Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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défense (suite)

Défense et « guerre des peuples » (1792-1945)

Mis en valeur par les guerres de la Révolution française, le phénomène de participation des peuples à leur défense a toujours existé et représenté un facteur souvent déterminant de succès. Qu’il suffise d’évoquer ici la « mobilisation » des vassaux de Louis VI contre l’Empereur en 1124, l’élan national qui accompagne la victoire de Bouvines (1214), comme l’épopée de Jeanne d’Arc et le sursaut de la nation après l’appel de Louis XIV à la veille de la victoire de Denain (1712).

• Après l’éclipsé des « guerres de cabinets » du xviiie s., l’explosion de la Révolution française, l’obligation où elle se trouve de défendre contre l’Europe entière son territoire et son idéal donneront au phénomène de la défense une dimension nouvelle. Comme l’écrira Clausewitz*, « la Révolution avait rendu la guerre au peuple ». Ainsi que l’atteste le célèbre décret de Carnot* d’août 1793, la nation s’engage totalement au service de sa défense, et la Constitution de 1793 précise que « le peuple français ne fait pas la paix avec un ennemi qui occupe son territoire ». Le Comité de salut public « établira sans délai une fabrication extraordinaire d’armes de tous genres [...], formera tous établissements et manufactures jugés nécessaires [...], requerra tous artistes ou ouvriers pouvant concourir à leur succès ». C’était déjà l’annonce d’une mobilisation économique, tandis que la levée en masse au nom de l’idéal révolutionnaire de patrie et de liberté permettait un élargissement considérable de la structure des armées et soulignait l’importance du facteur idéologique comme ressort de la défense.

• Mis à part le sursaut des provinces de l’Est en 1814, la notion de défense s’efface en France avec les guerres de conquête napoléoniennes. Elle est reprise par ses adversaires et surtout par les Anglais et les Prussiens. Ces derniers ont observé de très près le phénomène de la Révolution française et, le 17 mars 1813, en annonçant l’établissement du service obligatoire, c’est à une guerre de libération (le mot fera école) que le roi de Prusse appelle son peuple, déclenchant ainsi un vaste élan du patriotisme germanique.

• C’est encore en France, au lendemain du désastre de Sedan en 1870, que se manifestera de nouveau la volonté de défense. L’œuvre du « gouvernement de Défense nationale » et surtout de sa délégation de Tours dirigée par le jeune Léon Gambetta, assisté de Charles de Freycinet, est impressionnante. Pour la première fois se pose le problème de créer en pleine action et dans un pays largement envahi une organisation de défense efficace. Tous les domaines sont abordés de front : mobilisation de 600 000 hommes, création de 400 corps francs pour harceler l’ennemi, remise en activité des manufactures de l’intérieur, création de bataillons d’ouvriers, obligation à chaque département de fournir une batterie par tranche de 100 000 habitants, emprunt de 200 millions aux États-Unis, action diplomatique de Jules Favre et de Thiers. Malgré quelques beaux succès, la bonne volonté des troupes et l’enthousiasme de Gambetta ne peuvent dominer la perfection de l’instrument militaire prussien ; c’est ce qui explique l’armistice du 28 janvier 1871, mais aussi la révolte du peuple de Paris.

• Incarné dans la protestation des députés d’Alsace et de Lorraine au nom des populations séparées par la force de la communauté nationale, l’écho de la défaite de 1871 fut tel que c’est sous le signe de la défense que s’opéra la reconstruction de la France à la fin du xixe s. La menace alors très clairement perçue est celle d’une nouvelle agression allemande ; la parade, c’est d’abord une armée de puissance aussi proche que possible de celle de l’adversaire. À la restauration de cette armée, le pays, au-delà de toutes ses divisions intérieures, participe avec ferveur. Le gouvernement réussit à lui assurer les remarquables concours de la puissance militaire russe et de la flotte britannique, alors la première du monde. La mobilisation est minutieusement chronométrée et, en 1914, prévoit en quinze jours l’appel de 2 700 000 hommes aux armées. La doctrine c’est d’assurer la défense en remportant la victoire par une bataille offensive dont la responsabilité incombe au seul commandant en chef désigné. Aussi prévoit-on une totale discontinuité entre le temps de paix et le temps de guerre. Si le décret du 28 octobre 1913 précise que le gouvernement a seul qualité pour fixer les buts politiques de la guerre, il est admis qu’il ne s’immisce en rien dans la conduite des opérations. Le 5 août 1914, après avoir pris congé de son ministre, qu’il se contentera désormais d’informer, Joffre est en droit comme en fait l’unique responsable du destin du pays. Cet effacement de l’autorité politique devant le commandement militaire ne s’explique que par la conviction unanime en Europe et inscrite dans tous les plans de défense que l’épreuve de force ne peut être que de très courte durée.

• C’est dans ces conditions que -se jouent les campagnes de 1914, qui apportent un démenti total à toutes les hypothèses d’écoles ! Des deux côtés du front, devant des caissons vides qu’aucune mobilisation industrielle n’avait prévu d’approvisionner au-delà des stocks de mobilisation, peuples, gouvernements et commandements se trouvent confrontés à une situation que personne n’avait imaginée. Dès 1915 se posent ainsi, sous forme d’urgente et impérieuse nécessité, les problèmes qui constitueront pour longtemps les éléments de base de tout système de défense :
— création, au profit des armées, d’une véritable économie de guerre avec ses composantes industrielles, financières et sociales ;
— organisation de la vie et du ravitaillement des populations civiles, y compris des réfugiés des zones envahies, dont il faut soutenir le moral ;
— répartition du potentiel de main-d’œuvre disponible entre les armées, les industries d’armement et l’économie du pays ;
— financement de la guerre tant par l’impôt que par des emprunts intérieurs ou extérieurs ;
— relations avec les alliés et coordination des opérations militaires à l’échelon international.