Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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décoratifs (arts) (suite)

Les arts décoratifs modernes

La révolution qui s’est opérée dans les métiers d’art au début du xixe s. eut deux causes initiales : la découverte du répertoire esthétique médiéval et la floraison du romantisme individualiste. En France, les praticiens disposèrent tout d’un coup, outre du vocabulaire ornemental révélé par le musée des Monuments français, des recueils de l’éditeur Duchesne Aîné : 3 000 planches réunissant quelque 12 000 modèles, avec la réimpression des œuvres des Marot, de Jean Berain, de Juste Aurèle Meissonnier, des Lepautre. De ces éléments multiformes, on composa des combinats singuliers, couronnant d’une accolade fleuronnée gothique un meuble à colonnes corinthiennes, revêtant une déité mythologique d’un costume florentin. Les ornemanistes de la première moitié du siècle, Aimé Chenavard (1798-1838), les Guillaume Denière père et fils, Michel Liénard (1810-?), habiles et trop érudits, multipliaient ces interpénétrations que matérialisaient les métiers d’art. Leur talent même contribuait à confirmer la société dans la conviction que, tout ayant été dit, et bien dit, par les devanciers, il ne restait au xixe s. qu’à tirer parti de ce fonds. Rares étaient les esprits qu’alarmait la carence d’un art original.

Les événements de 1848 aggravèrent la situation ; faute de clients, les artistes les plus brillants s’exilèrent. Antoine Vechte (1799-1868) et Léonard Morel-Ladeuil (1820-1888), les ciseleurs, allèrent animer les ateliers de George Richards à Birmingham ; le porcelainier J. F. L. Arnoux, ceux de Thomas Minton à Stoke-on-Trent. L’Exposition internationale de Londres, en 1851, allait démontrer la décadence de la production française. Le second Empire n’allait pas conjurer cette crise. L’impératrice, qui donnait le ton, n’avait de goût que pour les styles du xviiie s. On dépouilla donc les palais nationaux du mobilier dont les avait regarnis Napoléon Ier au lendemain des pillages révolutionnaires, pour les remeubler de copies de Louis XVI et de Louis XV. C’est hors du domaine officiel que s’opéra le premier retour au pragmatisme. À Londres, les manufacturiers français avaient eu la révélation d’un moyen technique aux ressources illimitées, la machine. Certains renouvelèrent leur équipement et, dès ce moment, une controverse ardente mit aux prises les traditionalistes, épris du travail manuel, et les novateurs, décidés à tirer de la machine, par la franchise de l’exécution, une esthétique décorative nouvelle. Dans le même temps s’élaborait l’architecture de fer*.

Les métiers d’art reconnaissaient l’absence d’un style « moderne » et cherchaient la solution d’un problème qu’en fait ils posaient mal. Le maître ébéniste Henri Fourdinois (actif entre 1840 et 1887) multiplie, dans les revues d’art, les appels à la recherche originale, tout en produisant, les croyant modernes, des meubles qui sont des combinaisons d’emprunts au passé. Au même moment, les préraphaélites* anglais retournent aux formules primitives que recommandent John Ruskin, William Morris ou William Dyce, mais sans entraîner les manufacturiers, réfractaires à cette esthétique.

La volonté de résoudre cette crise universelle détermine la formation à Paris, en 1863, de l’Union centrale des arts décoratifs, qui crée le musée dont on espérait que l’étude pût révéler le secret des méthodes du passé. Par malheur, la préoccupation des artistes fut d’abord de tirer de cette leçon les moyens de manifester leur personnalité particulière. Dès les années 1880, Eugène Grasset (1845-1917) élabore des illustrations moyenâgeuses et des modèles de meubles de même caractère. C’est pareillement à l’esprit médiéval que se référera, vers 1900, le groupe « rationaliste », que représente notamment l’architecte et décorateur Charles Plumet (1861-1928). Par contre, à Nancy*, le verrier, ébéniste et littérateur Émile Galle (1846-1904) prétendait retrouver la loi des formes saines en transposant dans la structure de ses meubles celle des végétaux, voire de certains insectes, témoin la libellule. Avec Louis Majorelle (1859-1926), toute une école adopta ces principes (v. Art nouveau). À Paris, l’architecte Hector Guimard (1867-1942), élevant son Castel Béranger, en dessinait le moindre meuble dans le formalisme « en coup de fouet » dont quelques entrées du métro conservent les exemples. La véhémence ininterrompue du style « tentaculaire » eut tôt fait de lasser. Il en alla de même des meubles conçus par le groupe réuni à Paris autour du magasin l’Art nouveau (1895) de Samuel Bing (1838-1905), avec notamment Eugène Gaillard (1862-1933) et Georges de Feure (1868-1928), encore que ce dernier ait montré, dans certaines de ses grandes menuiseries, un sens plastique nettement supérieur. Le groupe de la Libre Esthétique, inspiré par les architectes Paul Hankar (1859-1901) et Victor Horta (1861-1947), s’attachait, à Bruxelles, à cette rénovation esthétique avec le même caractère arbitraire et subjectif. De l’Exposition internationale de 1900, quelque succès qu’elle ait obtenu, l’apport authentique fut décevant. La critique, unanime, condamna un art de pure décoration, surabondante et inadéquate. Les Français tentèrent de rectifier l’erreur. En 1915 s’ouvrit un Salon du meuble « à bon marché » qui, par son programme même, réduisait l’ornementation à quelques indices. Ses promoteurs, Mathieu Gallerey, Léon Jallot (1874-1967), avaient prévu l’adhésion de la bourgeoisie moyenne éclairée ; elle s’abstint : le public restait fidèle aux pastiches, même grossiers, des modèles d’autrefois, qui lui donnaient l’impression de luxe ; un meuble simple lui paraissait pauvre.

Un événement imprévu devait, en 1909, déterminer un renversement des tendances : les Ballets* russes de la compagnie de Diaghilev révélèrent à la France, qui en avait perdu le souvenir, la sonorité des couleurs. On vit alors les murs se couvrir d’arabesques aux contrastes violents. Par ailleurs, on attendait pour 1910, au Salon d’automne, la présentation du groupe d’artistes et d’industriels munichois, le Werkbund, dont les chroniqueurs célébraient, depuis quelques années, les talents et la discipline. Seuls émergeaient, en fait, quelques personnalités comme les architectes Theodor Veil et Karl Bertsch. Le Werkbund, dans l’ensemble, avait perpétué le style « Biedermeier » du xixe s., qui s’inspirait de la tradition française ; quant au Jugendstil des années 1900, il était le pendant de l’Art nouveau. Aucun de ces mouvements n’exprimait de conceptions propres à rénover les arts du décor. Ils n’appliquaient pas des principes, mais des systèmes, voire des recettes.