Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Descartes (René) (suite)

Cependant, lassé de l’inaction militaire des Hollandais, Descartes gagne le Danemark, puis l’Allemagne, déchirée par le début de la guerre de Trente Ans, où il s’engage dans les troupes du duc Maximilien Ier de Bavière. Au cours de l’hiver 1619, il fait un bref séjour à Ulm, où il connaît le mathématicien Jean Faulhaber (1580-1635). Le 10 novembre, parmi les divertissements de militaires désœuvrés, Descartes découvre dans un « poêle » (pièce chauffée par un poêle situé en son centre) les « fondements d’une science admirable » au cours de rêves exaltants qui lui indiquent la mission dont le ciel l’a chargé.

Après cette fameuse nuit, il visite encore le monde en allant de Souabe en Autriche, en Bohême, en Hongrie, en Poméranie. En remontant l’Elbe, il oblige, par sa grande résolution et sa promptitude à tirer l’épée, des mariniers qui voulaient l’assassiner à le conduire à bon port.

Ayant renoncé au métier des armes, Descartes passe l’hiver de 1621 en Hollande, puis revient en France en 1622 pour prendre possession des terres poitevines, héritage de sa mère. Il fait en 1623 un voyage de plusieurs mois en Italie, pour revenir en France et demeurer à Paris jusqu’en 1629. En 1628, il est au siège de La Rochelle dans les troupes du Cardinal.

De son séjour parisien datent les Règles pour la direction de l’esprit, traité inachevé qui ne sera publié qu’en 1701. (Retrouvé à la mort de Descartes, dans les papiers de Stockholm, il est bientôt connu de Leibniz, de Nicole, d’Arnauld et utilisé dans la 2e édition de la Logique de Port-Royal.)

En mars 1629, Descartes décide « de se retirer pour toujours du lieu de ses habitudes et de se procurer une solitude parfaite dans un pays médiocrement froid où il ne serait pas connu », afin de se consacrer à la recherche de la vérité. Il prend donc la route de Hollande, où il demeurera plus de vingt ans, préservant jalousement sa solitude, changeant souvent de résidence et menant le train d’un gentilhomme.

Il s’occupe, d’abord, beaucoup de physique et travaille à composer ses Méditations métaphysiques. En 1631, il fait « une promenade » en Angleterre. En 1633, Reneri, le premier professeur de philosophie cartésienne, obtient une chaire à Deventer. Descartes vient habiter près de lui et compose le Monde ou le Traité de la lumière. Tout est achevé l’été 1633, lorsque, au moment de l’impression, Descartes apprend la condamnation de Galilée par les inquisiteurs du Saint-Office pour avoir soutenu le mouvement de la Terre. Ayant introduit cette thèse dans sa physique, il renonce à sa publication.

En 1634, Descartes habite Amsterdam, qu’il quitte pour Leeuwarden en 1635 ; il y revient en 1636. À la suite de la nomination de Reneri, l’université d’Utrecht devient un foyer de la pensée cartésienne.

Afin de donner un échantillon de sa doctrine, de connaître les réactions des autorités, Descartes publie en 1637 trois petits traités, la Dioptrique, les Météores et la Géométrie, précédés du Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité à travers les sciences.

En mars 1639, Reneri meurt prématurément, et son successeur, Henricus Regius (1598-1679), va, par son zèle maladroit, créer à Descartes de grandes difficultés avec les docteurs d’Utrecht et surtout avec le pasteur Gisbertus Voetius (1589-1676), recteur de l’université, qui l’accusera en 1642 d’athéisme devant les magistrats. En septembre 1640, Descartes perd sa fille Francine, qu’il a eue d’une femme nommée Hélène, une servante probablement. La mort de cette enfant de cinq ans lui cause une profonde douleur.

Fuyant Amersfoort, évitant Utrecht, il reprend sa demeure de Leyde. C’est en 1641 qu’il publie les Méditations sur la philosophie première, en projet depuis dix ans, qui exposent le système complet de la métaphysique cartésienne. En 1641 et en 1642, Voetius triomphe. L’intervention du prince d’Orange, de l’ambassadeur de France et de son ami Constantijn Huygens (1596-1687) arrête la procédure des tribunaux d’Utrecht. Descartes ressent vivement les attaques du P. Pierre Bourdin (1595-1653), jésuite influent en France, car il y reconnaît une opposition irréductible de l’Église. Son projet de rallier autour de sa doctrine tout le monde savant et d’imposer sa physique comme matière universelle d’enseignement des écoles s’en trouve contrarié.

En 1644, Descartes publie les Principes de la philosophie, dédiés à la princesse Elisabeth de Bohême, fille de l’Electeur palatin Frédéric V. De ses relations avec elle, il est resté une correspondance essentielle pour la compréhension de la morale cartésienne. Les observations d’Elisabeth sur le problème de l’union de l’âme et du corps décideront finalement Descartes à écrire son Traité des passions de l’âme (1649).

La reine Christine de Suède invite Descartes à lui présenter des remarques sur le souverain bien. Après beaucoup d’hésitations, Descartes se décide à suivre l’amiral envoyé par la reine et arrive à Stockholm au début d’octobre 1649. Prosélyte impatiente, la reine impose à Descartes un emploi du temps qui dérange ses habitudes. Obligé de se rendre tous les matins à cinq heures à la cour, Descartes prend froid. Une pneumonie se déclare et, après une maladie de neuf jours, refusant les soins des médecins suédois, il meurt le 11 février 1650.


Descartes ou l’humanisme militant

Lorsque Descartes fait allusion aux philosophes, c’est toujours d’une manière péjorative d’où l’ironie n’est pas absente. Au contraire, c’est toujours avec un profond respect qu’il s’adresse aux autorités ecclésiastiques et aux théologiens.

Suffit-il de rappeler combien Descartes était soucieux de sa tranquillité pour expliquer cette double attitude ? Alors que les philosophes sont largement inoffensifs, les théologiens représentent dans une large mesure l’autorité. Explication bien anodine et marquée des insuffisances du psychologisme pour qui veut rendre compte du projet de l’homme René Descartes. Il convient de recourir à cette double attitude pour mettre en évidence la conception cartésienne de la philosophie, mieux encore, de la mission de philosophe.

L’un des espoirs de Descartes est d’imposer la science et la philosophie cartésiennes et de les enseigner. Ce n’est pas là le rêve d’un ambitieux : parce que la philosophie cartésienne est vraie, elle doit naturellement devenir la base de l’enseignement.