Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

dictionnaire (suite)

 R.-L. Wagner, les Vocabulaires français (Didier, 1967-1970 ; 2 vol.). / G. Matoré, Histoire des dictionnaires français (Larousse, 1968). / B. Quémada, les Dictionnaires du français moderne, 1539-1863 ; étude sur leur histoire, leurs types et leurs méthodes (Didier, 1968). / A. Rey, la Lexicologie : lectures (Klincksieck, 1970). / J. Dubois et C. Dubois, Introduction à la lexicographie : le dictionnaire (Larousse, 1971). / J. Rey-Debove, Étude linguistique et sémantique des dictionnaires français contemporains (Mouton, 1971).

Diderot (Denis)

Écrivain et philosophe français (Langres 1713 - Paris 1784).


Le plaisir de lire Diderot n’est plus aujourd’hui passion honteuse, comme au temps de Balzac et de Baudelaire. Une fois délesté de maint interdit de l’idéologie et du goût, notre siècle accède de plain-pied à une œuvre des plus grandes et des plus modernes. C’est donc avec un esprit neuf qu’il faut en prendre l’exacte mesure, pour mériter notre plaisir.


L’écrivain

Le romancier Diderot n’est pas ignoré du plus large public. Grâce au cinéma, la Religieuse, Jacques le Fataliste sont de lecture aussi courante que Manon Lescaut et les Liaisons dangereuses, et touchent à vif notre sensibilité. La Religieuse peut être considérée « comme une sorte de répertoire des névroses sécrétées par le milieu morbide des cloîtres », et « l’on peut se demander si les romans de Diderot n’ont pas pour objet de nous présenter chacun une image de l’aliénation humaine », celle de « l’homme privé de sa liberté » (R. Mauzi). Dès ses débuts dans le genre, Diderot s’écarte donc du monde d’ombres qu’était le roman traditionnel, il fait vivre des corps, parler des tempéraments, s’épaissir des ambiances humaines. Il leur imprime un mouvement que retrouvera Stendhal, dénonce des aliénations qu’orchestrera Balzac : microcosmes sociaux, dominés par des héros d’une exemplarité morale, paradoxale par sa nouveauté. Dans les Deux Amis de Bourbonne, Félix et Olivier, « au sein même de la société dont ils font partie, représentent la volonté délibérée de ruiner cette société, et assument toutes les valeurs morales qu’elle sert en principe et ruine dans les faits » (J. Proust). Image inverse et concordante, l’original cynique du Neveu de Rameau assume le monde de l’intérêt, de l’or, pour signaler d’avance l’hypocrisie de l’utopisme humaniste. Cette façon de tourner le dos à la « psychologie classique » (dont la vulgarisation s’éternise encore) a fait parler de réalisme, mais c’est celui de l’éphémère et de la métamorphose. Jacques le « fataliste », à la recherche de son passé, y découvre moins le déterminisme que le caprice permanent et malicieux du destin, assurance contre le banal et le monotone, source d’une sagesse des impondérables, d’une morale de l’inconséquence. Le discours romanesque est réduit à néant, et sont justifiés d’avance Joyce, Faulkner et leurs héritiers.

Au regard du roman, le théâtre est désuet. Peu importe à nos contemporains que Diderot ait causé la disparition de la tragédie classique, qu’il ait substitué à l’analyse des passions un pathétique d’essence sociale, au discours littéraire le langage direct. Son influence marqua l’Europe, mais ses œuvres ne se jouèrent que quatre-vingts ans (le Fils naturel et surtout le Père de famille), et le drame bourgeois est mort de ses mensonges et nouveaux artifices. Il reste cependant de Diderot, avec Est-il bon, est-il méchant ?, un essai de rupture plus profonde avec les conventions, et les prémices excitantes, sinon jouables, d’un pirandellisme.

Les Salons ont ébloui Goethe, inspiré directement Baudelaire, créé un genre littéraire, à vrai dire périmé. Diderot n’eut guère de chefs-d’œuvre à se mettre sous la plume, mais il était obligé de décrire les œuvres pour des lecteurs lointains : il lui fallut créer le langage « pittoresque », effort gigantesque, bénéfique pour son art d’écrivain, mais dont on ne lui tient plus gré. On oublie qu’il a pourfendu l’académisme et l’art galant, découvert la ligne et la couleur. Habitué au maniement des principes abstraits, il se référa d’abord à la nature et à la sensibilité (Premier Salon, 1759), mais il rompit vite avec Greuze pour trouver chez Chardin une expérience authentique. Il insista dès lors sur la nécessité de la technique, sur l’importance du tempérament, qui exclut de l’art la copie (« votre soleil, qui n’est pas celui de la nature »), sur la valeur singulière de la « méditation » pour l’essor de l’imagination créatrice (Salon de 1767, Pensées détachées sur la peinture). Peu importent finalement les incertitudes de son goût, puisqu’il a énoncé à lui seul et d’un seul coup bien des problèmes de l’artiste moderne, et nous a laissé des remarques d’ensemble sur les arts par lesquelles encore il est proche de nous.

Cette « esthétique sans paradoxe » (Yvon Belaval) est en effet celle du praticien et du connaisseur, non le culte du dilettantisme ou de la spontanéité. Sa règle : l’imitation du vrai d’après les maîtres, doit être interprétée. Exercice de l’imagination, l’imitation ne répète pas la nature, elle procure un plaisir réfléchi. Le peintre et aussi le comédien travaillent la tête froide. Ils s’y exercent en s’aidant de grands exemples, et en acquièrent l’instinct. Celui-ci détermine un modèle idéal — moyenne statistique qui est la nature (plutôt que ses modifications) —, étalon de référence accepté par convention comme beau naturel. Cependant, l’imagination ne peut imiter qu’à partir de l’observé, de l’apparence, sous menace d’académisme. L’aspiration au modèle idéal suppose la fidélité aux spécifications caractéristiques, aux déformations physiologiques, au conditionnement social et idéologique. À la limite, le beau du modèle idéal est l’originalité singulière du modèle observé, sa recherche conjugue l’effort vers un réalisme typologique avec la dénonciation des anomalies (le Neveu de Rameau).