Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Crispi (Francesco) (suite)

Entre-temps, l’Italie a commencé à chercher en Afrique orientale une compensation coloniale à ses espoirs déçus, en Tunisie, et cela en accord avec l’Angleterre. Au début de 1885, elle a occupé sur la côte de la mer Rouge le port de Massaouah. Mais le négus d’Abyssinie, Jean IV, voit d’un mauvais œil l’installation d’une puissance européenne dans son voisinage. Le 27 janvier 1887, un des ras abyssins, Alula (1847-1907), parvient à encercler et à anéantir presque entièrement, à Dogali, avec des forces très supérieures en nombre, une colonne de 500 Italiens dirigée par le colonel T. De Cristoforis (1841-1887).

Cet insuccès est vivement ressenti en Italie. Depretis doit se rapprocher de la « pentarchie » et appeler au ministère de l’Intérieur, en avril 1887, Crispi, qui conservera son portefeuille après la mort du président du Conseil (29 juill.), y adjoignant le portefeuille des Affaires étrangères, qu’il ne quitte pas lorsqu’il devient lui-même, le 7 août, chef du gouvernement.


Chef du gouvernement

Deux mois plus tard, l’Italie ayant adhéré à la Triple-Alliance, Crispi se rend personnellement à Friedrichsruh pour prendre un contact direct avec Bismarck. Il y retournera en août 1888. Ses sympathies vont vers les puissances protestantes, parce qu’il voit en elles un recours contre le « péril » d’une action de la France pour restituer au pape son domaine temporel. Bismarck, qui a d’ailleurs peu d’estime pour l’Italie, donne surtout à son interlocuteur des conseils de prudence. Ces entrevues servent pourtant le prestige de Crispi. Humbert Ier n’estime aucun homme politique plus que Crispi, et l’accord entre eux est complet.

Crispi veut poursuivre vigoureusement la pénétration en Afrique orientale après la mort du négus Jean IV (11 mars 1889). Celui-ci avait essayé, au début de 1888, de reprendre Massaouah, mais il n’avait pas osé livrer bataille devant l’importance des travaux de défense italiens. La couronne d’Abyssinie passe alors au roi de la province centrale du Choa, Ménélik, qui, pour triompher de ses rivaux, favorise les entreprises des Italiens qui ont créé la nouvelle colonie d’Érythrée. Deux traités conclus avec les sultans d’Obbia et de Midjirten permettent en outre au gouvernement italien d’établir un protectorat sur la côte des Somalis avec l’accord de la Compagnie anglaise de l’Afrique orientale, qui a même consenti à rétrocéder aux Italiens les droits que le sultan de Zanzibar lui a reconnus sur plusieurs ports, notamment Mogadiscio. Par l’effet de ces accords, l’Abyssinie se trouve comprise dans la zone d’influence italienne, et Crispi, à la suite de négociations confuses avec Ménélik, croit pouvoir annoncer aux grandes puissances européennes que l’Italie a également soumis l’Abyssinie à son protectorat.

À l’intérieur, les difficultés ne manquent pas au gouvernement de Rome. La dénonciation du traité de commerce conclu avec la France, qui absorbait une grande partie de la production d’agrumes de l’Italie méridionale, mais qu’irritait la politique germanophile de Crispi, a provoqué dans cette zone une crise économique grave, à laquelle il n’est trouvé de remède que par une émigration massive vers les Amériques. Les dépenses croissantes de l’État et des communes ont, par ailleurs, rendu indispensables des augmentations d’impôts dès 1889 ; le socialisme, qui commence à s’organiser en Italie, en prend prétexte pour fomenter des grèves et une agitation endémique dans la classe ouvrière. Le 13 septembre 1889, un attentat isolé est même dirigé à Naples contre Crispi ; celui-ci ne varie pas d’une ligne dans sa politique internationale et garde à la répression des désordres intérieurs toute sa rudesse.

La chute de Crispi en janvier 1891, malgré la majorité massive obtenue aux élections générales de novembre 1890, et son remplacement par le marquis di Rudini en février 1891 est moins la marque d’une défiance profonde à son égard que le ressentiment d’une grande partie de la Chambre contre la façon outrageante dont il a parlé de l’ancienne droite — qui, pourtant, a réalisé en douze années l’unité complète du pays —, joint à l’inquiétude diffusée dans le milieu parlementaire par la démission de Giovanni Giolitti (1842-1928), ministre du Trésor, en novembre 1890. Celui-ci succédera à Rudini en mai 1892 et réussira à réduire de façon appréciable le déficit budgétaire.


Le second cabinet Crispi

Revenu au pouvoir en décembre 1893, Crispi se trouve en face d’une situation doublement difficile. À l’intérieur, des troubles très graves éclatent, principalement en Sicile ; ils sont causés par des Faisceaux de travailleurs agricoles, qui réclament la suppression des octrois et le partage des terres communales. De nombreux intellectuels et des membres de professions libérales, voire certains officiers de l’armée, sympathisent avec les ouvriers. En janvier 1894, une véritable insurrection oblige le gouvernement à établir l’état de siège, à créer des tribunaux militaires, qui prononcent de lourdes condamnations, tandis qu’un mouvement plus spécifiquement anarchiste se développe dans la Lunigiana parmi les mineurs des carrières marbrières de Carrare, dont les conditions de vie sont très difficiles.

En Afrique orientale, la situation est plus grave encore, bien que ni le gouvernement ni l’opinion italienne ne s’en rendent compte. Un succès remporté en décembre 1893 sur les derviches, qui ont attaqué sans résultat un ouvrage avancé des Italiens, le fort d’Agordat, et y ont perdu 1 000 morts avec 72 drapeaux, contribue à égarer les Italiens, de même que la marche victorieuse du général O. Baratieri (1841-1901), gouverneur de l’Érythrée, contre les mêmes adversaires qu’il réussit à chasser de Kassala, place importante à la frontière du Soudan (juill. 1894). Crispi pousse de toutes ses forces le gouverneur à des opérations hardies, non seulement afin de rehausser le prestige de son pays par une expansion coloniale analogue à celle de la France et de l’Allemagne, mais aussi pour offrir à la jeunesse italienne des buts capables d’employer son énergie sur un autre terrain que celui des revendications irrédentistes. Mais l’accord de fond considéré comme acquis avec Ménélik est trompeur. Celui-ci n’entend nullement soumettre son vaste empire au protectorat d’une grande puissance. Des trafics d’armes de toutes nationalités lui procurent l’armement dont il manque encore au début de son règne ; peu à peu, Ménélik rassemble autour de lui tous les féodaux abyssins, qui ne discutent plus son autorité. Cependant, Baratieri est encore vainqueur de l’un d’entre eux, le ras du Tigré, Mangascia († 1907), qu’il défait en janvier 1895 à Coatit et à Senafé ; après quoi il occupe tout le Tigré.