Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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développement économique (suite)

La détresse de l’agriculture apparaît encore plus significative de la paupérisation du tiers monde que le phénomène urbain. Les situations varient autant que les pays concernés, et, pour chacun, la question agraire comporte des aspects multiples, découlant de la variété elle-même des systèmes d’appropriation ou de contrôle des moyens de production que constituent la terre, les hommes, les animaux, les techniques, l’argent.

Dans toute l’Amérique latine, la juxtaposition des latifundia aux microfundia contribue à la dépossession des paysans pauvres. Ceux-ci se voient condamnés soit au chômage, soit à un métayage où ils sont sous-employés.

En Afrique noire, où la terre est transmise la plupart du temps selon les normes coutumières, les problèmes aigus dérivent surtout de la persistance des systèmes traditionnels d’exploitation sur des sols érodés et de l’interférence des cultures d’exportation avec les cultures vivrières. Sans capitaux, ni attelage, le paysan du Fouta-Djalon n’exploite guère plus d’un hectare. Malgré l’espoir de modernisation né de l’indépendance, le statut social du rural s’est peu modifié. Une désaffection générale à l’égard des plans de développement agricole peut résulter du maintien d’une économie de traite qui pèse lourdement sur les paysans et qui, en l’absence de stimulants économiques tangibles, fait apparaître leur niveau de vie comme en régression par rapport à celui des privilégiés de la ville. Seul un groupe assez minime a pu acquérir, aux dépens d’autrui parfois, des moyens de production, en usant d’un statut prestigieux traditionnel ou en acquérant des positions clés dans le secteur moderne de l’économie agraire (plantations, coopératives).

Mais ni la réforme agraire, comme le montrent les cas du Mexique, de l’Égypte ou de Cuba, ni l’animation rurale, entreprise au Sénégal par exemple, ni les coopératives de production et de commercialisation ne parviennent, en supposant qu’elles n’échouent pas totalement, à modifier en ses fondements une situation qui dépend d’un trop grand nombre de variables. À la différence du secteur industriel, beaucoup d’obstacles économiques au développement agricole ne sauraient être levés par des interventions au niveau de l’État ; les obstacles humains ne se laissent vaincre que par un labeur patient et prolongé, sur plusieurs générations, d’information et de formation des masses paysannes. Diagnostic des états auxquels il faut remédier, propositions de moyens à utiliser, éventuellement intervention directe auprès des masses rurales, telles sont les tâches énormes d’un sociologue du développement rural.


Les réformes socio-culturelles

Les transformations techniques et économiques souhaitables exigent en complément une contestation et une recréation de la culture, c’est-à-dire du système de relation de l’homme à la nature et du système de valeurs. Une sociologie du développement qui se veut opératoire s’applique donc aussi à mieux adapter mentalement les hommes aux buts que poursuit la société. À cet effet, tout en percevant certaines causes d’acculturation culturelle, elle s’emploie à effectuer l’intégration par des moyens tels que le remplacement des langues locales par une langue commune, l’alphabétisation, l’instruction, les communications de masse, les déplacements et voyages, la diffusion des objets techniques, les idéologies dominantes.


La construction nationale dans les nouveaux États

L’inventaire de quelques champs de recherche ouverts dans la dernière décennie suffira à révéler la richesse de ce secteur de la sociologie du développement : l’histoire politique nous renseigne particulièrement sur le phénomène nationaliste, sur le processus de décolonisation et sur la réduction des particularismes sociaux, tandis que le sociologue de l’économie éclaire le rôle de l’État comme promoteur de progrès et que le spécialiste de sociologie politique réfléchit de préférence sur les types d’état de développement (système de mobilisation, démocratie tutélaire, autocratie modernisante), sur l’exercice du pouvoir, sur la structure et l’action des partis politiques ; complots et coups d’État soulèvent le problème de la dynamique des conflits majeurs de pénurie, de valeurs et d’institutions ; enfin, la naissance d’une classe de gestionnaires de l’État invite à examiner le rôle des élites dans la construction nationale de même que les éléments accélérateurs et décélérateurs de la formation des classes sociales.


Vers une stratégie du développement

Pour qu’une croissance rapide et équilibrée se réalise, cinq conditions préalables paraissent essentielles à Chester Bowles (né en 1901). La première est d’ordre matériel, tandis que les quatre autres dépendent de l’attitude des populations et des capacités humaines. Ces cinq conditions sont : 1o des capitaux de source locale et de source étrangère ; 2o des biens et des services en quantité suffisante pour persuader la population de déployer l’intense effort qu’exige le développement ; 3o des connaissances techniques modernes et des cadres qualifiés pour la direction des entreprises et l’administration ; 4o la volonté et la possibilité, dans les pays surpeuplés, de freiner l’augmentation trop rapide de la population ; 5o une volonté d’unité nationale liant, dans une même conception du but à atteindre, le peuple et ses dirigeants.

En essayant de réunir ces conditions, la plupart des pays sous-développés apportent à leur développement des solutions partielles : éducation et mutation des mentalités, réforme agraire, animation et coopération rurales, financement de l’industrialisation. Un développement authentique et total demande que, orientés vers le mieux-être humain de toutes les couches de la population, tous ses aspects soient perçus et promus ensemble, dans leur interdépendance. Un développement incohérent ou par saccades dérouterait la population et serait onéreux. L’homogénéité du développement autant que son aspect communautaire constituent d’ailleurs des facteurs importants de son autopropulsivité. La révolution technico-économique dans ses éléments essentiels (innovation, productivité, investissements, planification) implique une transformation politique. Par un mouvement dialectique de la conscience politique nationale nouvelle surgit le besoin d’une économie puissante et indépendante. Dans ce cadre se manifestent des conflits d’intérêts engendrés par le changement. Ces conflits ne peuvent être arbitrés que par un pouvoir fort. Pour que les poussées politiques acquièrent une réelle efficacité, le peuple doit avoir le sentiment d’édifier un avenir nouveau, et c’est ainsi qu’apparaît la fonction de la révolution culturelle, véritable réorganisation des sensibilités, modèle dynamisant significatif pour les consciences et efficace pour créer une nouvelle relation à la nature. Selon l’expression de P. Borel, les trois révolutions économique, politique et culturelle du développement sont solidaires.

C. R.

➙ Afrique / Amérique latine / Assistance technique / Croissance économique / Coopération / Innovation.