Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

ecclésiologie (suite)

Israël et l’Église

L’Église ne peut être saisie dans sa réalité propre que si on la considère dans le temps. Issue du peuple juif, elle a pour fin d’annoncer le message de l’évangile au monde entier. Pour la définir, il faut faire appel à la notion biblique d’alliance, qui se fonde sur une loi de promesse et d’accomplissement. L’histoire de la révélation judéo-chrétienne commence avec l’appel d’un peuple, Israël. La naissance et le développement de l’Église ne sont pas séparables de l’existence préalable de ce peuple. Lors de la sortie d’Égypte, Dieu a scellé avec lui une alliance, érigeant ainsi le peuple juif en « peuple témoin » et « peuple prêtre » devant les nations. Auparavant, « il n’était pas un peuple » (Osée, i, 9), tout au plus une communauté d’hommes d’origines diverses (edah) ; à partir de l’Exode, il a été constitué peuple de Dieu (qehal Yahvé). Cette consécration, au demeurant, ne signifie pas une préférence de Dieu à son endroit au détriment des nations mais au contraire une promesse pour les nations. L’élection de ce peuple inaugure donc un lien étroit de celui-ci avec les nations. Elle le charge d’une responsabilité universelle, car tout ce qui arrive à Israël est une figure de ce qui doit se produire aussi au sein des nations. Aussi le titre de « peuple de Dieu », titre propre du peuple juif, n’était-il pas destiné à lui demeurer attaché comme un privilège. Il lui reste attaché, certes, et Israël doit toujours lui donner sens et contenu ; mais il devait aussi recevoir une extension universelle lors de l’appel des gentils et, selon la foi chrétienne, il a pris cette amplitude nouvelle avec la venue du Christ, et il s’est trouvé communiqué à l’Église, qui doit annoncer l’évangile à tous les peuples (I, Pierre, ii, 9-10).

Par rapport à Israël, peuple des premiers temps, peuple de l’élection, l’Église est pour les chrétiens le peuple des derniers temps, le peuple des « cieux ouverts » par l’incarnation du Fils de Dieu. Israël est le peuple de l’annonce et de la parole, l’Église le peuple de la manifestation définitive et du royaume de Dieu inauguré. Israël et l’Église se répondent donc comme deux vocations particulières, comme les deux faces du même peuple de Dieu, comme deux éons, successifs sans doute mais aussi concomitants, car l’Église n’existerait pas sans Israël, et Israël ne trouverait pas sa signification universelle sans l’Église. Cette relation entre Israël et l’Église, qui en elle-même pourrait être éclairante pour les deux partenaires et devrait être pleine de sens pour le monde, est cependant historiquement obscurcie et obnubilée par leur défaut de reconnaissance réciproque : entre les deux fractions du peuple de Dieu règne une « jalousie » (Romains, xi, 11) qui doit durer jusqu’au temps de leur réconciliation, dernier temps attendu qui doit couronner les deux premiers temps de l’histoire et sera, selon saint Paul, un temps de plénitude pour les juifs comme pour les nations.


La fondation de l’Église

Constitutivement, l’Église existe donc « entre les temps ». Elle est sortie d’Israël et elle inaugure le Royaume à venir dans lequel tous les hommes seront réconciliés. Ainsi, elle puise son inspiration et son recrutement des deux côtés : elle est l’Église « des juifs et des gentils ». Elle reçoit le salut des juifs et elle le porte aux gentils. À ce titre, l’Église se présente, déjà dans le Nouveau Testament, comme la « communauté des derniers temps ». Elle constitue les prémices, l’avant-goût du Royaume qui vient, ouvert et inauguré par Jésus-Christ, et qui sera définitivement établi lors de son retour. Cependant, l’Église ne s’identifie pas avec le Royaume de Dieu. Elle chemine sur terre, elle a ainsi sa consistance propre par rapport au Royaume qu’elle annonce et qui est déjà advenu, un peu comme Israël en a une par rapport à l’Église qu’il annonce et qui est déjà advenue.

Jésus a fondé l’Église avant tout en annonçant le « Royaume qui vient ». En proclamant son message de justice et d’amour et en sanctionnant ses paroles par sa vie jusqu’à sa mort, il n’a pas fait une œuvre directe de fondateur de société nouvelle et de législateur. Cependant, s’il n’a pas laissé de constitution à cette communauté qu’il inaugurait, il a célébré la Cène avant de mourir, actualisant et renouvelant le mémorial de la pâque juive ; il a appelé les douze apôtres et les a envoyés baptiser toutes les nations ; et ceux-ci ont proclamé le salut (« Jésus est Seigneur ») et le retour du Christ (Marana tha), principe de toute confession de foi. Aussi les exégètes admettent-ils généralement aujourd’hui que la constitution de la communauté primitive remonte bien à la personne et à l’activité de Jésus. Pour certains, il est vrai, protestants surtout, ce n’est pas la personne de Jésus mais l’action divine en lui qui constitue l’origine historique de l’Église : Jésus n’aurait pas procédé lui-même à son institution ; il n’aurait fait que proclamer la bonne nouvelle aux « brebis perdues d’Israël », sans l’annoncer aux païens. Cette extension de l’annonce, d’où est sortie l’Église, serait le fait des disciples et aurait résulté finalement d’une décision des apôtres, et des anciens qui l’ont sanctionnée au concile de Jérusalem. Pour d’autres, en particulier les exégètes catholiques, on doit reconnaître que c’est Jésus lui-même qui a établi l’Église dans la structure où nous la connaissons et que nous avons reçue de lui ; sa conscience messianique est une donnée historique bien établie ; aussi Jésus a-t-il voulu rassembler autour de lui une communauté messianique. Il a connu l’échec de sa prédication auprès des pouvoirs établis et a offert sa mort à la place du grand nombre (substitution) dans l’attente de la réconciliation de tout le peuple ; il a laissé entrevoir entre sa mort et l’avènement du Royaume un temps nouveau, non de pure attente, mais de témoignage et de lutte pour les disciples qui obéiraient comme lui à la parole de Dieu.