Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Dieu (suite)

Le divin et les dieux en Grèce et dans le Proche-Orient

La théogonie d’Homère manifeste la tendance à rassembler la multiplicité des dieux autour d’un seul, le premier ou le plus grand d’entre eux ; l’Iliade place Okheanos à l’origine de tous les êtres. Mais Homère est le témoin d’un monde disparu et qui n’est plus. Hésiode, au contraire, prétend annoncer aux hommes de son temps la vérité sur les dieux ; il se dit revêtu de cette mission par une révélation reçue des Muses. Son postulat est d’abord réducteur — les dieux eux-mêmes ont été engendrés —, il élabore une généalogie des dieux. Mais il leur donne en même temps un sens éthique accru ; dans les Travaux et les jours, il cherche à expliquer le mal et la souffrance en même temps qu’il justifie le gouvernement des dieux. Hésiode a mis en relief l’autorité de Zeus et sa justice divine, et cette réflexion, qui inaugure une théologie, annonce la philosophie milésienne de la nature (caractérisée, chez Anaximandre, par l’émergence de l’apeiron, première formulation du divin). La doctrine d’un dieu unique se fait jour chez Xénophane de Colophon, tandis que celle de la divinité de l’âme, qui commence à fleurir dans l’orphisme (vie s. av. J.-C.), est présentée alors comme une interprétation des écrits d’Homère.

Une réflexion sur le divin fondée sur une saisie de l’être commence avec le poème de Parménide d’Élée : De la nature. Visant à une libération des forces obscures, elle engendrera, notamment au ve s., un rationalisme allant jusqu’à rechercher l’évacuation totale du divin dans l’homme. Mais, par ailleurs, l’irrationnel se maintiendra au cœur de la philosophie grecque. Ainsi Platon, après avoir souhaité dans la République ramener tout l’ordre de la vie à la souveraineté du philosophe, reviendra dans les Lois aux croyances traditionnelles, en les épurant et en dressant le catalogue des mythes les plus valables. Aristote fera appel à la physique pour reconnaître l’existence d’un premier moteur de l’univers, auquel est attaché le nom de Dieu. Ainsi, la démarche démythologisante des penseurs grecs fut dans l’ensemble religieuse et théiste. Les philosophes ont critiqué les mythes au nom de la raison, mais ils ont en même temps cherché comme clef de la « métaphysique » un premier principe, convaincus qu’ils étaient de la divine transcendance de ce principe. Leur démarche, fondée sur la nature et principalement cosmologique, fut une recherche de ce qui dépasse la nature et le cosmos.

Dans la période hellénistique, les religions du salut et les cultes à mystères prendront peu à peu le pas sur l’ancienne religion polythéiste. Ils ont introduit la préoccupation de l’au-delà, avec la croyance que les mystères pouvaient améliorer le sort des hommes en cette vie en les faisant participer à la condition des dieux. Le grand obstacle à l’idée de la survie fut pendant toute l’Antiquité grecque la croyance en la conception cyclique de l’univers. La doctrine du retour éternel, professée par Anaximandre et Empédocle, est à l’origine de cette Idée, et c’est ce qui a pendant longtemps empêché Platon de faire une place à l’au-delà dans sa philosophie. Il y parvint cependant, sous l’influence des mythes orphiques, et il en vint à renoncer à la théorie absolue du temps circulaire. L’existence d’une durée divine, transcendante, se fait jour dans la description de la Terre supérieure (Phédon, 110-111). Dès que la preuve de l’individualité de la conscience eut été établie, celle de l’immortalité de l’âme (non celle du corps) s’ensuivit. Une conception éthique de la divinité en naquit, en liaison avec les religions à mystères. Elle se retrouvera, aux iie-iiie s. apr. J.-C., dans le gnosticisme et dans les diverses religions de salut.

Si la Grèce a appréhendé finalement le divin à travers une éthique de la liberté humaine, l’Égypte l’a rencontré comme destin par la voie d’une entrée rituelle dans le monde ultérieur à travers la mort. Le polythéisme royal d’Assyrie et de Babylonie a suscité enfin la réaction du mazdéisme iranien, qui se présente comme une affirmation strictement monothéiste : l’Avesta affirme l’existence d’un Seigneur du ciel, détenteur de la vérité, juste, souverain et immortel, providence qui intervient dans le gouvernement du monde. C’est principalement entre ces trois mondes que se trace le sillon de la révélation judéo-chrétienne.


Le Dieu de la révélation judéo-chrétienne

L’histoire comparée des religions montre que la manifestation du Sinaï a inauguré un monothéisme d’un caractère unique, dont les religions païennes antérieures ne fournissent aucun équivalent, même lorsqu’elles parvinrent à l’idée d’un premier Être ou d’un Juge suprême unique, ou lorsqu’elles usèrent de mythes parfois très voisins de ceux que la tradition juive a pu, elle aussi, employer. Certains savants (Friedrich Delitzsch, Babel und Bibel, 1902), il est vrai, ont pu voir dans la loi et la civilisation hébraïques une copie tardive des lois et des coutumes assyro-babyloniennes ; d’autres ont pu rapprocher étroitement les prescriptions culturelles du livre de l’Exode de celles de l’Égypte à la même époque. On a établi des parallèles cananéens et philistins. Le monothéisme biblique ne s’oppose nullement à ces rapprochements ; il les appelle même plutôt, car la révélation monothéiste, dans sa singularité, ne s’oppose pas aux cultes avoisinants ni à quelque religion que ce soit. Elle se présente comme l’expression, dans une tradition particulière et à travers un peuple déterminé, de la religion universelle ou d’une révélation appelée à être connue de tous les peuples ; les autres religions se trouvent de ce fait rattachées à elle. Elle peut être ce cœur et ce centre de toutes les autres religions du fait qu’elle ne se présente précisément pas comme une religion, au sens où les cultes polythéistes le sont, ni comme une révélation particulière, mais comme la rencontre directe de Dieu et d’un peuple, inaugurant une histoire de Dieu avec les hommes.