Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Decazes (Elie, duc) (suite)

Decazes a dans un premier temps sacrifié aux fureurs répressives des ultras. C’est lui qui a présenté la loi de Sûreté générale du 31 octobre 1815. Mais il s’oriente rapidement vers une politique hostile à la droite, dont il exploite les excès. Decazes en effet sait le roi attaché, par réalisme d’ailleurs et non par conviction, à une politique du juste milieu et à une œuvre réparatrice qui passe par une lutte vigilante contre les éléments de désagrégation, et au premier rang contre les plus dangereux car les plus influents : les ultras.

Ministre de la Police, Decazes présente au roi, lecteur assidu de ses bulletins, des informations exagérées ou tronquées, choisies à dessein, suivant lesquelles les ultras visent à créer des troubles, et Monsieur à mettre en tutelle le pouvoir souverain. Au bout du compte, non seulement la paix intérieure est menacée, mais les Alliés s’inquiètent de cette agitation des « exagérés », qui compromettent le paiement des dettes de guerre. Le 5 septembre 1816, Louis XVIII signe l’ordonnance de dissolution de la « Chambre introuvable ».

Le favori, bête noire des ultras mais sûr de l’appui du trône, devient progressivement le « ministre dirigeant ». Il met au service de son ambition et de sa politique des qualités personnelles indéniables : habileté, opiniâtreté, clairvoyance. Mais, à certains moments, avec Decazes, on abandonne le domaine élevé de la haute politique pour celui des pratiques douteuses. Par les rouages qu’il contrôle, par les pressions administratives, par le « cabinet noir », ou par les « conspirations contrôlées », le ministre de la Police, qui n’a pas les scrupules de conscience d’un Richelieu, entend être efficace. Il obtient du roi le renvoi des ultras du ministère et y fait entrer d’anciens serviteurs de l’Empire, Gouvion-Saint-Cyr, Molé. Ignorant de propos délibéré les attributions de son collègue Lainé, ministre de l’Intérieur, il tente d’assurer au gouvernement de bonnes élections. Les collèges d’électeurs sont épurés et soigneusement tenus en main par des fidélités stipendiées. Le personnel préfectoral, mis au pas, est fermement invité à faire pression sur les électeurs. Des organes de presse subventionnés, en France ou à l’étranger, répandent sur le compte des ultras des informations tendancieuses.

En octobre 1816, les ultras sont nettement battus, et les « modérés » — plus exactement le parti ministériel — disposent de la majorité absolue. Le 5 février 1817, une nouvelle loi électorale (loi Lainé) confirme le système censitaire et le renouvellement annuel de la Chambre par cinquième. Malgré les efforts de Decazes, aucun scrutin ne contribue à dégager cette majorité de « constitutionnels » aussi éloignés de la réaction que de la révolution et en qui il place tous ses espoirs. Bien plus, si les ministériels gagnent sur leur droite, ils perdent sur la gauche, où bonapartistes, républicains camouflés et surtout orléanistes se renforcent chaque année. En septembre 1817, les indépendants sont 25 à la Chambre. Ils seront trois fois plus nombreux en 1819.

Les ultras se déchaînent contre Decazes, dont l’activité principale semble être alors de les briser et de les isoler. Il n’hésite même pas à frapper très haut. Ainsi, le congrès d’Aix-la-Chapelle doit se réunir à partir du 27 septembre 1818. Le comte d’Artois demande à Vitrolles de rédiger une note destinée à être communiquée aux Alliés. Cette « note secrète », publiée par les services de police, apparaît comme un appel des ultras à prolonger l’occupation de façon à sauver la France du jacobinisme triomphant.

C’est à ce moment qu’éclate la « Conspiration du bord de l’eau », complot ultra de Lyon dans lequel il est vain de faire la part de ce qui revient aux exaltés du faubourg Saint-Germain et aux services de Decazes. On lance des noms, le général Canuel, Chateaubriand, mais c’est Monsieur qui est visé. Le 30 septembre 1818, Louis XVIII, circonvenu par son ministre, ôte à son frère tous ses pouvoirs sur la garde nationale, c’est-à-dire sur l’organisation politico-militaire du parti ultra. Quelques jours après, les électeurs envoient à la Chambre vingt députés d’extrême gauche.

C’en est trop. Certains modérés (le centre droit) s’inquiètent et réclament un changement de ministère. Richelieu, fort de ses succès diplomatiques — il vient d’obtenir la libération du territoire — s’en fait le porte-parole. Mais les efforts multipliés par les modérés effrayés pour éloigner du roi son « très cher fils » échouent.

À la fin de décembre, Richelieu démissionne, et un ministère Dessolles-Decazes se constitue. Le premier, ancien général d’Empire et personnage assez effacé, laisse le champ libre au second, qui s’octroie un deuxième portefeuille, celui de l’Intérieur.


Président du Conseil

L’orientation du ministère est nettement à gauche. La lutte contre la droite s’amplifie. De nombreux officiers royalistes sont mis en disponibilité, et, dans le même temps, d’anciens généraux de l’Empire sont rappelés à l’activité. L’administration préfectorale, le Conseil d’État sont épurés. La Chambre haute regimbe-t-elle et exige-t-elle la révision de la loi électorale afin d’enrayer les succès de la gauche (proposition F. de Barthélemy, févr. 1819) par une fournée de pairs, Louis XVIII en change la majorité.

Aux élections de septembre 1819, la gauche gagne encore 25 sièges, et les ministériels en perdent 12 ! La tactique suivie ne s’avère donc guère payante. De plus, il y a le scandale de l’élection d’Henri Grégoire, l’ex-évêque jureur et Conventionnel, le « régicide ». Decazes, qui sent le souverain ébranlé, se décide à donner un coup de barre à droite. C’est l’éclatement du cabinet. Gouvion-Saint-Cyr et Dessolles démissionnent, et Decazes prend cette fois la présidence effective (19 nov.).

Le nouveau chef du gouvernement entame de laborieuses négociations avec la droite et Villèle. Cette combinaison ne verra jamais le jour : le 13 février 1820, le duc de Berry est assassiné. Une campagne d’une incroyable violence se déchaîne contre Decazes. Un député ultra demande sa mise en accusation pour complicité. Le siège du roi est fait.