Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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développement économique (suite)

Myint n’est pas le seul à insister sur la dimension historique du problème. Les pays sous-développés sont-ils simplement des pays en retard sur l’Occident de cent ou de deux cents ans ? Oui, apparemment, lorsqu’on se contente de regarder la structure de la population active : dans l’un et l’autre des cas, on note la prépondérance écrasante des activités primaires, la médiocrité des activités industrielles ou artisanales et le poids relativement important du tertiaire. Mais l’analogie n’est pas totale, comme en témoignent les indices démographiques. Le tiers monde connaît une explosion démographique qui donne une dimension toute nouvelle à un problème ancien. De la même manière, beaucoup insistent sur des critères politiques. Le monde sous-développé n’est plus hors de l’histoire. Il est parcouru de mouvements révolutionnaires, caractérisé par des luttes politiques et sociales qui ne sont plus liées à une décolonisation à peu près achevée. Les sociétés sous-développées ne supportent plus leur stagnation ; c’est un élément nouveau qui manquait sans doute complètement lorsque la révolution industrielle a débuté, sauf peut-être dans les pays qui allaient justement la réussir les premiers et qui étaient parcourus par des idéologies progressistes.

L’ouvrage qu’Yves Lacoste a consacré à la géographie du sous-développement est très caractéristique de toute l’évolution de la pensée en ce domaine : il est consacré, pour plus de moitié, à l’analyse des critères du sous-développement. Quatorze sont passés en revue. L’ordre dans lequel ils sont présentés est apparemment arbitraire, comme si l’auteur voulait ainsi donner au lecteur l’impression de fouillis dans lequel se débat celui qui cherche vraiment à définir de manière précise le retard et à le mesurer.

Un certain nombre de caractères retenus sont purement économiques et permettent de caractériser le pays à la fois dans sa structure (part des secteurs primaire, secondaire et tertiaire), dans ses déséquilibres actuels (insuffisance de la production alimentaire, cependant que des ressources sont curieusement ignorées ou gaspillées) et dans son aspect dynamique (écart des rythmes d’évolution démographique et économique). Les indicateurs sociaux servent à démontrer l’importance des tensions dans ce secteur. L’accent est mis sur les éléments qui traduisent un déséquilibre. Lacoste parle des violentes inégalités sociales, de la dislocation des structures traditionnelles, de la faiblesse de l’intégration nationale, ce qui se traduit au plan économique par des anomalies (sous-emploi conjugué avec le travail des jeunes enfants par exemple).

Le sous-développement ne peut se définir sans référence à un cadre international : il suppose presque toujours dépendance et domination. Il se traduit au niveau individuel par toute une série de perturbations. À l’heure actuelle, la situation tend à devenir explosive, par suite de la prise de conscience nouvelle pour les intéressés et de la volonté que ceux-ci manifestent de porter remède aux injustices dont ils souffrent.

On voit ainsi comment le choix des critères et leur articulation s’éclairent en bonne part par la conception que l’on a du sous-développement : il y a dialogue incessant entre l’exploration empirique et l’interprétation théorique. La première signale des corrélations inattendues ou singulières. La seconde propose des interprétations, qui guident désormais le choix des indicateurs, leur élargissement. En une dizaine d’années, on assiste ainsi au passage d’une analyse purement économique du sous-développement à une approche pluridisciplinaire, où les causes profondes sont conçues comme dépendant à la fois de faits sociaux et de relations économiques. En même temps, les analogies du tiers monde actuel et des sociétés préindustrielles sont mieux précisées : la structure fondamentale de l’économie est assez semblable, mais l’ambiance générale est toute différente, par suite des effets de démonstration qui ont provoqué des évolutions inégalement rapides selon les secteurs, qui ont créé une aspiration nouvelle au progrès et qui ont rendu celui-ci presque impossible en raison de l’explosion démographique.

On a plus conscience qu’il y a quelques années des rapports entre la description du sous-développement et l’interprétation générale qu’on en donne. Cela se traduit par un souci nouveau de rigueur dans le raisonnement, par la volonté d’utiliser des méthodes plus systématiques.


L’interdépendance des critères

Il fut un temps où les divers critères du sous-développement étaient juxtaposés et mis sur le même plan. On s’est vite rendu compte de leurs relations multiples. Lorsqu’on cherche à mesurer la transparence économique d’un milieu ou la résistance qu’il offre à l’échange économique, il est impossible de trouver une grandeur qui permette à elle seule de définir ces concepts. La transparence économique sera mesurée, comme le fait Brian Berry, en calculant le nombre d’abonnés au téléphone, la diffusion des journaux et l’activité des postes. L’ouverture aux échanges s’évaluera aux équipements routiers, ferroviaires et portuaires ainsi qu’à l’importance de certains trafics. Certains caractères sont ambigus : la circulation des voitures particulières renseigne à la fois sur les possibilités de l’échange économique et sur la transparence du milieu, qu’elle contribue à améliorer. On reviendra plus loin sur ce genre de difficultés, car elles sont plus fréquentes qu’on ne le dit généralement.

Les critères permettent donc de définir un certain nombre de variables dont la mesure n’est pas possible directement. Ces variables sont-elles sur le même plan ? Quels rapports nourrissent-elles ? La question est difficile : les économistes ne savent pas toujours dire ce qui, dans leur système, est variable dépendante et ce qui est indépendant.

À leur avis, pourtant, ce qui permet le mieux de caractériser les situations de sous-développement, ce sont des indices qui, par leur nature complexe, permettent de saisir, avec une certaine pondération, le jeu de toute une série de facteurs. Cela explique qu’ils continuent à donner à la mesure du produit national brut, du produit national par tête et du niveau de consommation par tête une place fondamentale.