Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Darlan (François) (suite)

 J. T. Docteur, la Grande Enigme de la guerre : Darlan amiral de la flotte (Éd. de la Couronne, 1949). / M. Weygand, Rappelé au service (Flammarion, 1950). / A. Darlan, L’amiral Darlan parle (Amiot-Dumont, 1953). / G. Auphan et J. Mordal, la Marine française pendant la Seconde Guerre mondiale (Hachette, 1958). / R. D. Murphy, Diplomat among Warriors (New York, 1964 ; trad. fr. Un diplomate parmi les guerriers, Laffont, 1965). / P. Tomkins, The Murder of Amiral Darlan (New York, 1965 ; trad. fr. le Meurtre de l’amiral Darlan, A. Michel, 1966). / E. Jackel, Frankreich in Hitlers Europa (Stuttgart, 1966 ; trad. fr. la France dans l’Europe d’Hitler, Fayard, 1968). / J. Moch, Rencontres avec... Darlan et Eisenhower (Plon, 1968).

Darwin (Charles)

Naturaliste britannique (Shrewsbury, Shropshire, 1809 - Down, Kent, 1882).



De la naissance à l’embarquement

Son grand-père paternel, Erasmus Darwin (1731-1802), avait été célèbre tout à la fois comme poète, comme botaniste et comme zoologiste (Charles Darwin dira que son grand-père avait « anticipé sur les vues et les fondements erronés des opinions de Lamarck ») ; quant à son grand-père maternel, c’était Josiah Wedgwood*, le grand céramiste de la reine Charlotte, qui avait entièrement renouvelé l’art de la porcelaine en Angleterre. Le père de Darwin n’était, lui, qu’un modeste médecin de campagne. Le frère aîné de Charles n’eut jamais que des préoccupations artistiques et littéraires et resta étranger à la science, ce qui a fait dire à Darwin : « Je pense comme Francis Galton (son cousin germain) que l’éducation et le milieu n’ont qu’un effet limité sur notre esprit et que la plupart de nos caractères sont innés. » Quant au futur grand homme, ce fut le type même du mauvais élève, tant à l’école secondaire de Shrewsbury qu’au collège de médecine d’Edimbourg et au Christ’s College de Cambridge, où il obtint péniblement un grade de bachelier en théologie à l’âge de vingt-deux ans. Pour lui, les véritables heures d’instruction étaient celles des vacances, quand il parcourait les campagnes écossaises, gagnait le rivage, explorait les flaques de retrait de la marée, accompagnait les pêcheurs dans leur barque, les yeux et l’esprit plus ouverts qu’on ne saurait dire. Et ses maîtres, c’étaient les savants de valeur dont il avait fait la connaissance : Robert Grant à Edimbourg, Henslow et Adam Sedgwick (1785-1873) à Cambridge. C’est du reste John Stevens Henslow (1796-1861) qui eut l’idée providentielle d’adresser au capitaine R. Fitzroy (1805-1865), qui commandait le Beagle, une lettre de recommandation en faveur de Darwin, de sorte que, lorsque le navire leva l’ancre pour l’Amérique du Sud, en décembre 1831, en vue d’améliorer le relevé des côtes de Patagonie, il avait à son bord, en qualité de naturaliste, l’homme sans lequel personne ne saurait plus qu’il a existé un Beagle.


Du tour du monde au travail sédentaire

La croisière se prolongea jusqu’en octobre 1836 : îles du Cap-Vert, côtes sud-américaines, îles Galápagos, Tahiti, Nouvelle-Zélande, Australie, Tasmanie, îles Cocos, Maldives, île Maurice, Sainte-Hélène, Ascencion, Le Cap, Brésil, retour au Cap-Vert, Açores et retour. Merveilleusement heureux de voir tant de paysages dont il avait rêvé, libre de courir où il voulait à chaque escale, Darwin manifesta sa reconnaissance envers Henslow en lui adressant de longues lettres riches d’observations inédites et de remarques pénétrantes. Henslow publia, à l’insu de Darwin, les meilleures de ces lettres, si bien qu’à son retour Darwin était considéré par les hommes de science britanniques comme l’un des espoirs de la jeune génération. Nous allons le trouver secrétaire de la Geological Society en 1838, et, dès 1839, à trente ans, il pouvait faire suivre son nom des glorieuses initiales FRS (Fellow of Royal Society). Mais il avait gardé de ses pénibles années d’études une aversion viscérale pour l’enseignement, si bien que nous ne le verrons briguer aucune chaire professorale.

Le jeune savant épouse en janvier 1839 sa cousine germaine Emma Wedgwood. Tout va concourir à faire de l’ancien navigateur autour du monde un homme sédentaire et retiré : une santé médiocre l’oblige à ménager ses forces physiques, et il réalisera son œuvre immense en passant douze heures par jour dans son lit ; son caractère paisible ne s’accommode pas des violentes polémiques provoquées par sa doctrine et il laisse à ses admirateurs le soin de défendre ses thèses, ce dont ils s’acquittent d’ailleurs brillamment ; enfin, il s’occupe avec infiniment de délicatesse de sa femme et de ses sept enfants, comme aussi de ses pigeons, de ses fleurs de serre et de tous les êtres vivants dont il s’est entouré dans une charmante maison de Down (comté de Kent). À l’époque, les Anglais d’une famille telle que la sienne vivent de leurs rentes, et aucune nécessité financière ne détournera Darwin de sa grande œuvre. En fait, il projette une œuvre encore plus grande, quasi surhumaine, et il ne se presse pas de la monnayer en notices ou en brochures. Jusqu’au choc décisif provoqué en lui par le manuscrit de A. R. Wallace, il se contentera de publier le compte rendu de son voyage (incluant notamment sa célèbre théorie de l’origine volcanique des atolls) et une monographie très complète des Crustacés Cirripèdes (1859-1864). C’est donc à la suite des événements de la Linnean Society que Darwin, sur les instances expresses de ses amis Charles Lyell et sir Joseph Dalton Hooker (1817-1911), se résout à publier ce qui à ses yeux n’est que l’« extrait d’un essai sur l’origine des espèces ». L’éditeur juge le titre si rébarbatif qu’il l’abrège en Sur l’origine des espèces, et, prudent, il ne tire l’ouvrage qu’à 1 250 exemplaires. Le 24 novembre 1859, à l’heure d’ouverture des librairies, Sur l’origine des espèces est proposé au public britannique. Le soir du même jour, tout est vendu.


Un scandale bénéfique

Succès ne veut pas dire approbation, et dans bien des milieux piétistes ou de stricte obédience théologique il s’agit d’un succès de scandale. Évidemment, Darwin n’était pas le premier, il s’en faut de beaucoup, à sonner de la trompette autour de la muraille de Jéricho du fixisme créationniste. Mais, tandis que Bernard Palissy, Buffon, Lamarck, voire son propre grand-père Erasmus Darwin avaient tourné en vain autour de la citadelle qui se prétendait fondée sur le roc de la Bible, Darwin fit le septième tour et tout s’écroula... Pourquoi ? Parce qu’il donnait une explication nouvelle et irréfutable de l’apparition des formes nouvelles dans le monde ? Non pas : Darwin n’a apporté aucune donnée nouvelle sur l’évolution des lignées. Il a admis implicitement les idées lamarckiennes, reconnues fausses par la suite, sur l’action modelante du milieu et l’hérédité des caractères acquis, il a mieux que ses devanciers souligné la fréquence des variations inutiles ou nuisibles, c’est tout. Mais, si Darwin a entièrement rénové la science et même la philosophie, c’est parce que, le premier, il a formulé les lois du succès et de l’échec des formes nouvelles et passé de l’observation des lignées, qui seule se pratiquait avant lui, à celle des populations. Ce qu’on ne lui a pas pardonné, c’est qu’il a montré loyalement de combien de morts se payait chaque vie, et avec quelle rigueur la nature éliminait les faibles. C’est qu’il a terni l’image doucereuse d’une bonne nature, œuvre pure d’un Dieu bon, où seul faisait tache le péché humain, et qui était l’image qu’un Anglais aimait à se faire du monde vivant. Et puis, bien entendu, l’homme lui-même est mis en question : en 1871, Charles Darwin publie la Lignée humaine, où il laisse entendre (ô scandale !) que l’homme pourrait bien descendre d’un singe. La lecture de la Genèse, familière à tous les Britanniques, semblait contredire formellement une telle assertion, et Darwin faisait figure d’hérétique.