Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Algérie (suite)

L’agriculture traditionnelle combine trois séries de ressources complémentaires : dans les jardins et vergers, des cultures de légumes, de pommes de terre et d’arbres fruitiers, presque toujours en culture irriguée ; sur les terres les plus fraîches et sans avoir recours à l’irrigation, la céréaliculture sèche très extensive, à base surtout de blé dur et d’orge ; sur les parcours des djebels de la steppe ou des fonds saisonnièrement inondés, l’élevage, spécialement l’élevage des ovins qui trouvent aussi un complément de pâture sur les chaumes. Cette économie ne commercialise qu’une partie de la production (variable selon l’importance des récoltes). Essentiellement tournée vers la subsistance des familles exploitantes, elle permet de composer un menu monotone, à base de produits céréaliers (couscous et galettes, que relèvent des sauces pimentées et que complètent, de manière inégale selon les régions, la viande de mouton, les fruits et les légumes).

Dans le Sud, du Sahara aux steppes de la partie occidentale et méridionale des Hautes Plaines, domine l’élevage du mouton et du dromadaire. Mais il n’exclut pas quelques périmètres de céréaliculture sèche, risquée dans les fonds d’oueds, ni l’arboriculture des oasis, où l’irrigation rend possible l’extension des palmeraies (récolte des dattes). Les montagnards chaouïas de l’Aurès combinent l’agriculture irriguée dans de petits jardins proches des villages, la céréaliculture sèche et l’élevage des moutons, qui utilisent les parcours du djebel. Dans les montagnes les plus humides du Tell, les paysans kabyles consacrent moins de soins et de surfaces à l’irrigation, et, au contraire, réservent une place importante à la culture des oliviers et des figuiers. Mais leur économie est profondément désorganisée par l’émigration. Partout ailleurs, c’est l’association extensive de la céréaliculture sèche et de l’élevage du mouton qui domine, parfois complétée par quelques périmètres irrigués.


L’agriculture autogérée

Le gouvernement algérien, conformément à la doctrine socialiste qui l’anime, s’est efforcé de développer des formes de coopération au sein de l’agriculture traditionnelle. Mais, en fait, les structures de celle-ci ont été à peine modifiées par l’évolution récente. Il en est tout autrement de l’ancienne agriculture coloniale, secteur moderne de l’agriculture algérienne. Une expérience particulièrement originale se développe : celle de l’autogestion. En effet, à la suite du départ massif des agriculteurs européens en 1962, les travailleurs des anciennes exploitations coloniales, en un mouvement spontané, prirent eux-mêmes en charge, collectivement (par l’intermédiaire de « comités de gestion »), les fermes et les cultures. Ainsi furent créées des exploitations autogérées, auxquelles plusieurs décrets (en 1963 notamment) apportèrent une caution légale en même temps qu’une organisation d’ensemble.

Héritier de la colonisation agricole, le secteur autogéré fait figure de privilégié au sein de l’agriculture algérienne. Occupant relativement peu de main-d’œuvre (185 000 travailleurs, soit environ 15 p. 100 de la population agricole), il possède le tiers des surfaces cultivées, d’ailleurs parmi les meilleures (dont les plaines telliennes), et assure près de la moitié du revenu agricole. Très mécanisé, travaillant sur de grandes unités de production (de 500 à 5 000 ha ; moyenne légèrement supérieure à 1 000 ha), le secteur autogéré dispose d’un instrument agricole remarquable, sur lequel sont développées des productions généralement très différentes de celles de l’agriculture traditionnelle : la viticulture, grande richesse de la colonisation française en Algérie (l’Algérie se classe encore au septième ou huitième rang des producteurs mondiaux de vin) ; l’agrumiculture et les cultures maraîchères ; la céréaliculture sèche mécanisée, sur le front pionnier de la colonisation, aux limites de la steppe. Ce type d’agriculture domine naturellement là où étaient jadis installées les fermes de colonisation : l’ensemble des plaines et collines de l’Algérois et de l’Oranais telliens, du Sahel d’Oran à la Mitidja, région par excellence des fermes autogérées ; les plaines du Nord-Constantinois, enclavées au milieu des montagnes humides (Bejaïa, Skikda et surtout Annaba) ; enfin la frange la moins sèche des Hautes Plaines (Sersou, Hautes Plaines du Constantinois).

Ce secteur, relativement riche, ne manque pas, cependant, de poser de multiples problèmes aux responsables de l’économie. Celui du maintien du niveau technique des exploitations n’est probablement pas le plus difficile. Certes, les statistiques ont bien enregistré une baisse de rendement depuis l’indépendance, facilement explicable par le départ des techniciens européens et par le vieillissement du parc de tracteurs et de machines. Les systèmes de production n’en ont pas moins été préservés, et les domaines soigneusement entretenus ; aussi, sur cette base, la promotion de jeunes techniciens algériens et de nouveaux achats de machines devraient permettre le maintien d’une agriculture efficace. Les problèmes les plus délicats du secteur autogéré sont surtout d’ordre commercial et social. Cette agriculture, toujours tournée vers la vente (essentiellement vers la France pendant la période coloniale), doit continuer de vendre. Ainsi, le vignoble algérien, élément essentiel de l’édifice colonial, puis du secteur autogéré (50 p. 100 des exportations agricoles), doit-il trouver en France ou vers de nouveaux clients (U. R. S. S., Congo-Kinshasa) les débouchés dont il a besoin, faute de consommation intérieure (les musulmans ne buvant pas de vin). Ces débouchés se trouvent très difficilement (surtout les années de bonne récolte en France), et les stocks risquent sans cesse de s’accumuler. La production diminue. Par ailleurs, la commercialisation des agrumes et des primeurs ne se conçoit que par le canal de réseaux de commercialisation efficaces, depuis les lieux de production jusqu’aux marchés de consommation européens. Ces réseaux ont été désorganisés par le départ des commerçants de l’époque coloniale, ce qui rend les produits algériens moins compétitifs, alors que la concurrence internationale est impitoyable. Enfin, les fermes autogérées, en même temps qu’elles constituent une expérience sociale neuve et originale, n’apparaissent pas en accord parfait avec d’autres tendances de la société algérienne. N’est-ce pas une sorte de domaine privilégié à côté de la masse des fellahs traditionnels ? Cette expérience ne présente-telle pas aussi quelque contradiction avec la volonté centralisatrice de l’État, lequel joue un rôle croissant dans les exploitations par le biais de l’assistance technique et du crédit ?