Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

décoratifs (arts)

Arts appliqués au décor de la vie. Les arts décoratifs sont déterminés dans leurs solutions par des impératifs d’appropriation, au contraire des arts d’expression.



L’Antiquité

L’Homo sapiens a décoré ses armes et ses outils primitifs ; il a façonné des colliers de cailloux de couleur et d’osselets. Installé dans sa hutte de bois ou de pisé, il en a décoré les parois. Les lentes migrations ont véhiculé au loin les procédés. Dès les temps les plus anciens apparaissent la bijouterie, le travail des métaux et la poterie*, suivis des tissus*.

Homère évoque Pénélope tissant une tapisserie, mais, si précis en sa description du bouclier d’Achille aux neuf épaisseurs de cuir renforcées d’airain, le vieil aède ne nous dit rien de la technique de l’épouse d’Ulysse. Les ouvrages coptes en seraient-ils une tardive résurgence ? Leur décor est très stylisé. L’Égypte concevait la décoration comme un système abstrait : la fleur de lotus devient une combinaison de triangles. Suivant un cheminement semblable, la Crète, qui modèle et peint d’abord avec naïveté l’animal vivant, transcende bientôt ce réalisme en motifs ornementaux ; du mouvement de rétropulsion du poulpe et du nautile, elle déduit la spirale. Il en va de même dans l’Hellade primitive. L’invasion dorienne introduit dans le Péloponnèse un formalisme dont les grandes amphores du Dipylon à Athènes offrent de superbes expressions : leur panse est peinte de silhouettes schématiques et d’arrangements géométriques en registres superposés, d’un style qui influera sur la suite de l’art grec. Les artistes, qui de la feuille déchiquetée d’un banal arbuste feront leur acanthe à la noble symétrie, impriment une trame géométrique aux figures des frontons. De cet art, Rome imite la lettre sans pénétrer l’esprit. Un chapiteau grec relève d’un principe rigoureux : le chapiteau romain combine l’ionique, le corinthien et, de plus, introduit dans les intervalles des oves surérogatoires.

Le Bas-Empire a malheureusement recueilli cet héritage contradictoire : si les mosaïques de Ravenne* évoquent la conception grecque par la stylisation de la nature, les ciseleurs et les praticiens de l’ivoire byzantins surchargent leurs ouvrages selon le goût romain : les panneaux de la chaire de Maximien (Ravenne) dénotent la routine d’atelier ; par contre les enlumineurs, s’ils n’étudient guère le réel, se plaisent à des exercices de virtuosité, créant un véritable formulaire décoratif. Il est remarquable qu’un art en fait si desséché, véhiculé par les invasions barbares jusqu’aux confins européens, y ait déterminé l’une des conceptions les plus originales : vers l’an 600, les monastères irlandais ont élaboré un style dont les intrications mêlées de figures monstrueuses dépassent en imagination celles de l’Orient. Ce ne sont que dragons au long col portant le bec en spatule d’oiseaux chimériques, motif dont s’inspire l’art des Vikings. La figure de proue d’un drakkar viking (musée d’Oslo) ressortit nettement à l’art celtique, et certaines fibules irlandaises rappellent, par une composition qui place un masque humain en son milieu, certains monuments funéraires aztèques, dérivés eux-mêmes des lointains prototypes asiatiques.


L’Occident médiéval

Trois sources alimentent, durant le premier millénaire de notre ère, l’art décoratif occidental : le décor des temples et des arcs romains encore nombreux, les techniques de décoration du bois introduites par les peuples germaniques, enfin les objets byzantins répandus par les moines itinérants et par les marchands syriens installés en Occident. Bientôt, les Arabes (v. islām), refoulés en Espagne, y fonderont des ateliers dont le rayonnement gagnera l’Italie. La Gaule franque s’essaye, en de nombreux domaines, à copier ces modèles. Les praticiens établis autour des abbayes produisent des orfèvreries* dont la gaucherie même trahit un certain affranchissement des esprits. Au xie s. apparaît, dans l’architecture, un souci de décoration nouveau. On construit en appareil, c’est-à-dire en moellons taillés, liaisonnés au mortier, en combinant tantôt des oppositions de creux et de pleins, tantôt des contrastes de pierres de couleur différente. Et la sculpture décorative intervient. Elle crée soit des arrangements géométriques, chevrons, « bâtons rompus », billettes, soit des figures monstrueuses empruntées au bestiaire oriental. Dans les 326 couvents qu’en le seul territoire qui sera la France élève dès le xie s. l’ordre de saint Benoît, les moines artistes élaborent un art. Ils produisent une orfèvrerie magnifique, sculptent l’ivoire* en plaques de reliure, exécutent les vitraux de Saint-Denis, de Vendôme, de Châlons, de Poitiers, des carrelages dont subsistent de rares éléments. Dès le xie s., des métiers de tapisserie sont montés dans les ateliers conventuels.

Toutefois, les précieux tissus décorés, dont maint « trésor » de cathédrale et les riches musées de Lyon et de Vich en Catalogne ont recueilli les restes, viennent d’Orient : aisément transportables, ce sont eux qui ont éveillé l’imagination des praticiens occidentaux. Ainsi le motif des animaux affrontés séparés par un élément vertical, généralement un arbre — l’« arbre de vie » —, les combats d’animaux, interprétés par la sculpture, le vitrail* et l’émaillerie* dérivent de prototypes sassanides. Certaines figures de pure décoration ont une origine précisément localisée : le svastika celtique vient d’Asie, il exprime le mouvement du Soleil, les crochets qui terminent ses branches indiquant le sens de la rotation ; l’hélice est une invention sassanide. Aux enlumineurs interprétant ces motifs, les moyens calligraphiques donnent des facilités qu’ils exploitent avec une méticulosité non dénuée d’élégance, et parfois de poésie. Les drapés sont traités en fonction d’un canonisme d’autant plus systématique qu’il s’applique à des vêtements qu’on ne portait plus, et dont la statuaire antique fournissait les modèles. Ils présentent les « plis coupés » au jet horizontal, les « plis en larmes » aux courbes concentriques, les « plis en triangle » curvilignes et les « plis parallèles » flottant entre les jambes des figures peintes ou sculptées pour se terminer en un bouillonnement dessinant des « méandres ». L’art décoratif roman recherche tantôt l’expression dramatique, tantôt la sérénité. L’Aquitaine brise ses longues figures en mouvements violents accusés par la plicature. Chartres prête à son Christ bénissant la noble majesté de Dieu ; celui de Vézelay disparaît dans un foisonnement de reliefs ; la stylisation des figures du Jugement dernier d’Autun s’apparente aux formules celtiques.