Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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démocratie chrétienne (suite)

Après l’expérience de cabinets tripartites — favorisés par le roi Albert* Ier —, puis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec la création d’une Union démocratique belge franchement axée à gauche, mais qui subit un échec total aux élections de février 1946, les démocrates-chrétiens tendent à se différencier, dans leur presse, leurs associations et leurs méthodes d’action, de la masse de l’ancien parti catholique, bien que celui-ci cherche à se rajeunir sous le nom de parti social-chrétien (P. S. C.) et montre pour la promotion sociale de la classe ouvrière un intérêt beaucoup plus constant que les représentants des mêmes principes de gouvernement et des mêmes convictions religieuses au siècle précédent.

Le P. S. C. ne joue pas malgré tout en Belgique un rôle aussi important que la Christlich-Demokratische Union (CDU) en Allemagne fédérale et surtout que le Partito della Democrazia cristiana (PDC) en Italie, car l’un et l’autre seront toujours largement majoritaires soit au Bundestag, soit au Parlement italien et dès lors réaliseront, tout au moins dans les structures, le type d’un gouvernement chrétien sincèrement démocratique et indépendant, en principe, de la hiérarchie ecclésiastique.


Les expériences contemporaines

Moins encore que le parti social-chrétien belge, le Mouvement républicain populaire (M. R. P.) français n’a pu pousser à son terme une expérience de régime démocrate-chrétien. Il en fut empêché d’abord par l’importance moindre, en valeur relative, de son effectif parlementaire, mais surtout par le fait que, dès le retrait en 1946 du général de Gaulle de la présidence du gouvernement, le chef de la France libre demeura de loin, jusqu’à son retour au pouvoir en 1958, le conseiller du groupement qui, sous des noms divers, s’était constitué dans le pays et à la Chambre pour représenter ses idées, quitte à y pratiquer la conjonction dans les votes avec le parti communiste en vue de faire échouer tout projet qui n’aurait pas l’approbation du général.

La meilleure illustration de cette tactique est offerte par l’échec de la Communauté européenne de défense (C. E. D.) élaborée en 1952 par Robert Schuman* pour associer aux forces militaires françaises et à celles des Alliés les contingents allemands autorisés par le traité de paix, afin de les encadrer immédiatement dans un plan de collaboration internationale positive. Pareille conception heurtait de front celle du général de Gaulle, qui rêvait pour la France, malgré sa défaite de 1940, d’une hégémonie morale en Europe opposée à celle, inavouée, des États-Unis et, en tout cas, d’une libre disposition de ses forces armées. Les objections mises par le général, dès son retour au pouvoir, à un rapide développement de l’idée « européenne » lui aliénèrent plusieurs dirigeants du M. R. P. ; sa politique algérienne en éloigna d’autres, et, finalement, la situation dans le pays du Mouvement, déchiré entre des tendances contraires, ramena celui-ci à un niveau à peine plus élevé que le modeste Parti démocrate populaire (P. D. P.) entre les deux guerres mondiales.

Tout autre fut le succès de la démocratie chrétienne d’Italie sous le nom de parti populaire, parce qu’elle avait, en la personne de don Luigi Sturzo, trouvé dès l’origine un promoteur aussi hardi et clairvoyant que désintéressé, qui, dans le silence, en avait longuement pesé les chances de succès adaptées à son pays et à son temps. Succès obtenu d’emblée en 1919 grâce à la compréhension des circonstances par le pape Benoît XV, avec l’élection de cent députés « populaires » dans un Parlement qui n’en comptait pas un seul auparavant.

Don Sturzo, secrétaire général du nouveau parti, en a écarté jusqu’à l’appellation « chrétienne » pour souligner cette autonomie à l’égard de l’autorité religieuse (à la vérité plus apparente que réelle dans le milieu rural) que le Vatican avait refusée en 1903 à son ami Murri. Mais il aura le temps, durant le peu d’années qui séparent la fixation programmatique du parti populaire italien en 1919 de sa dislocation sous les coups du fascisme vainqueur en 1926, d’imposer une discipline telle à ses jeunes ou moins jeunes militants que l’un de ses meilleurs lieutenants, Alcide De Gasperi*, quand l’Italie renaît en 1945 à la liberté, conduira le parti démocrate-chrétien, dès les premières élections de l’après-guerre, à la parité avec les deux partis de gauche (l’ancien parti libéral s’étant effondré en même temps que la monarchie) et, le 18 avril 1948, à la majorité absolue au Parlement, où entreront quelque 300 élus d’appartenance démochrétienne.

Grâce à ce triomphe, qu’il ne voudra pas pour ses seuls affiliés, mais qu’il tiendra à étendre à d’autres partis d’ordre et de progrès sincèrement républicains et simplement respectueux de la foi religieuse, De Gasperi et, après lui, ses continuateurs assureront à l’Italie un relèvement économique rapide. Mais, avec le temps, la vie politique italienne se sclérose. Les crises sociales, sans cesse aggravées, l’ordre public, de plus en plus mis en cause par des groupuscules, enfin l’évolution de la société italienne dans ses profondeurs conduisent à un déclin très sensible de la démocratie chrétienne : aux élections régionales de juin 1975, cette dernière est talonnée par le parti communiste.

L’Allemagne fédérale, sous l’appellation « démochrétienne », a connu un destin analogue, après avoir admis dans la CDU les protestants et donné une couleur « chrétienne » à des organisations syndicales ou politiques qui s’étaient maintenues longtemps exclusivement « catholiques ».

Aux Pays-Bas également, protestants et catholiques d’esprit démocratique avaient commencé à collaborer sur le plan parlementaire dès avant la Seconde Guerre mondiale, tandis qu’en Autriche, où, au xixe s., le catholicisme social avait connu une efflorescence plus constructive que dans le monde latin, s’établissait après la Seconde Guerre mondiale, sous l’égide de Mgr Ignaz Seipel (1876-1932) et malgré la longue rancœur des milieux socialistes contre les violences dont ils avaient été victimes sous le chancelier Dollfuss, une collaboration loyale entre des partis également démantelés par le Reich hitlérien.

En Amérique latine, le professeur Alceu Amoroso Lima et don Hélder Câmara au Brésil, Eduardo Frei au Chili, Rafael Caldera au Venezuela incarnent ou incarnèrent la politique et l’idéal démocrates-chrétiens.