Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dukas (Paul) (suite)

Indifférent aux honneurs, Dukas a mené une vie simple, discrète, dans un éloignement volontaire du monde, comme un Cézanne à Aix, faisant songer souvent à ce grand peintre, auquel plus d’un trait de caractère l’apparente. D’esprit cartésien, il rappelle aussi certains artistes de la Renaissance, qui méditent avant de créer. Bien entendu, il ne méconnaît pas pour cela la puissance de l’instinct, la prééminence de la sensibilité dans la conception de l’œuvre d’art. « Toute la force de l’originalité est dans l’inconscience », écrit-il. Un des traits distinctifs de la grande individualité musicale, ajoute-t-il, est « de correspondre étroitement aux particularités du tempérament sensitif et moral de son possesseur. Elle est l’expression directe de sa personnalité d’homme manifestée par les facultés spéciales qui résultent de ses aptitudes d’artiste. » Les plus grandes audaces et habiletés techniques « sont de peu de prix sans la poésie... Il faut savoir beaucoup, et faire de la musique avec ce qu’on ne sait pas. »

Toutes ses réflexions sur l’art témoignent d’une intelligence supérieure, d’un sens très large de l’humanisme. Sa vaste culture, la lucidité et la sûreté de ses jugements lui permettent de réussir brillamment dans la critique musicale. À partir de 1892 et durant une dizaine d’années, il rédigea régulièrement pour la Revue hebdomadaire puis pour la Gazette des beaux-arts de substantiels comptes rendus de concerts et de représentations lyriques. Ces chroniques, qui abordaient tous les sujets et toutes les époques, dépassent singulièrement le niveau habituel de ce genre d’écrits. Elles constituent souvent de véritables études esthétiques d’une valeur exceptionnelle et donnent un panorama presque complet de l’histoire musicale.

À la jonction de deux époques, Dukas synthétise les tendances issues de l’art des grands romantiques et les aspirations nouvelles des compositeurs du xxe s. Son inspiration mélodique, éloignée de toute concession, s’impose par sa netteté et sa vigueur. Ses thèmes jaillissent dans une lumière pure, sans aucune équivoque impressionniste. Il se constitue une langue harmonique de base classique, mais audacieuse et libre dans sa réalisation. Enfin, plus qu’en aucun autre point de style, c’est dans l’écriture orchestrale qu’il montre son originalité foncière. Bien différent de Debussy, qui isole les timbres et aère les sonorités, Dukas groupe son orchestre, masse ses instruments, recherche plus les effets d’alliage que de ton pur. Il amalgame plus qu’il ne décompose. Grand coloriste, il donne à la matière symphonique une apparence somptueuse ; comme Wagner et Richard Strauss, il obtient une magnifique et opulente plénitude sonore.

Haute figure de l’école française moderne, Paul Dukas continue la tradition spirituelle de Rameau et de Berlioz. Paul Valéry apprécie chez lui « la rupture évidente et franche avec toute facilité », « la sévérité dans la recherche de soi-même et dans la poursuite de la poésie pure de son art ». Et l’un de ses pairs, Gabriel Fauré, écrit : « Originalité puissante, haute sensibilité, style admirable : telles m’apparaissent les qualités qui font de Paul Dukas un très grand musicien. »

G. F.

 G. Samazeuilh, Paul Dukas (Durand, 1913 ; nouv. éd., 1936). / G. Favre, Paul Dukas (la Colombe, 1948) ; Écrits sur la musique de Paul Dukas (S. E. F. I., 1948) ; l’Œuvre de Paul Dukas (Durand, 1969). / Correspondance de Paul Dukas (Durand, 1971).

Dulles (John Foster)

Homme politique américain (Washington 1888 - id. 1959).


Son père, un pasteur presbytérien, le fait étudier à Princeton, puis à la Sorbonne, où il suit en 1908-09 le cours de Bergson, enfin à l’université George Washington. Avocat, Dulles entre dans un cabinet d’affaires de New York, qu’il dirige à partir de 1927.

Son grand-père, qui a été en 1892 le secrétaire d’État du président Benjamin Harrison, l’initie très tôt à la politique étrangère. Son oncle, Robert Lansing (1864-1928). l’envoie en 1917 en mission en Amérique centrale. L’année suivante, Dulles siège au War Trade Board ; en 1919, il est un des principaux experts de la Conférence de la paix. De cette première expérience diplomatique, il gardera pour Wilson un profond respect : comme lui, il souhaite que les États-Unis jouent le rôle principal dans les affaires du monde, que les rapports entre les nations reposent sur des conceptions morales, que la paix soit assurée par une organisation collective.

Au moment où la guerre recommence en Europe, Dulles préside, au sein du conseil fédéral des Églises, la commission pour une paix juste et durable. F. D. Roosevelt l’invite à participer à la conférence de Dumbarton Oaks (1944), et Truman à celle de San Francisco (1945). Républicain, Dulles représente la tendance du parti favorable à l’internationalisme : Truman le charge de préparer le traité de paix avec le Japon et le consulte à diverses reprises.

Élu président en 1952, Eisenhower demande à F. Dulles de diriger le département d’État. Il lui laisse une grande liberté de manœuvre. Certes, Dulles écrit au président de longs rapports et discute avec lui tous les aspects d’une situation. Mais en fait, pendant six ans, le secrétaire d’État sera le véritable responsable de la diplomatie américaine.

À ses yeux, le danger communiste menace l’âme de l’Occident : les Soviétiques en Europe, les Chinois en Asie ne songent qu’à imposer leur domination. Aussi les États-Unis doivent-ils, face à ce péril, assumer le leadership du monde libre sur le plan moral, matériel, militaire. La politique du « containment » est dépassée ; il faut libérer les peuples soumis à l’emprise soviétique (Eisenhower ajoute : par des moyens pacifiques), même si l’on frôle la guerre thermonucléaire. Infatigable pèlerin, Dulles prêche la lutte contre le mal, vitupère le neutralisme ou le désengagement, qui lui paraissent immoraux. Quand il meurt, victime du cancer, le 24 mai 1959, on dira de lui qu’il a conduit son pays jusqu’au bord du gouffre. Mais il ne l’y précipita pas.