Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

démocratie chrétienne (suite)

Le Sillon

Ce mouvement social d’inspiration chrétienne a son origine dans les conférences organisées par Marc Sangnier, dans la crypte du collège Stanislas, à Paris, en 1894, à l’intention de ses condisciples préparant le concours d’entrée à l’École polytechnique. En 1899, le Bulletin de la crypte se fond avec le Sillon, petite revue littéraire fondée en 1894 par Paul Renaudin. Marc Sangnier forme alors, sous le nom de « Sillon », un comité qui définit son moyen d’éducation : le cercle d’études dans le patronage catholique.

La doctrine du Sillon est essentiellement personnaliste. Mettre en valeur la personne humaine pour la vouer au service de la cité, tel est son objectif, qui sera atteint par l’éducation des milieux populaires et s’élargira par la démocratisation de l’ordre social, la démocratie étant « la forme sociale et de gouvernement qui tend au maximum la conscience et la responsabilité de chacun ».

À la fin de 1900, on compte 21 cercles à Paris. Sangnier, devant ce succès, songe à reprendre à son compte la formule des universités populaires : en janvier 1901, il crée les Instituts populaires, où enseignent les représentants de l’élite catholique, d’E. Branly à P. Thureau-Dangin, d’E. Faguet à G. Goyau, et où la libre discussion s’instaure. Entre-temps, le Sillon s’est répandu en province.

À partir de 1905, le mouvement sort du cadre social pour s’engager dans la politique. Il y prend une position ambiguë. Républicain et catholique, le Sillon s’attire à la fois la haine des royalistes catholiques et celle des républicains anticléricaux. Le ralliement des démocrates-chrétiens se révèle difficile à une époque où l’Église de France est officiellement persécutée. Mais c’est évidemment à droite, dans l’Action française, que Sangnier compte ses ennemis les plus acharnés, Maurras en tête.

Cela n’empêche pas le chef du Sillon de fonder l’hebdomadaire l’Éveil démocratique (50 000 exemplaires) et de lancer en 1907 « le Plus Grand Sillon », mouvement laïque « qui se propose de travailler à réaliser la république démocratique ».

Une partie de l’épiscopat français s’inquiète. Dès 1906, l’évêque de Quimper interdit à ses prêtres d’assister à une réunion contradictoire animée par Sangnier ; en 1908, dix archevêques et vingt évêques interdisent à leur clergé de faire partie du Sillon.

Le 25 août 1910, Pie X adresse à l’épiscopat français une lettre où, après avoir loué les « beaux temps » du Sillon, il constate que ses membres ne sont pas suffisamment armés de sciences historiques, de saine philosophie et de forte théologie. Il leur reproche leur indépendance à l’égard de la hiérarchie, leur idéal de nivellement des classes, leur « démocratisme » mal élaboré. Le Sillon, selon Pie X, a pratiqué, jusqu’à l’erreur, le souci de partager les aspirations du siècle, la pratique de la charité aux dépens de la vérité chrétienne.

Ainsi désavoué, le Sillon disparaît. Sangnier se soumet. Beaucoup de ses disciples tomberont sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale ; mais les survivants seront au premier rang du catholicisme militant au lendemain de la victoire (1919). De ce point de vue, l’influence du Sillon a été très importante.

P. P.

M. V.


Quelques représentants de la démocratie chrétienne


Konrad Adenauer,

v. l’article.


Rafael Caldera (San Felipe, Yaracuy, 1916),

fondateur au Venezuela de la démocratie chrétienne (COPEI), président du Venezuela de 1969 à 1974.

Étudiant en droit de l’université de Caracas, où il fonde une Union nationale des étudiants d’inspiration catholique, il consacre son attention aux problèmes du travail, comme en témoigne le sujet de sa thèse de doctorat (El derecho del trabajo, 1939). Après avoir été membre correspondant du B. I. T. à Caracas, il entre en 1941 à la Chambre des députés. En même temps, il enseigne la sociologie et la législation du travail à l’université de Caracas.

En 1946, il fonde un mouvement social-chrétien destiné à orienter définitivement le Venezuela dans les voies de la démocratie, après une longue période de dictatures successives : le COPEI (Comité de organización política electoral independiente). Président de la Chambre des députés de 1959 à 1961, il est plusieurs fois candidat à la présidence de la République (1947, 1958, 1963). Finalement élu en décembre 1968, il assume le pouvoir le 11 mars 1969.

Caldera est l’auteur de nombreux volumes, parmi lesquels : une biographie de Andrés Bello, dont il a fait paraître les œuvres complètes ; Moldes para la fragua, portraits de personnalités éminentes en divers domaines de la politique et de la culture ; Democracia cristiana y desarrollo.


Alcide De Gasperi,

v. l’article.


Eduardo Frei,

v. Chili.


Jules Lemire

(Vieux-Berquin, Nord, 1853 - Hazebrouck 1928). L’abbé Lemire est sans doute le prêtre qui incarna en France le plus fidèlement l’esprit des directions données par Léon XIII aux catholiques dans l’encyclique Rerum novarum et à ceux de France en particulier dans celle du 16 février 1892, Au milieu des sollicitudes, qui leur conseillait le ralliement au régime républicain sans pour autant adhérer aux principes philosophiques de ses initiateurs.

Fils de la Flandre rurale, prêtre en 1878, il adhère d’abord au « légitimisme social », lié chez René La Tour du Pin et son école aux espoirs d’une restauration monarchique. Mais ses lectures, ses contacts avec l’étranger et la droiture de son esprit, éveillé à toutes les expériences prometteuses d’un sort moins rude pour les classes défavorisées de la société, le rendent bientôt attentif aux conseils partis de Rome. Parallèlement, il prône les réformes chères aux milieux populaires, qui présupposent l’absence d’opposition systématique au programme des partis de gouvernement. En 1893, avec la neutralité bienveillante de l’évêché et le soutien actif de nombreux prêtres au contact eux-mêmes du peuple, il décide de briguer un siège au Parlement dans l’arrondissement d’Hazebrouck contre un candidat radical et un catholique conservateur. Il est élu : il représentera constamment Hazebrouck (dont il sera maire en 1914) jusqu’à sa mort. L’abbé Lemire, homme politique, se voudra toujours réalisateur d’objectifs concrets plutôt que théoricien. En 1897, il fonde la Ligue du coin de terre et du foyer, destinée à asseoir la vie familiale ouvrière et paysanne sur la possession de la terre (terrianisme). En 1903, il crée le Congrès des jardins ouvriers. Ses campagnes aboutissent au vote de la loi Ribot (1908) sur le bien de famille insaisissable.