Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Delphes (suite)

Quand les signes se montraient favorables, on introduisait dans l’antre du dieu (l’adyton, où se trouvait l’omphalos, symbole du serpent défunt et centre — nombril — du monde) la Pythie, femme choisie parmi les jeunes filles les plus ignares de la région. Après s’être purifiée dans l’eau de la fontaine Kastalia et dans les fumées d’un feu de laurier et de farine d’orge, après avoir mis dans sa bouche une feuille de laurier, elle venait s’asseoir sur le trépied sacré. Les consultants, à tour de rôle conduits auprès d’elle, posaient leurs questions : enivrée par les vapeurs qui, échappées du sol, emplissaient son séjour, en transes, elle vaticinait en un langage inaccessible au commun des mortels. Il fallait que les prophètes remettent à chaque interrogateur la transcription officielle, toujours fort obscure (des exégètes, spécialistes indépendants du clergé, pouvaient, moyennant finances, en donner une interprétation) de la réponse du dieu. Beaucoup d’entre elles nous sont connues, car les archives des États conservaient le texte des réponses aux consultations qu’ils avaient ordonnées, tandis que les prêtres (par prudence sans doute, et pour ne pas se contredire) ne négligeaient pas de garder eux-mêmes copie des oracles qu’ils avaient pu rendre.


Le sanctuaire

Déjà grande au viie s. av. J.-C., la prospérité du sanctuaire s’affirma vraiment lors de la première guerre sacrée (590-589 av. J.-C.), quand les Thessaliens se dressèrent contre les gens de Krissa (auj. Khrissón), qui, jusqu’alors, exploitaient les pèlerins et grugeaient le clergé d’Apollon. Il se réunit désormais chaque année à Delphes une assemblée internationale, amphictyonie pyléo-delphique, qui protégea son sanctuaire et en augmenta l’influence dans l’ensemble du monde antique. Le Barbare Crésus, roi de Lydie (v. 560-v. 546), vint, par exemple, par des cadeaux magnifiques aux dieux, s’y faire décerner un brevet de philhellénisme. Crésus encore, plus tard, avec le roi d’Égypte, contribuera, aux côtés des Grecs, aux frais énormes entraînés par la reconstruction du temple, détruit par un incendie, travaux auxquels présidèrent les Alcméonides.

Les chefs des expéditions coloniales venaient y chercher, avant leur départ, les dernières informations sur le pays où ils allaient aborder, les États s’y informaient sur la conduite à tenir. Pourtant, le sanctuaire ne réussit pas à exercer son autorité sur le monde grec, que continuaient de ravager les guerres, auxquelles il ne pouvait apporter aucun adoucissement.

Son prestige diminua quelque peu au cours du ve s., parce qu’il ne sut pas soutenir contre les Perses la lutte des Grecs, que, durant la guerre du Péloponnèse, il prit outrageusement le parti de Sparte. Pourtant, les diverses cités de Grèce ne cessèrent de solliciter les conseils d’Apollon et de lui consacrer les fruits de leurs victoires, par des ex-voto bâtis le long de la « voie sacrée » qui monte au temple et dont les fouilles de l’École française d’Athènes, à partir de 1860, ont permis de découvrir les richesses ; ainsi, la dîme prélevée sur le butin de Marathon servit à élever le « trésor » des Athéniens, dont la frise évoquait les travaux d’Hercule et de Thésée, les murs étant couverts d’inscriptions souvent honorifiques.

En 406 (victoire navale des Arginuses), les Athéniens encore consacraient un portique « avec les armes et ornements de proue pris sur leurs ennemis », Béotiens et Chalcidiens. En 403, c’est Lysandre, général lacédémonien, qui fait bâtir avec le butin pris sur Athènes battue sur l’Aigos-Potamos (405) un portique abritant 37 statues de bronze, 9 représentant les dieux, dont Poséidon couronnant Lysandre, tandis qu’en retrait les 28 autres figuraient les généraux et amiraux alliés.

Au ive s., les difficultés du sanctuaire permirent à Philippe de Macédoine de se poser comme son défenseur : il entra en Grèce au cours des deuxième et troisième guerres sacrées (356-346 et 339-338 av. J.-C.), qui servirent de prétexte à l’asservissement de la Grèce ; encore une fois, semble-t-il, le sanctuaire panhellénique semblait faillir à sa mission.

Par la suite, Delphes tomba sous la coupe des Étoliens, qui l’avaient protégée en 279 des invasions celtes. Les Romains, quand ils eurent conquis la Grèce, leur succédèrent, protecteurs parfois exigeants : Sulla ne dépouilla-t-il pas le temple de ses richesses monnayables en affirmant que le dieu était content de lui rendre service ? Si les empereurs (sauf Néron) furent encore très respectueux de son pouvoir, les efforts de ses prêtres (dont Plutarque, qui fut un de ses plus acharnés apologistes) ne purent lui garder la place qui avait été la sienne quand les troubles politiques provoquaient la venue d’ambassades nombreuses, qu’exploitaient les rapaces habitants de la cité. La proscription du paganisme par Théodose ne frappa, en 380 apr. J.-C., qu’un lieu de culte déserté ; le Parnasse s’était dépeuplé, Delphes elle-même disparaissait, et Krissa, que ses fidèles avaient maudite, renaissait, village prospère auprès des ruines inutiles.

J.-M. B.


L’art et l’archéologie

Princes, cités et particuliers rivalisaient de générosité pour honorer Apollon : des bâtiments, des statues, des objets offerts par eux ornaient l’enceinte sacrée. Les importants vestiges qui nous sont parvenus ne donnent qu’un pâle reflet de la richesse artistique du site dans l’Antiquité.

Les ruines, dont le dégagement commença au xixe s., se trouvent dans un site grandiose, au pied des roches Phédriades (en gr. Faidhriádhas). Elles sont groupées en deux secteurs principaux : d’une part le sanctuaire d’Apollon proprement dit, qui comprend le temple, le théâtre et l’essentiel des constructions religieuses ; d’autre part le petit sanctuaire d’Athéna Pronaia (« gardienne du temple »), situé sur la route de Thèbes à Delphes, 1 500 m environ avant d’arriver au hiéron (sanctuaire) d’Apollon. L’enceinte du sanctuaire d’Athéna Pronaia renferme plusieurs temples et « trésors » (dépôts d’offrandes) construits entre le vie et le ive s. av. J.-C. Le plus célèbre édifice de cet ensemble est la tholos (rotonde) de marbre, dont la fonction n’a pu être élucidée jusqu’ici. Delphes possédait en outre un gymnase et un stade.