopole.


La nuit de la pensée économique : l’économie politique subordonnée

Ces premiers efforts des auteurs de l’Antiquité grecque ne furent pas poursuivis par les Romains, qui marquaient d’ordinaire un sentiment de réprobation à l’égard de l’activité économique, considérée comme indigne d’un citoyen. Les écrits latins les plus notables au point de vue économique traitaient surtout de problèmes pratiques (agriculture, commerce intérieur, échanges internationaux). Par contre, les auteurs ont imprimé une vigoureuse impulsion au droit (contrat, droit de propriété) et, par là, ont influencé fortement la vie économique des âges futurs, dans un sens d’ailleurs individualiste.

À leur suite, la pensée économique ne progresse pas, entre la décadence romaine et le xiie s. Elle ne se manifeste de nouveau qu’avec les théologiens et les canonistes, qui s’interrogent, en fonction de préoccupations morales, philosophiques ou spirituelles, sur la signification des phénomènes économiques. Dans ces discussions doctrinales, elle apparaît subordonnée, comme liée à des considérations éthiques. Cette subordination ne disparaîtra pas au cours des siècles suivants, des préoccupations politiques prenant le relais des considérations d’ordre moral. C’est seulement à partir du xviiie s., à la suite des transformations des sociétés occidentales, que la science économique offrira une explication d’ensemble objective de la vie économique, dont la cohérence et la précision se développeront jusqu’à nos jours. Cette science n’a, ainsi, conquis que lentement son autonomie à l’égard de la philosophie, de la morale, de la religion et de la politique.


La subordination à la morale

Les théologiens — au premier rang saint Thomas* d’Aquin et Luis de Molina (1535-1601) — prennent une position extrêmement nette relative à certaines questions économiques, liant la solution de celles-ci à la conception chrétienne de l’existence. Il s’agit non pas de mettre en question l’ordre établi, mais de prescrire des règles de conduite individuelle conformes aux exigences du bien commun quant à l’organisation corporative et monopolistique des métiers, qui soulevait le problème du juste prix et du juste salaire, celui de la rareté du capital, celui du niveau élevé des taux d’intérêt (l’usure, que les théologiens condamnent)... Les doctrines du Moyen Âge tiennent compte des nécessités du moment et des réalités observées, et les apprécient au moyen d’un critère essentiellement éthique : elles aboutissent à affirmer la dignité de l’homme, à réhabiliter le travail sans condamner la richesse ; elles réprouvent le luxe, mais énoncent la fonction sociale de la propriété. Le christianisme, dans l’ensemble, imprègne ces conceptions.


La subordination à la politique : le mercantilisme

La poussée de la bourgeoisie* urbaine (xive s.), les grandes inventions et les grandes découvertes* (xvie s.), l’afflux de métaux précieux en provenance des colonies américaines, la révolution dans l’ordre intellectuel et moral avec la Réforme* et la Renaissance*, la hausse des prix, la naissance, en France, de l’État moderne souverain (xviie s.) ébranlent les cadres de l’activité économique. Rejetant l’autorité universelle de l’Église romaine, les États nationaux adoptent naturellement des attitudes belliqueuses, défensives ou impérialistes. Les princes, qui éprouvent des besoins impérieux d’argent, tentent d’organiser l’activité économique en vue de l’intérêt national.

L’activité économique est plutôt considérée comme l’objet d’un art que comme celui d’une science. C’est un recueil de préceptes ou de solutions adaptées à des cas ou à des problèmes particuliers. On poursuit essentiellement un but pratique : édicter des règles pour la bonne gestion et l’accroissement d’un patrimoine. Lorsque ce patrimoine est une fortune particulière, l’art dont il s’agit est l’économie privée, parfois appelée ménasgerie par les vieux auteurs. Lorsqu’il s’agit du patrimoine d’un prince, c’est-à-dire d’un État monarchique, l’art de la bonne gestion s’appelle, selon le terme inventé par Montchrestien en 1615, économie politique.

Ces préoccupations donnent naissance au mercantilisme, expression commode pour désigner les travaux des auteurs (le plus souvent hauts magistrats, souvent aussi philosophes nourrissant l’espoir d’être appelés à conseiller leur prince, parfois même négociants heureux, désireux d’appliquer aux affaires publiques l’expérience acquise dans leur gestion privée) qui, du xvie au xviiie s., se sont penchés sur le problème de la prospérité matérielle de l’État.

Les mercantilistes partiront de cette idée que, pour asseoir et augmenter sa puissance et sa prospérité, l’État doit porter au niveau maximal son stock de métaux précieux, considéré alors comme la première richesse. Pour y parvenir, les nations occidentales adopteront des moyens différents, variables suivant leur mentalité et leur situation. Le raisonnement espagnol (ou bullionisme) devant le stock d’or ramené d’Amérique est court : pour le garder, bloquer les sorties d’or, interdire (ou ralentir) les importations de marchandises, qui exigent des décaissements de métal précieux. Ce raisonnement imparfait coûtera à l’Espagne sa suprématie et la placera pour plusieurs siècles sur la voie d’un déclin irrémédiable. Pour les Anglais, l’enrichissement passe par le développement des exportations, du commerce et des transports maritimes (commercialisme). Le raisonnement français (ou industrialisme) est beaucoup plus complet : il insiste sur la nécessité de l’industrialisation et de l’aide de l’État pour accélérer l’essor des manufactures. Il s’agit de vendre à l’extérieur des marchandises facilement exportables et suffisamment chères pour assurer de fortes rentrées de métaux précieux.