Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

croisades (suite)

Ce serment est prêté sans difficulté d’abord par Hugues de Vermandois, ébloui par la richesse byzantine, puis par l’ambitieux Bohémond de Sicile, qui demande en échange à être nommé grand domestique d’Orient ; mais il est refusé par Godefroi de Bouillon, qui s’estime vassal du seul empereur germanique, et par Raimond de Saint-Gilles, qui s’engage seulement à respecter les biens et la vie du basileus.

Par mesure de précaution, celui-ci aide alors les chrétiens à passer rapidement en Asie Mineure, où leur valeur combative amène les Turcs de Nicée, assiégés depuis le 14 mai 1097, à capituler le 19 juin entre les mains d’Alexis Ier Comnène. Ayant remporté peu après à leurs dépens la victoire décisive de Dorylée le 1er juillet, les croisés, malgré la faim, la soif et le harcèlement adverse, gagnent assez rapidement la Syrie du Nord après un court arrêt, entre le 10 et le 30 septembre, à Héraclée, d’où Baudouin de Boulogne et Tancrède gagnent directement la principauté arménienne d’Édesse, où ils fondent en 1098 un comté qui est le premier État latin du Levant.

Bientôt Bohémond de Sicile jette les bases d’une seconde principauté chrétienne, celle d’Antioche, en s’emparant, dans la nuit du 2 au 3 juin 1098, de cette ville, assiégée depuis le 20 octobre 1097. Vingt-quatre heures plus tard, l’armée de Kerborga (Karburhā) assiège à son tour les croisés, qui font une sortie victorieuse le 28 juin suivant. Ces derniers, qui se considèrent comme déliés de tout lien de vassalité à l’égard d’Alexis Ier en raison du repli sur Chypre du contingent byzantin, entreprennent à partir du 13 janvier 1099 la conquête de la Terre sainte. Partagé entre plusieurs dominations rivales — celles de nombreux émirats turcomans et celle de l’Égypte fāṭimide, qui a reconquis Jérusalem le 26 août 1098 —, divisé ethniquement et religieusement entre Turcs sunnites et Arabes chī‘ites ou ismaélites, miné à l’intérieur par la présence de nombreuses communautés chrétiennes de Syrie du Nord (Arméniens) et de Syrie du Sud (orthodoxes, melkites, monophysites surtout), qui favorisent la progression des Occidentaux, le Levant islamique ne peut résister à l’envahisseur. Après avoir longé la côte jusqu’à Jaffa, où ils reçoivent du matériel de guerre apporté par une flotte génoise, les croisés font capituler Jérusalem au terme d’un siège qui n’a duré que du 7 juin au 15 juillet 1099.

Les vainqueurs sont affaiblis aussitôt par le départ de nombreux chevaliers, qui estiment avoir accompli leur vœu de croisade ; ils ne peuvent plus recevoir de renforts par terre en raison du regroupement provisoire des forces turques, qui détruisent successivement en Anatolie les « arrière-croisades » qui, depuis la Lombardie, le Poitou, la Bourgogne et la Bavière, tentent de gagner à leur tour Jérusalem. Aussi confient-ils le soin d’organiser et de défendre leur conquête au duc de Basse-Lorraine, Godefroi de Bouillon, qui n’accepte que le titre d’avoué du Saint-Sépulcre afin de réserver les droits éminents de l’Église sur l’État latin en voie de formation.

Godefroi de Bouillon ne dispose plus que de 300 chevaliers et de 2 000 piétons pour défendre les établissements des croisés, dangereusement éparpillés sur une distance de 700 km entre Édesse et Jérusalem. Il doit accepter les conditions que les villes italiennes mettent à leur intervention en sa faveur. Arrivé avec 120 bateaux à Jaffa en décembre 1099, l’archevêque Daimbert de Pise († 1107) obtient ainsi d’être élevé au patriarcat de Jérusalem, puis d’être reconnu comme suzerain du prince d’Antioche et comme possesseur du quart de Jérusalem et de la totalité de Jaffa.

En contrepartie, Godefroi de Bouillon concède aussitôt aux Vénitiens, qui viennent de s’emparer de Caiffa (Haïfa), la possession du tiers de toutes les villes qu’ils pourraient conquérir dans le Levant ainsi que d’importants privilèges économiques et judiciaires. Par là se trouvent jetées les bases de la pénétration des États latins du Levant par les marchands italiens avant même que la mort de Godefroi n’aboutisse à la constitution définitive du royaume de Jérusalem en faveur de son frère Baudouin de Boulogne (Baudouin Ier [1100-1118]) ; ce dernier abandonne aussitôt le comté d’Édesse à son cousin Baudouin du Bourg († 1131), pour parachever la conquête des ports de son royaume. Les flottes génoises participent alors à la prise d’Acre en 1104, de même qu’elles contribuent à la création, par Raimond de Saint-Gilles (de 1102 à 1105) et par ses deux premiers successeurs, du comté de Tripoli, dont la capitale n’est occupée qu’en 1109.

Au nombre de quatre, les États latins du Levant forment dorénavant une sorte de confédération lâche sur laquelle le roi de Jérusalem détient une autorité morale. Couverts vers le nord par les positions avancées du comté d’Édesse (Samosate, Maras) ainsi que par la Cilicie arménienne (1108), protégés vers l’est par les forteresses que Baudouin Ier peut construire dans la terre d’outre-Jourdain (Val Moyse, Montréal), les États francs constituent en 1124 (prise de Tyr) un bastion chrétien d’autant plus homogène et solide que son extension territoriale empêche toute communication à la fois entre les Turcs d’Anatolie et les Turcs de Mésopotamie, entre l’Égypte et la Syrie (prise du port d’Ayla en 1116, au fond de l’actuel golfe d’‘Aqaba).

Reste à occuper les portes du désert : Alep et Damas. En assiégeant la première de ces villes en 1124, les croisés provoquent l’intervention de l’atabek de Mossoul, Aq-Sunqur al-Bursuqī, dont le successeur, ‘Imād al-Dīn Zangī, s’empare en 1135 des places d’outre-Oronte et en 1144 d’Édesse.

• À l’appel d’évêques arméniens et francs venus aussitôt demander des secours, Eugène III demande à saint Bernard de prêcher une deuxième croisade. Le roi de France, Louis VII, et l’empereur Conrad III se croisent respectivement à Vézelay et à Spire le 31 mars et le 25 décembre 1146 et gagnent Constantinople par la vallée du Danube.

Ils sont très éprouvés par les attaques des Turcs et doivent finalement rejoindre le Levant par mer. Plus préoccupés d’accomplir leur pèlerinage à Jérusalem que de combattre, en désaccord par ailleurs sur la tactique à suivre, ils se laissent entraîner par les barons de Jérusalem dans une vaine attaque contre Damas en 1148 et se rembarquent sans avoir tenté de délivrer Édesse.