Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alexandre VI (suite)

Rodrigo Borgia est le neveu du pape Calixte III (1455-1458), pontife qui a fait du népotisme une véritable institution. Grâce à cet oncle généreux, le beau Rodrigo suit les cours de l’école de droit de Bologne, mais l’architecture et les femmes semblent l’intéresser davantage que les études juridiques. Ce qui n’empêche le pape de le combler. Cardinal à vingt-cinq ans (1456), vice-chancelier de l’Église romaine (1457), il connaît une légère éclipse sous le successeur de son oncle, le pape Pie II (1458-1464), puis élargit son influence et arrondit sa fortune personnelle sous les pontificats suivants, cumulant abbayes, châteaux et évêchés, et se préparant ouvertement à accéder au trône pontifical. À la mort d’Innocent VIII, Rodrigo Borgia se met sur les rangs : aux membres du conclave qui hésitent à élire ce cardinal concubinaire et non italien, il promet de telles récompenses qu’il est finalement élu sous le nom d’Alexandre VI (11 août 1492).

Malgré le laxisme d’une époque qui est l’âge d’or de la bâtardise, plus d’un chrétien se scandalise de voir s’installer sur le siège de saint Pierre un cardinal qui, de diverses maîtresses, a eu plusieurs enfants ; ceux que lui a donnés Vannozza Cattanei incarneront toute la sombre, sanglante et scandaleuse tragédie de l’Italie de la Renaissance (v. Borgia). Devenu pape, Rodrigo Borgia n’interrompt guère la chaîne de ses liaisons : d’une femme inconnue, il aura un fils, Giovanni ; quant à Giulia Farnèse, elle sera la dernière maîtresse en titre du pape (1498-1503).

L’œuvre doctrinale d’un tel pontife est mince. Le pontificat d’Alexandre VI appartient surtout à l’histoire politique de son temps, histoire faite des lacis compliqués de la diplomatie italienne, et que rendit encore plus tortueuse l’affligeante faiblesse du pape à l’endroit de deux de ses enfants : Lucrèce et César. Une littérature souvent douteuse a chargé Lucrèce Borgia jusqu’à lui prêter des rapports incestueux avec son père. Quant au cruel César Borgia, il est certain qu’Alexandre VI a fait de lui le chef de sa politique étrangère, et c’est en sa faveur qu’il en infléchit la ligne.

Au début, le pape se montre violemment hostile à l’égard du roi de France, Charles VIII, dont on connaît les vues ambitieuses sur l’Italie et notamment sur Naples, et qui se présente aux Italiens comme le tenant d’une réforme de l’Église, dont Alexandre VI n’a cure. Les événements tournent d’abord en faveur du Français, qui entre à Rome, où il reconnaît l’autorité du pape, puis à Naples, qu’il doit quitter en hâte (1495), menacé qu’il est par une Sainte Ligue à laquelle Alexandre VI a adhéré.

Débarrassé des Français, le pape poursuit en Italie sa politique ambitieuse, en faveur toujours de son fils César. Or, voici qu’en 1497 Giovanni, duc de Gandie, fils préféré du pontife, est assassiné par César dans des circonstances mystérieuses. Alexandre VI, dans sa douleur, semble songer, sinon à se « convertir », du moins à réformer l’Église. De fait, il crée une commission cardinalice qui dresse un solide plan de réforme : ce ne sera qu’un feu de paille.

Quand Louis XII accède au trône de France (1498), il trouve devant lui un pontife inchangé et décidé à favoriser, par tous les moyens, les vastes desseins de César Borgia, que, pour la forme, il a réduit à l’état laïc, mais pour qui il rêve de constituer, au centre de l’Italie, un vaste royaume capable de contrebalancer l’influence de Naples et celle des principautés du nord. Or, Louis XII désire se débarrasser de sa femme, Jeanne de France, pour épouser Anne de Bretagne : Alexandre VI, malgré l’opinion publique favorable à Jeanne, se prête complaisamment au « divorce » royal, qui est prestement entériné par les représentants du pape et d’abord par César Borgia, qui, reçu en France comme un souverain, épouse Charlotte d’Albret, devient duc de Valentinois, vicaire d’Imola et de Forli, gonfalonier de l’Église et duc de Romagne (1499).

Pour être juste, il faut dire qu’Alexandre VI n’est pas totalement pris par ses intérêts familiaux en Italie. Comme tous ses prédécesseurs, il s’efforce — notamment à l’occasion du jubilé de 1500 — de relancer l’idée d’une croisade en Orient : il n’aboutit pratiquement à rien. D’autre part, il voit dans la découverte de nouvelles terres l’occasion d’étendre le domaine de l’Évangile : par six lettres dites « alexandrines » (1493-1501), dont la plus célèbre est la lettre Inter cetera II (28 juin 1493), dite « bulle de démarcation », il répartit les zones d’influence réciproques des Portugais et des Espagnols dans les territoires récemment découverts, à charge d’y assurer l’évangélisation des habitants.

Alexandre VI meurt le 18 août 1503. Pour le juger équitablement, il faut replacer son personnage dans son époque, qui est marquée par la fourberie, la cruauté, la luxure ; il est remarquable d’ailleurs que les pamphlets lancés contre lui de son vivant ont moins trait à sa vie privée qu’à sa politique. Il ne faut pas oublier cependant la grande voix de Savonarole*, qui sut discerner dans les exemples offerts par Alexandre VI — qui l’excommunia (1497) — ce qu’ils avaient de profondément contraire à l’esprit évangélique et, en définitive, de traumatisant pour l’Église tout entière.

P. P.

 P. de Roo, Material for History of Pope Alexander VI (Bruges, 1924 ; 5 vol.). / I. dell’Oro, Papa Alessandro VI, Rodrigo Borgia (Milan, 1940). / P. Jobit, Alexandre VI (Dessain-Tolra, 1968).

Alexandre Ier

En russe Aleksandr Ier Pavlovitch (Saint-Pétersbourg 1777 - Taganrog 1825), empereur de Russie de 1801 à 1825.



Un début de règne prometteur

De sa naissance à son avènement le 24 mars 1801, le jeune Alexandre vécut au milieu de tragédies familiales. Jusqu’à l’âge de dix-neuf ans, il dut se partager entre deux cours rivales : celle de sa grand-mère Catherine II, qui voyait en lui son véritable héritier, et celle de son père, le tsarévitch Paul, qui considérait que le trône aurait dû lui revenir de droit à la mort de Pierre III. Devenu tsar (1796), Paul continua à soupçonner son fils, qui finit par accepter l’idée d’une conjuration tout en se ménageant un alibi : on déposerait le despote sans toucher à sa vie. Se faisait-il quelque illusion ? Les conjurés, en tout cas, savaient pertinemment que le succès du complot reposait sur le meurtre du souverain : Alexandre recueillit les fruits de l’assassinat (mars 1801) et s’abstint de châtier les coupables. Son caractère devait toujours conserver la marque de ces années difficiles : obligé de dissimuler constamment ses sentiments, il s’était habitué à une duplicité qui lui valut, de la part de Napoléon, le qualificatif de « Grec du Bas-Empire ».