Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

délire (suite)

Les mécanismes d’élaboration du délire

Les croyances délirantes semblent se développer à partir de quatre types essentiels, de mécanismes psychopathologiques :
— les hallucinations, qui sont des perceptions sans objet. (On distingue des hallucinations auditives, cénesthésiques ou corporelles, tactiles, olfactives ou gustatives, visuelles et des hallucinations purement psychiques) ;
— les interprétations, qui consistent à donner une signification totalement fausse à des faits exacts ;
— les intuitions, qui sont des illuminations brusques de l’esprit au cours desquelles le malade a la certitude absolue et immédiate d’une compréhension nouvelle du monde ou d’une révélation inouïe ;
— les constructions imaginatives, qui sont une sorte de fiction romancée ou fantastique à laquelle le malade adhère sans aucune critique.

Certains délires sont purement hallucinatoires, d’autres seulement interprétatifs ou imaginatifs. En fait, dans les cas d’évolution aiguë comme dans les poussées des délires chroniques, on peut observer une intrication de ces différents mécanismes.


Les formes ou les structures des délires

Les délires revêtent une forme très différente selon qu’ils traduisent une psychose aiguë ou une psychose chronique.

• Les formes aiguës des délires, ou psychoses délirantes aiguës, sont des états délirants qui prennent l’aspect de crises passagères dans l’existence de l’individu. Ces états sont souvent de début brusque, à la fois transitoires et curables. On les appelle aussi bouffées délirantes, car ils durent quelques semaines ou quelques mois, puis tout rentre dans l’ordre et l’on parle de guérison du délire. Les psychoses délirantes aiguës surviennent à tout âge, mais volontiers chez des sujets jeunes. Il existe fréquemment une petite note de troubles de la conscience appelée parfois oniroïdie, sans confusion mentale vraie. Le malade vit une sorte de cauchemar éveillé dans une ambiance angoissante, avec des réactions très vives secondaires aux idées délirantes. Plus rarement, il est plongé dans une sorte de rêverie extatique. La plupart de ces psychoses délirantes aiguës, qu’elles soient hallucinatoires, interprétatives ou imaginatives, sont des affections psychiatriques sans cause organique décelable. Quand il existe une confusion* mentale associée, on doit rechercher une cause toxique, infectieuse ou métabolique, mais c’est une éventualité rare. On peut rapprocher les psychoses délirantes aiguës spontanées des psychoses expérimentales ou toxiques induites par les drogues hallucinogènes modernes.

Toutes les psychoses délirantes aiguës n’ont pas une évolution favorable. Certaines, chez le sujet jeune, se liquident mal et font redouter le début d’une schizophrénie. D’autres récidivent à plus ou moins long terme. Il faut souligner que ces formes aiguës de délire apparaissent souvent chez des personnalités fragiles, parfois déséquilibrées, ailleurs anxieuses, ayant des difficultés de relation avec autrui.

• Les délires chroniques s’opposent aux délires aigus par leur mode évolutif. Ce sont des états délirants prolongés, évoluant sur plusieurs années et se caractérisant par la permanence des idées délirantes. Ils atteignent plutôt la personne d’âge mûr ou plus âgée encore. Malgré son trouble, le délirant chronique reste longtemps relativement adapté à la réalité ; il peut avoir une vie familiale et professionnelle à peu près normale pendant plusieurs années. Les thérapeutiques modernes permettent de maintenir cette adaptation relative à la réalité et évitent souvent l’aggravation des troubles qui autrefois menait ces malades tôt ou tard à l’asile psychiatrique. Tout délire chronique subit par ailleurs des poussées aiguës évolutives au cours desquelles le délire progresse et donne lieu à des troubles du comportement plus importants : scandale, impulsions agressives, fugues, homicide ou suicide.

On oppose habituellement, du moins en France, les délires chroniques aux formes délirantes paranoïdes de la schizophrénie*. Ces dernières comportent une adaptation médiocre ou nulle à la réalité et une dissociation de la personnalité qui n’existe pas dans les délires chroniques.

On distingue classiquement trois grandes formes de délire chronique.

1. Le délire d’interprétation, ou délire paranoïaque, se montre cohérent, bien systématisé, solidement construit avec des preuves à l’appui. Il n’y a pas ou peu d’hallucinations. Tout repose sur l’interprétation fausse de petits faits exacts. Le thème délirant est ici la persécution avec persécuteur désigné, réactions agressives fréquentes, procès successifs, plaintes auprès des autorités judiciaires. La personnalité de cette catégorie de délirant frappe l’observateur par la rigidité mentale, l’orgueil démesuré, la susceptibilité, la méfiance et les tendances interprétatives dans les relations avec autrui.

Les délires passionnels se rapprochent beaucoup des délires paranoïaques. La structure du délire est souvent la même que dans le délire d’interprétation, mais ici le point de départ est différent. Il s’agit d’une idée-force qui polarise toute la vie affective et intellectuelle du malade avec une conviction absolue. Cette idée-force est un postulat de base complètement faux mais qui donne lieu ensuite à une conduite raisonnée absolument logique, bien coordonnée. Les aspects les plus fréquents de ces délires passionnels sont le délire de jalousie (conviction délirante de l’infidélité de l’être aimé), le délire des inventeurs, le délire érotomaniaque (conviction délirante d’être aimé par quelqu’un), le délire de revendication hypocondriaque (conviction de préjudice corporel avec désir acharné de réparation ou de vengeance), enfin tous les délires des faux prophètes, des fanatiques politiques, etc.

2. La psychose hallucinatoire chronique est vraisemblablement le plus fréquent des délires chroniques. Elle survient plus souvent chez la femme que chez l’homme et apparaît à partir de quarante ans. Ce délire repose sur des hallucinations très intenses, surtout auditives et psychiques, avec un sentiment d’emprise ou d’influence à distance (automatisme mental). Il est généralement moins clair et moins cohérent que le délire paranoïaque. Les malades se sentent surveillés, traqués par un ou plusieurs persécuteurs qui leur envoient à distance, par des procédés fantastiques, des sensations, des idées, des plaisirs ou des tortures contre lesquels ils luttent désespérément. Ils se sentent possédés, influencés, devinés, observés dans leur corps et dans leur esprit avec des phénomènes de télépathie, de « téléguidage » et d’emprise physique et psychique. Les réactions au délire sont des tentatives dérisoires de protection contre les forces extérieures malfaisantes auxquelles croient ces patients : claustration, fugue, changement d’appartement, port de vêtements spéciaux, coton dans les oreilles, cuirasses. Parfois, ces malheureux vont déposer une plainte au commissariat de police, d’autres tentent de se suicider.