Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

défense (suite)

L’importance et l’interdépendance de tous ces problèmes ont pour conséquence de rendre à l’autorité politique, seule capable de les traiter, la primauté dans toutes les décisions intéressant la conduite générale de la guerre. Cette autorité politique se distingue encore de celle des opérations, domaine réservé aux commandants en chef, mais les imbrications entre politique et stratégie militaire deviennent de plus en plus fréquentes.

• Guerre des effectifs, et donc, plus que toute autre, guerre des hommes et des peuples, guerre industrielle et économique, le conflit 1914-1918, par l’ampleur des moyens mis en œuvre et des sacrifices consentis, contient déjà en germe la guerre totale. Aussi, persuadés d’avoir été les témoins de la dernière des guerres, ses survivants se donnent-ils avec beaucoup de confiance à l’œuvre d’organisation de la paix. Celle-ci s’inscrit dans un cadre international institutionnalisé pour la première fois de façon permanente par la Société des Nations. Quant à la défense, elle reposera désormais sur le principe de la « sécurité collective », incarnée en des accords par lesquels l’ensemble des partenaires s’engagent à intervenir militairement contre toute tentative d’agression perpétrée sur l’un d’entre eux. Ces accords doivent en outre permettre d’envisager un désarmement général et le recours en cas de conflit au seul arbitrage des tribunaux internationaux. Cet état d’esprit, largement répandu en Europe, contribua malheureusement à créer une ambiance favorable à la vaste entreprise de domination bruyamment mise en place par l’Allemagne de Hitler. Cette période de 1925-1935 mérite une attention particulière, car il est permis de penser que c’est le manque de clairvoyance et d’énergie de ses partenaires qui les empêcha de briser dans l’œuf la machine d’agression nazie et d’assurer ainsi la défense de l’Europe avant que Hitler ne déchaînât sur le monde le cataclysme de la Seconde Guerre mondiale.

• Le conflit qui s’ouvre en septembre 1939 surprendra les nations occidentales dans une situation qui n’avait guère évolué depuis 1918. En France, il avait fallu attendre le 11 juillet 1938 pour qu’une loi « organise la nation pour le temps de guerre ». Codifiant l’expérience acquise en 1914-1918, elle est la première à donner une organisation spécifique à la défense, à situer les responsabilités respectives du gouvernement et du commandement et à définir le cadre de la mobilisation économique. Ce texte, beaucoup trop tardif, n’eut pas le temps de porter ses fruits, et, après la bataille d’avant-garde du printemps 1940, comparable à celle de l’été 1914 mais terminée cette fois par l’écrasement de la France, le monde s’installe dans une guerre qui fera intervenir avec une ampleur encore plus considérable et à une échelle vraiment mondiale tous les facteurs apparus au cours du conflit précédent.

La Seconde Guerre mondiale est encore plus totale que la Première :
— l’installation en maître de l’Allemagne nazie dans une grande partie de l’Europe est pour les peuples occupés, de 1940 à 1944, l’occasion des drames politiques et humains qu’évoquent encore les mots de collaboration, de travail obligatoire, de délit d’opinions, de persécution raciale, d’otages, de résistance, de déportation, etc. ;
— le déferlement de la guerre idéologique résulte de l’emploi de techniques de propagande de plus en plus poussées pour agir sur le moral et l’attitude des populations, techniques considérées par les deux camps comme un objectif essentiel de la lutte ;
— la généralisation de la guerre aérienne, avec des moyens d’une puissance encore inégalée, étend désormais sa menace sur toutes les populations urbaines ;
— l’importance acquise par des matériels d’armement de plus en plus techniques prend dans les armées le pas sur les effectifs ; le rôle essentiel joué par les États-Unis dans la victoire alliée consacre, dans le domaine de la défense, la primauté des très grandes puissances industrielles, seules capables d’affronter la compétition scientifique et technologique d’une guerre moderne.


Défense et atome

Alors que le monde sort à peine de ces cinq années de guerre, voici que le 6 août 1945 l’explosion atomique américaine sur Hiroshima marque une nouvelle mutation qui va bouleverser les données des problèmes de défense. Avec les projectiles nucléaires et surtout thermonucléaires (v. bombe nucléaire) intervient une véritable discontinuité par rapport au pouvoir destructeur des armes précédentes : c’est l’existence physique d’une capitale, voire d’une nation, qui est maintenant en cause.

Une telle arme ne pourra demeurer longtemps le monopole d’une seule puissance. Après quatre ans d’exclusivité américaine, au cours desquels s’affirme la division en deux blocs des vainqueurs de 1945 et est mis en place le système défensif du pacte Atlantique (v. Atlantique Nord [traité de l’]), explose en septembre 1949 la première bombe nucléaire soviétique. Après le passage des Américains (1952) et des Soviétiques (1953) au stade thermonucléaire s’ouvre une ère nouvelle, celle de la parité atomique des deux grandes puissances. Sa première manifestation sera sans doute leur détermination commune d’arrêter la guerre en Corée*, dernier conflit de type classique, de peur qu’elle ne dégénère en guerre atomique.


La défense des nations nucléaires

Cette situation nouvelle se complique encore par l’entrée de la Grande-Bretagne (1952), de la France (1960) et de la Chine (1964) dans le club des « nations nucléaires ». Pour celles-ci, la défense s’identifie pour une large part à l’existence de forces nucléaires de dissuasion, maintenues en alerte, qui leur donnent la possibilité d’infliger immédiatement à tout adversaire éventuel des dommages tels qu’il renonce à engager une épreuve de force. Mais, pour conserver sa valeur de dissuasion, toute force nucléaire doit se perfectionner sans cesse ; les puissances atomiques sont donc lancées dans une immense compétition d’ordre scientifique, technologique et financier, dont seules un petit nombre de nations sont capables. Leurs systèmes de défense se trouvent ainsi de plus en plus intégrés à leurs économies et à leurs efforts de recherche. Ils s’inscrivent désormais dans les plans d’équipement nationaux et s’expriment en pourcentage du produit national brut, qu’on s’efforce de maintenir à un niveau raisonnable pour ne pas compromettre l’équilibre économique du pays, lui-même facteur primordial de sa capacité de défense. Il semble pourtant que, même pour les supergrands, cette course aux armements tende vers une limite. Au moment où la neutralisation réciproque des terreurs nucléaires identifie tout conflit généralisé à un suicide collectif et contraint les « grands » à la paix, Soviétiques et Américains ont pris contact pour aboutir sinon à un désarmement*, du moins à une stabilisation des armements atomiques. S’il est permis de penser que les accords de Moscou de 1963 interdisant les explosions nucléaires aériennes comme le traité de non-prolifération des armes atomiques de Genève de 1968 ne visent qu’à assurer aux deux supergrands un quasi-monopole, il en va autrement des négociations SALT (Strategic Arms Limitation Talks) poursuivies à Helsinki et à Vienne depuis 1969. Les accords qui les concluent, signés à Moscou en 1972 et en 1974 par les États-Unis et l’U. R. S. S., illustrent leur besoin de marquer une pause dans la course aux armements.