Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Delalande (Michel Richard) (suite)

M. R. Delalande a fait ses études musicales à la maîtrise de Saint-Germain-l’Auxerrois, où il eut pour maître François Chaperon et pour condisciple Marin Marais. Organiste, il se fait entendre à Saint-Germain-en-Laye, mais il est jugé trop jeune pour être engagé à la Cour. Il est nommé chez les Grands-Jésuites et au Petit-Saint-Antoine, et s’engage à tenir l’orgue de Saint-Gervais dès la mort de Charles Couperin, afin de le transmettre à François Couperin lorsqu’il atteindra ses dix-huit ans. Comme tout organiste à l’époque, il est également claveciniste et enseigne cet instrument à la fille du maréchal de Noailles et aux enfants du roi, Mesdemoiselles de Nantes et de Blois. En 1682, il est nommé titulaire de l’orgue de Saint-Jean-en-Grève, poste qu’il abandonnera neuf ans plus tard. C’est qu’en effet, dès 1683, il est appelé par voie de concours à entrer comme sous-maître à la Chapelle royale. Sa renommée ne fera que croître, au point qu’il se verra confier, d’année en année, onze sur douze des charges de la musique royale, tant à la Chambre qu’à la Chapelle. En ce sens, il reçoit des responsabilités qu’aucun musicien avant lui, même Lully, n’est parvenu à cumuler.

Il avait épousé Anne Rebel, fille et sœur de musiciens du roi déjà célèbres, et il en aura deux filles, chanteuses applaudies à la Chapelle. S’il abandonne ses orgues parisiennes, c’est pour se vouer à la charge qui l’attend à Versailles. Louis XIV semble lui avoir réservé une amitié toute spéciale. À la mort du prince, il se démet d’une partie de ses charges, dirige peut-être encore la Chapelle au château des Tuileries, et reçoit, au retour du jeune Louis XV à Versailles en 1722, le collier de Saint-Michel, au moment où il épouse en secondes noces la fille d’un chirurgien des Conti, Marie-Louise de Cury.

Sa musique profane comporte une série de symphonies dites « pour les soupers du roi », qu’il a plusieurs fois remaniées depuis 1687, ainsi que des symphonies sur des noëls. Il y faut joindre maintes partitions de ballets et divertissements qui ont été donnés à Versailles, à Fontainebleau, à Marly ou aux Tuileries entre 1682 et 1720. Citons, parmi les plus connues, les Fontaines de Versailles (1683), manière de cantate qui était exécutée en plein air, le Ballet de la jeunesse (1686), le Palais de Flore (1689), des intermèdes pour la comédie Mirtil et Mélicerte (1698), le Ballet de la paix (1713), le Ballet de l’inconnu (1720), les Folies de Cardenio (1720) et les Éléments (1721), ce dernier ballet en collaboration avec André Destouches.

Cette œuvre profane, de caractère chorégraphique et qui fait appel parfois à la voix soliste et au chœur, se situe en marge de la tragédie lyrique de Marin Marais, Pascal Collasse et André Campra, ou de l’opéra-ballet créé par ce dernier. C’est en puisant souvent dans ses propres partitions chorégraphiques que Delalande a constitué ses célèbres suites de symphonies, établies dans le propos de distraire le roi pendant ses soupers.

L’œuvre religieuse demeure d’une portée plus universelle et réunit près de soixante-dix grands motets ou cantates sur paroles latines, un Magnificat, un Te Deum, un Cantique spirituel sur des paroles de Racine et Trois Leçons de ténèbres. De toute cette œuvre, ce sont les grands motets et le Te Deum qui ont connu le plus constant succès. Delalande a emprunté le cadre du grand motet à ses prédécesseurs immédiats, Étienne Moulinié, Jean Veillot, Pierre Robert et Henry Du Mont, non sans méconnaître peut-être certaines leçons de Marc Antoine Charpentier. Mais Delalande a constamment simplifié et clarifié cette formule, qui doit autant à la conception de l’oratorio et de la cantate italienne qu’à certains éléments provenant de l’art dramatique lullyste. Loin de s’en tenir à la conception d’un Pierre Robert ou d’un Henry Du Mont, qui ne restent pas toujours fidèles au sectionnement d’un psaume ou d’une hymne en un certain nombre de versets, Delalande maintient la subdivision dictée par le texte et s’ingénie, comme dans la cantate italienne, à diversifier la couleur de chacun des versets du psaume. Le récitatif laisse peu à peu la place à un arioso organisé, et, en marge de la sinfonia initiale ou de certains intermèdes symphoniques très courts, Delalande joue des deux éléments essentiels que lui fournit le personnel de la Chapelle : des airs, des chœurs. Le soliste dialogue avec un instrument comme la flûte ou le hautbois, dans l’esprit de la sonate à trois, avec ou sans da capo. Le chœur offre de multiples ressources : au petit chœur des favoriti, ou solistes, à trois voix, Delalande oppose un chœur à quatre ou plus souvent à cinq parties. C’est ici que viennent de préférence se fondre aux recherches verticales des grands chœurs lullystes les formules horizontales et en imitation qui perdurent depuis le Moyen Âge dans la polyphonie sacrée. Mais cette polyphonie ne s’impose jamais, car elle risquerait de devenir systématique, et, pour Delalande, l’essentiel revient à maintenir son ensemble vocal dans une clarté qui permet de mettre en valeur soit une idée générale soit un mot faisant image, dans l’esprit des madrigalistes italiens. Ces motets, donnés d’abord à la Chapelle de Versailles, doivent être tenus pour des sermons que Delalande proposait au roi. Ils connurent un tel succès qu’ils constituèrent au départ du Concert spirituel de 1725 l’essentiel des programmes. Delalande sera chanté pendant tout le xviiie s. en France et même encore au début du xixe s. en Provence.

En résumé, ce musicien a joui d’une situation privilégiée à la Cour peut-être plus qu’à la ville. Habitant plus fréquemment le Grand Commun à Versailles que son hôtel particulier de la rue Sainte-Anne à Paris, il a profité des contacts hebdomadaires, voire quotidiens, qu’il eut avec le roi pour étendre son influence dans tous les domaines de la musique. S’il semble avoir laissé de côté la tragédie lyrique, où brillaient ses émules André Campra, Marin Marais, Pascal Collasse et Henry Desmarets, il a gardé sous sa souveraineté tout ce qui pouvait relever du divertissement à Versailles, depuis la cantate ou la pastorale jusqu’au divertissement et à la symphonie d’orchestre. Ayant joui à la Chapelle d’une autorité que personne ne pouvait lui contester, il a, non loin des organistes François Couperin, Nicolas Lebègue, Guillaume Gabriel Nivers, Jean-Baptiste Buterne et Louis Marchand, imposé la riche substance de son discours musical lors des cérémonies officielles ou privées auxquelles assistait le prince, entouré de sa famille et de l’aristocratie. Comme le feront plus tard Händel et Bach, il ne s’est jamais cru autorisé à publier de son vivant ses motets, préférant les améliorer au cours des années. Et c’est sa seconde épouse, Marie-Louise de Cury, qui confiera à François Collin de Blamont, l’élève privilégié de Delalande, le soin de publier, aux frais de Louis XV, les quarante plus célèbres motets du maître de musique de son aïeul. Ces grandes cantates sur paroles latines, également chantées dans les paroisses parisiennes, semblent avoir connu une diffusion rapide en Europe en raison de l’universalité de leur langage et de la portée spirituelle qui distinguent leurs chœurs d’adoration et d’exaltation ainsi que leurs airs lyriques d’un goût indiscutable, que la musique profane n’a jamais contaminés.