Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Djāḥiz (Abū ‘Uthmān ‘Amr ibn Baḥr al-) (suite)

C’est évidemment dans ces trois ouvrages que se manifeste avec le plus d’éclat la manière si particulière d’al-Djāḥiẓ. Aucun de ces livres n’est composé selon un plan logique. L’écrivain cède au mouvement de sa pensée, qu’il se borne à maintenir dans les limites incertaines et fluides d’un sujet pour ainsi dire sans contour. Dans une certaine mesure, ces ouvrages donnent l’impression d’une conversation où un esprit chargé de science et d’expérience, fort de sa culture, de sa finesse, de son ironie, de son bon sens se laisse aller devant un auditoire qui suit avec délices ce « mouvement perpétuel ». Ce style est sans nul doute une réaction contre le système d’exposition rigide reçu des théologiens ou des juristes. Du vivant même d’al-Djāḥiẓ, il a provoqué des réactions chez des contemporains, comme Ibn Qutayba par exemple, soucieux d’ordonner ce chaos. Cette « manière » d’al-Djāḥiẓ illustre la forme littéraire prise par l’esprit d’adab ou, si l’on préfère, par l’encyclopédisme iraqien dès la fin du ixe s. L’influence d’al-Djāḥiẓ dans la littérature arabe est encore mal connue. Cet écrivain n’est certes pas un penseur, mais le tour pris par l’expression de sa pensée et par son style se retrouve après lui chez les anthologues qu’anime l’esprit d’adab. À l’époque contemporaine, la quête des grands ancêtres a eu pour conséquence de placer cet écrivain et cet essayiste parmi les représentants les plus illustres de la prose arabe.

R. B.

 C. Pellat, le Milieu baṣrien et la formation de Ğaḥiẓ (A. Maisonneuve, 1953) ; « Al-Djāḥiẓ » (article dans Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., II, 385-388).

Djakarta

ou (depuis 1973) Jakarta, capitale de l’Indonésie (Java).



Le développement de la ville

Quand, en 1511, les premiers Portugais abordèrent dans l’île de Java, ils découvrirent un village de pêcheurs, Sunda Kelapa, installé au bord du petit estuaire de la rivière Ciliwung. En 1527, le bourg fut conquis par les musulmans de la partie occidentale de Java, qui décidèrent de le débaptiser pour l’appeler Jajakerta. Puis, en 1619, le village fut détruit par la Compagnie des Indes néerlandaises, et les Hollandais construisirent une nouvelle ville à laquelle ils donnèrent le nom de Batavia. Cette ville devint rapidement la capitale économique et politique de l’archipel. La Compagnie bâtit une forteresse, creusa des canaux, édifia des ponts, le tout dans le style typique des villes de la Hollande, ce qui fit ressembler Batavia à... Amsterdam. Ce noyau urbain existe encore partiellement, c’est ce que l’on appelait du temps des Hollandais Kota Inten, la « ville diamant » (en raison de la forme de la forteresse), et que l’on nomme de nos jours Kota (« la ville »). Les Indonésiens en furent rejetés, en raison de la méfiance de la minorité européenne, se croyant constamment menacée ; les Chinois, autre minorité étrangère, y furent de ce fait même assez bien accueillis. Ce quartier est encore aujourd’hui marqué par une prédominance ethnique chinoise.

Cependant, les conditions de vie étaient désastreuses, le site étant particulièrement malsain ; les éléments les plus favorisés de la population commencèrent à émigrer au xviie s. en dehors des murs de l’agglomération pour s’installer le long des canaux. Cette tendance reçut une sanction officielle en 1810 quand le gouverneur Herman Willem Daendels (1762-1818), qui faisait partie du nouveau personnel politique hollandais introduit par Napoléon, transféra le siège du gouvernement de la vieille forteresse au nouveau quartier résidentiel de « Weltevreden », situé au sud de Kota. À cette époque, la République batave avait été annexée par les armées de l’Empire, et le drapeau français flottait sur les édifices publics de la capitale des Indes néerlandaises, qui comptait alors de 45 000 à 50 000 habitants. Une différenciation fonctionnelle des quartiers s’opéra. L’ancien noyau urbain retint les activités commerciales, et cette localisation du commerce, associée à la présence chinoise, existe encore ; par contre, le déplacement du siège du gouvernement a entraîné un transfert partiel des activités administratives dans le nouveau quartier.

La troisième phase d’urbanisation débuta au xixe s. Cette fois, il s’agit d’un véritable éclatement de la ville dans toutes les directions. Il n’était plus question ni possible de copier servilement les modèles urbains européens, et on commença à s’inspirer de certains modèles apportés par l’habitat traditionnel indonésien. Les nouvelles demeures étaient spacieuses et généralement bâties au fond de vastes jardins ; ce type d’habitat est devenu peu à peu ce que l’on a baptisé le « style colonial ». L’urbanisation le long de ces artères était moins dense, les maisons moins serrées. C’est même à cette époque que l’on a décidé d’ouvrir au centre de Djakarta une très grande place qui, à bien des égards, évoque le traditionnel « alun-alun », place de réunion qui occupe le centre de la plupart des villages indonésiens. Bien entendu, ces résidences très confortables étaient réservées essentiellement aux Européens et secondairement aux Eurasiens. Pour compléter cette urbanisation encore toute linéaire, de vastes espaces intercalaires demeurés inoccupés entre les artères étaient progressivement assez anarchiquement colonisés par les habitations spontanées indigènes, les « Kampung », sortes de pseudo-villages suburbains.

La ville progressa surtout vers le sud-est, où elle finit par rejoindre et annexer un petit village datant du xviie s., Jatinegara (Meester Cornelis selon l’appellation hollandaise). Batavia comptait, en 1905, 173 000 habitants. Cependant, les Européens s’installaient toujours plus au sud (la mer est au nord) et se fixèrent en particulier à Menteng et même jusqu’à l’ultime couronne de canaux et de voies ferrées qui entourent l’agglomération, la limitant au sud. À la veille de l’attaque japonaise, la ville comptait plus de 500 000 habitants.