Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Delhi (suite)

La Delhi actuelle se trouve au milieu des ruines parfois impressionnantes d’anciennes villes juxtaposées. De 1533 à 1564, puis de 1639 à 1857, Delhi a été la capitale de l’Empire moghol. Après la grande rébellion du milieu du xixe s., elle devait perdre sa fonction de capitale au profit de Calcutta, pour la retrouver dès 1911. L’indépendance de 1947 lui a conféré un rôle très important, puisque la disparition des États princiers lui permet de dominer la plus grande construction territoriale jamais réalisée dans le monde indien.

C’est donc la position qui explique la fortune de Delhi. Le site est assez quelconque : de basses terrasses alluviales entre la Jamna (ou Yamunā) et une barre de grès, dernière avancée des roches qui composent la péninsule, et formant un relief modeste, la « crête de Delhi » (Delhi ridge).


Une grande capitale

La fonction administrative domine très nettement. Plus des deux tiers des actifs sont employés dans le secteur tertiaire ; près de la moitié sont au service du gouvernement fédéral de l’Union indienne. Mais les activités de la ville tendent à se diversifier. La présence de la Cour, l’importance de la population, la position au centre d’une région peuplée et active lui ont donné une tradition artisanale et commerciale non négligeable. La ville a un rôle important de commandement économique, comme il arrive souvent avec les capitales politiques. Dans les rues les plus désuètes d’aspect de la vieille ville, il n’est pas rare de rencontrer des maisons de commerce qui organisent la distribution dans de grandes parties de l’Inde du Nord. Une industrie moderne a également fait son apparition grâce à la concentration humaine, à l’hydroélectricité himalayenne et à la présence des actifs entrepreneurs pendjābīs. Les petits ateliers dominent, mais le gouvernement a favorisé l’installation de quelques grandes usines, notamment sur la zone industrielle de Farīdābād, le long de la route qui suit la Jamna vers le sud-est.

Delhi, ville d’art

Pour l’historien de l’art, il n’y a pas une Delhi, mais sept cités voisines et successives, créées par le goût changeant des souverains. Intimement dépendante du pouvoir, la ville se pare de monuments quand elle est capitale, pour peu que les princes s’éprennent d’architecture. Elle vit sur son passé ou tombe en ruine quand la Cour s’installe ailleurs ou quand les princes n’ont plus l’amour de construire. Si elle ne peut pas prétendre donner un tableau complet de l’art de l’islām indien, car les écoles provinciales ont souvent fait montre de personnalité, elle offre néanmoins un ensemble unique d’édifices érigés entre la fin du xiie s. et le milieu du xviiie s.

Delhi 1 et 2

On doit à la dynastie des Esclaves (1206-1290) et à celle des Khaldjī (1290-1320), respectivement fondateurs des première et deuxième Delhi, les monuments situés autour du Quṭb mīnār, ce prodigieux jaillissement de pierres rouges haut de 72,50 m, orné de colonnes et de pilastres engagés, de balcons en encorbellement et de magistrale épigraphie, à la fois minaret et tour de victoire :
— la mosquée Quwwat al-Islām, commencée avant même la proclamation de l’Empire, dès 1192, avec les matériaux pris à 27 temples hindous et jaïna détruits, puis parée peu après d’un grandiose écran à arcs, servant de façade à l’oratoire, et d’une porte, l’‘Alā’-ī Darwāza, où apparaissent déjà les placages de marbre blanc se détachant sur le fond de pierres rouges ;
— la tombe d’Īltutmich, postérieure de quelques années à celle de Sultan Rhārī (1231), située à 8 km plus au sud et qui est le premier mausolée monumental de l’Inde.

De Delhi 3 à Delhi 6

Les Turhluq (1320-1414), fondateurs de Turhluqabad, la troisième Delhi, aujourd’hui très ruinée, inclinent pour un art plus sévère : il reste surtout de leur règne la belle tombe à coupole de Rhiyāth al-Dīn (v. 1325). Il est impossible de nommer toutes les constructions religieuses ou civiles faites dans Djahānpanāh et Fīrūzābād, les Delhi 4 et 5. Par contre, les productions plus rares des Sayyīd (1414-1451) et des Lōdī (1451-1526) permettent de mentionner ce qui fut leur activité principale, l’érection de mausolées sur plan carré ou octogonal, couverts de coupoles hémisphériques, souvent entourés de portiques : tombes de Muhammad Chāh (1444), de Mubārak Chāh (1434), de Sikandar Lōdī (1518), etc. Plusieurs sont situées dans les jardins de Lōdī, à proximité d’une des rares mosquées de l’époque, le Barā Gumbad (1494), et d’un petit pont moghol. Si Chīr Chāh, l’usurpateur afghan, construit ses chefs-d’œuvre dans d’autres villes, il n’abandonne pas Delhi, où il fonde la 6e ville, Purānā-Qil’a (mosquée Qil‘a-i Kuhna, 1541 ; tombe de ‘Īsā Khān, 1547, fidèle au type octogonal Iōdī).

La ville moghole : Delhi 7

Les deux premiers souverains moghols, Bābur et Humāyūn, n’ont guère laissé de souvenirs architecturaux. C’est pourtant à Humāyūn que se rattache le premier grand monument de la dynastie, sa tombe. Œuvre de sa femme, qui le mit en chantier v. 1564, cet immense et magistral palais des morts, enfermé dans un parc, n’est pas seulement le prototype d’un art funéraire entièrement renouvelé et appelé à une grande carrière (le Tādj Mahall d’Āgrā* s’en inspirera). C’est aussi un édifice qui présente maints caractères fondamentaux de la nouvelle école : la vaste terrasse de soubassement, les iwān monumentaux de façade, le double dôme dont l’origine doit être cherchée en Asie centrale.

Delhi 7 naît quand Chāh Djahān décide de rétablir le siège de son gouvernement dans l’antique cité. La célèbre citadelle-palais, connue sous le nom de Fort Rouge, bâtie entre 1639 et 1647 et qui s’ouvre par deux grandes portes (portes de Delhi et de Lahore), enferme, dans un octogone irrégulier en grès rouge et au milieu de jardins et de terrasses, des suites de pavillons, de chambres, de salles d’audience, construites avec le matériau favori du souverain, le marbre blanc. À proximité du fort, Chāh Djahān érige, entre 1644 et 1658, sa Grande Mosquée (mosquée du Vendredi) sur une immense plate-forme que la cour occupe en majeure partie. Avec ses portes monumentales, sa clôture ajourée, ses quatre minarets d’angles, son harmonieuse façade à grand īwān flanqué de dix arcs, ses trois coupoles élancées et bulbeuses, sa riche parure de marbres, c’est l’oeuvre la plus ambitieuse, la plus classique et la plus imposante de la dynastie.